Saturday, July 23, 2011

Question Biblique

Qu'est-ce donc que la foi chrétienne ?

1. à la source : un "ENGAGEMENT HISTORIQUE"

porteur d'un potentiel d'humanité des plus denses . . .

Tous pensent connaître cette source, mais, bien souvent, les feuilles d'automne l'ont progressivement recouverte. Seul un travail d'attention et de patience peut la faire rejaillir dans toute sa pureté .

1ère étape : les faits sont là …

= Un homme, Jésus de Nazareth, a mené une activité précise et visible, au milieu de ses contemporains, durant les années 28 à 30 de notre ère ... Cette activité s'inscrivit dans les limites d'un petit pays : la Palestine . Les grandes lignes nous en sont connues par des écrits : les Evangiles .

= Son activité était celle d'un prédicateur itinérant, semblable à beaucoup d'autres selon le style de l'époque et de la région : il passait de village en village ... A partir de multiples échanges et dialogues émergeait un enseignement .

Il ne se présenta pas comme un pur "enseignant", à la manière moderne ou philosophique . Il adoptait naturellement les particularités du "génie juif": celui-ci ne prend en compte la Parole que si elle est "efficace", s'exprimant dans des actes qui en confirment la valeur. Il réussit admirablement cette synthèse, joignant un discours clair à des engagements précis en une multitude de circonstances .

= Son message s'harmonisait avec la mentalité ambiante et semblait entrer dans le cadre des problèmes particuliers que se posaient ses auditeurs . Il y intégrait en toute continuité nombre d'éléments de l'enseignement prophétique passé .

Sans s'abstraire de l'espérance messianique qui hantait l'esprit de ses auditeurs juifs à cette époque, il se montra cependant très réservé à l'égard des expressions courantes sur ce sujet .

= Il n'avait pas de "diplômes", il n'avait fréquenté aucune école rabbinique ... Son village d'origine était Nazareth, petit bourg isolé de Galilée, cadre agréable pour la réflexion personnelle, mais ne retenant pas l'intérêt de l'élite intellectuelle, centrée sur Jérusalem .Il y avait été charpentier durant sa jeunesse .

= une volonté de proximité dominait son engagement, proximité à tous, indépendamment des catégories sociales, nationales et même religieuses ... Même si, après quelques mois, beaucoup vinrent à lui, ces hommes et ces femmes répondaient à une démarche initiale de Jésus vers eux .

Mais jamais il ne se laissa enfermer dans un groupe, fût-il celui de ses disciples . Il n'admit aucune frontière.

= son style n'était donc pas celui d'un "séparé", isolé dans un ermitage . Au fil de sa prédication itinérante, il regroupa quelques compagnons avec lesquels il partagea toutes les péripéties de sa mission. Ceux-ci étaient d'origine très variée . Ils vécurent ensemble ces deux années selon les conditions habituelles de l'époque et du milieu juif dans lequel ils s'inséraient .

= Ses amis purent donc le voir "agir et réagir" dans des situations très diverses selon les personnes, les temps et les lieux .

Sur le moment, ils n'eurent qu'une conscience floue de ce qui se déployait sous leurs yeux . Comme leurs contemporains, ils étaient sensibles aux aspirations nationalistes, elles retenaient l'attention immédiate et orientaient nombre de discussions en restreignant les perspectives . La grande prudence de Jésus à l'égard de formules ambiguës courantes les empêcha de s'y enliser et les invita à s'ouvrir sur d'autres horizons ...

= Pour ses auditeurs, il était évident que Jésus savait ce qu'il avait à dire et voulait dire . Une impression d'autorité se dégageait spontanément de ses paroles et de ses actions sans nuire à leur spontanéité et à leur simplicité .

Ses compagnons avaient conscience qu'un fil conducteur orientait les multiples contacts engendrés par ces déplacements habituels ; ils étaient incapables de le définir avec précision. Ils avaient beau se référer à l'enseignement des autres prédicateurs ; ces comparaisons les déconcertaient plus qu'elles ne les aidaient : Jésus se révélait "inclassable" ... Il leur était impossible d'aller au-delà de quelques "pistes" qui se détachaient de l'activité du Maître ... Ils "enregistraient", parfois avec quelque difficulté ; ils remettaient à plus tard de comprendre .

L'ambiance chaleureuse de la vie commune et le rayonnement personnel de Jésus permettaient de vivre sans anxiété un mûrissement progressif, appelé à se développer bien au delà de ce partage privilégié de tous les instants .



2ème étape :

= Après une année d'un parcours relativement calme en Galilée, les choses évoluèrent rapidement . Ce ne fut pas le fait de Jésus, ce fut la pression des groupes qui commençaient à se sentir concernés par son activité . Ils eurent à prendre une position plus nette à son égard, ne serait-ce qu'à cause de son influence grandissante .

Rappelons-nous que la Palestine est un petit pays et que de nombreux mouvements de personnes, particulièrement à l'occasion des fêtes à Jérusalem, facilitaient les contacts entre provinces .

= En cette période, un nouvel éclairage enrichit la perception du témoignage ...

D'une part, Jésus poursuivit son enseignement en paroles et en actes, mais il dut le préciser face aux critiques et aux tentatives pour le confondre ou le compromettre .

D'autre part, l'attitude de ceux qui devenaient ses opposants fit ressortir, par contraste, les points sensibles qu'il abordait ; leurs réactions, souvent hostiles, ne laissaient plus de doutes sur la mission que Jésus menait, depuis le début ...

En outre, l'existence de ces oppositions accentua la dimension d'humanité "vraie" qui s'était déjà révélée . Jésus n'était pas un théoricien désincarné, il acceptait les affrontements d'un engagement concret . "Il se livrait aux risques d'une activité digne d'être appelée humaine " ...

= Les foules se lassèrent assez vite d'un discours qui n'avait rien de démagogique et invitait à la réflexion personnelle .

L'enthousiasme des débuts comportait en effet bien des ambiguïtés :

* l'activité de Jésus auprès des malades et des pauvres se voulait témoignage de son message ... mais la plupart n'en retenaient que la dimension d'utilité et de gratuité ...

* l'opinion majoritaire situait les espérances messianiques comme une libération attendue sous un angle purement politique : il s'agirait de rétablir la suprématie d'Israël dans le concert des nations . Jésus ne cautionnait pas cette option, se refusant à toute déclaration messianique explicite . Il déjoua souvent les pièges qui lui étaient tendus à ce sujet . Une telle attitude ne pouvait qu'engendrer la déception ...

Jésus ne fut jamais totalement abandonné par les foules. .Le propre de celles-ci est d'être versatiles et elles le furent effectivement ; elles le furent jusqu'au bout, se cantonnant dans une attitude d'expectative et se gardant de prendre parti dans le conflit plus radical qui se précisait au plan religieux ...

= La position des chefs religieux à l'égard de Jésus fut plus complexe. A cette époque, en Palestine, l'influence religieuse était partagée entre plusieurs groupes .

°- Le groupe le plus influent sur le peuple était celui des pharisiens . Au début de la prédication de Jésus, ceux-ci ne lui manifestèrent pas d'opposition systématique ; ils étaient d'accord sur certaines de ses idées et certaines de ses réactions contre une application pesante de la Loi ...

Mais Jésus allait jusqu'au bout des critiques qu'il formulait . Il dénonçait ouvertement les racines des durcissements, particulièrement la priorité donnée à la tradition dite "des anciens" . Il en appelait à un "esprit de la Loi" pour stigmatiser les contradictions de certaines pratiques avec cet esprit . Cette liberté de ton parut intolérable, surtout de la part de quelqu'un qui ne sortait pas de leus écoles . L'intérêt - provisoire - qu'il suscitait chez les foules fut ressenti comme une concurrence nocive à l'influence pharisienne traditionnelle .

°- Un autre groupe détenait officiellement l'autorité doctrinale, judiciaire et administrative ; il était concentré à Jérusalem et se présentait comme très diversifié dans les titres : les Anciens, les Prêtres, les Membres du Grand Conseil ; il était également très diversifié dans les courants de pensée : sadducéens, hérodiens ... Avant le drame final, il semble que Jésus eut peu de rapports avec les membres de ce groupe en tant que tels . Son style n'était pas celui d'un provocateur cherchant la confrontation directe .

Il est pourtant facile de repérer l'évolution des responsables religieux à son égard : au départ, sans doute un non-intérêt pour ce petit prédicateur galiléen... ensuite une indifférence méprisante... puis un énervement mêlé de peur devant son apparent succès auprès des foules... enfin une franche hostilité .

Cette évolution s'explique : ces milieux cultivés étaient plus à même de comprendre ce qui était remis en cause par Jésus et les ruptures qu'exigeaient les nouveaux horizons ouverts par sa prédication . Mais il fallut que sa popularité déborde le cadre initial de la Galilée pour qu'ils daignent s'informer sérieusement . Ils découvrirent alors - même si ce fut de façon floue- l'ampleur des bouleversements qu'appelait cette nouvelle pensée . Pour eux, il était hors de question de s'y ouvrir ou d'entrer en dialogue avec elle . Leur réaction fut donc une réaction de rejet sur un fond de panique ...

= Face aux orages qui s'accumulaient, les compagnons de Jésus furent témoins de la richesse de personnalité dont ils avaient déjà perçu quelques facettes : intelligence, détermination, audace mêlée de prudence, respect de l'autre, fût-il un adversaire ...

Ce qui les frappait surtout, c'était le calme avec lequel Jésus envisageait l'avenir et parlait d'un "choc" qu'il savait inévitable . Ils le sentaient déterminé à livrer son Message sans en diminuer les exigences et sans en cacher les contradictions avec les mentalités ambiantes . Et simultanément, il s'exprimait de façon très lucide sur le sort qui lui était réservé, à plus ou moins longue échéance . Il y avait de quoi être déconcerté !

En outre, ils étaient désormais habitués à une vie commune ; cela les amenait à le connaître plus intimement ; ils percevaient ses réactions profondes et décelaient un certain mystère en sa personne . Les idées qu'ils conservaient de leur formation juive se trouvaient de moins en moins capables de leur fournir des points de repère . Ils suivaient, fidèles dans les mauvais jours comme ils l'avaient été dans les bons . Mais ils ne manquaient pas "d'enregistrer" le visage inattendu d'une aventure qui les dépassait de plus en plus .

La crainte de l'avenir se trouvait tempérée par une plus grande attention de Jésus à leur égard . Ils ne pouvaient avoir conscience de la manière discrète dont Jésus les préparait à surmonter l'épreuve et à prendre le relais . Plus tard, ils furent à même de le mesurer et d'en témoigner .



3ème étape

= Une échéance se précisait : le rejet jusqu'à la condamnation à mort ...

Jésus ne l'avait pas voulue . S'il en avait parlé, c'est qu'il analysait sans illusion les circonstances historiques de son époque : à ce moment, le peuple juif était un peuple humilié et opprimé, divisé en multiples tendances face à l'occupant romain, peu enclin à accueillir un message qui ne répondait pas au seul souci immédiat : la libération politique ...

Il n'était pas question pour Jésus de céder à ce chantage . S'engager dans une résistance violente contre ses adversaires ou prendre la tête d'un soulèvement de masse aurait contredit une dimension essentielle de sa prédication ...

= Face au drame prévisible, une autre possibilité s'offrait à lui : accepter d'être un témoin silencieux, affrontant la mort sans crainte de l'échec, montrant par son courage la validité de ce qu'il avait enseigné . Destin analogue à celui de beaucoup d'hommes exemplaires qui ont mis au-dessus de leur propre vie ce qu'ils jugeaient être la justice et la vérité .

Ceux qui assistèrent à sa mort sur une croix, semblable à toutes les autres exécutions, purent avoir cette impression .

= Pourtant, c'est une troisième voie, très personnelle, qu'a choisie Jésus .

Il est essentiel d'en saisir l'intention, la direction et le déroulement . Non seulement elle confirme le courant d'humanité vécu jusque-là, mais elle le précise et intensifie son impact à notre service .

Il savait que, pour les responsables religieux, la mesure était à son comble et qu'ils étaient décidés à le "liquider" d'une façon ou d'une autre, faute de pouvoir le faire taire .

Il savait aussi que leurs rivalités internes entraînaient un certain flottement quant à la forme et à la date de son jugement…sans compter la nécessité de recourir aux Romains qui interdisaient au Sanhédrin de prononcer ou de faire exécuter une sentence de mort .

Dans la "fourchette" de temps qui lui était laissée, il décida de brusquer les choses : il était prêt à mourir, mais pas n'importe quand, ni n'importe comment .

Ses amis - tout comme ses ennemis - ne perçurent pas, à cet instant, le projet étonnant qu'il avait conçu personnellement et qu'il mena à son terme : faire de sa passion et de sa mort un "acte parlant", en totale continuité avec ce qui précédait .

C'est en ce sens qu'il prit l'initiative, avec beaucoup de réalisme et d'intelligence, utilisant les quelques moyens dont il disposait encore et respectant pleinement la liberté de ceux qui se trouvèrent ainsi associés à ce drame . A proprement parler ce n'était pas un défi… cependant; Jésus mettait chacun face à ses responsabilités : il fallait choisir entre "façade" et "conviction" !

En allant au devant d'eux, Jésus obligeait ses ennemis à se démasquer et à s'exprimer ... au delà des reproches confus qu'ils lui avaient jusqu'alors adressés . Il en attendait plusieurs conséquences :

- Il gardait ainsi à sa condamnation un caractère de profonde humanité outre le déroulement physique dramatique de son exécution . Il était condamné par des hommes précis, pour des motifs précis, relativement faciles à détecter lorsque les instigateurs furent contraints de les déclarer au grand jour .

- Il devenait évident que sa mort résultait de sa parole et de son comportement ; elle se trouvait reliée à tout ce qui avait précédé . Elle mettait donc en pleine lumière le conflit qui avait été sous-jacent à son ministère, depuis le début . Elle n'était pas seulement un "label d'authenticité" extérieur à son message ; elle révélait ce message "en clair", par contraste avec ce qui lui était reproché . La prédication itinérante avait pu rendre difficile, jusque-là, la perception des lignes de force de sa mission . Cette "grille de lecture" émergeait de la dernière semaine .

- Les évangélistes ne s'y sont pas trompés ; dans le récit de l'élimination de leur maitre, tous mettent en relief les attitudes des trois groupes : les chefs religieux, les pouvoirs civils, les foules. Ils résument ainsi parfaitement le triple combat qui était celui de Jésus : au plan religieux... au plan social des rapports entre les hommes... au plan individuel…

Le moment qu'il avait choisi, la fête de la pâque juive, n'était pas le fruit du hasard, il était le fruit d'une intelligence du temps .

En optant pour le cadre de la fête de Pâque, il n'est pas contestable que Jésus suggérait une piste de réflexion ultérieure sur le sens de sa mort en lien avec la mentalité juive : l'agneau sacrifié ... départ de la libération d'Egypte ... figure du Serviteur souffrant selon le livre d'Isaïe ... De même, il n'y a aucune raison de douter que Jésus se soit "accroché" intérieurement à cette spiritualité pour assumer l'épreuve . Ayant reçu une formation juive, il vibrait à toutes les richesses héritées du passé de son peuple .

Mais cette piste ne doit pas estomper d'autres pistes, enracinées dans le concret de l'événement, tout aussi suggestives et dont le Christ ne pouvait manquer d'avoir conscience ...

- Seules, les grandes fêtes amenaient la présence simultanée à Jérusalem des trois groupes dont nous parlions précédemment : les responsables religieux séjournaient non loin du Temple, mais le procurateur romain résidait habituellement à Césarée et, en dehors des pèlerinages, les foules se trouvaient dispersées en Palestine .

- Cette cohabitation, nourrie de l'esprit de la fête se vivait dans une ambiance assez tendue ... La liturgie du repas pascal rappelait à tout juif l'histoire de ses ancêtres, sa liberté d'antan, les oracles prophétiques projetés sur l'avenir. Les foules assemblées reprenaient ainsi conscience de leur identité et mesuraient leur importance face au poids de l'occupation romaine .

Les Romains respectaient l'autonomie de la communauté cultuelle mais ils craignaient les mouvements de révolte, spontanés ou non, et qui risquaient de se propager rapidement .

- Le moment retenu par Jésus était vraiment le "pire" pour ses opposants et il le savait . Cette situation empêchait toute esquive ou tout faux-semblant ; elle mettait à jour les vrais sentiments .

Les chefs religieux durent choisir : La Loi restreignait l'activité judiciaire au temps de Pâque, particulièrement pour les condamnations à la peine capitale ; elle donnait également à l'accusé des garanties de défense ... Ils ne la respectèrent pas . Leur opposition aux Romains était ouvertement déclarée, mais ils recoururent aux Romains pour l'exécution et, devant les hésitations de Pilate, ils en appelèrent à l'empereur ... ce qui est un comble !

Pilate dut choisir : Comme tout fonctionnaire romain, il se targuait d'un droit et d'une justice qui reposaient sur la toute-puissance de l'empire ... Il reconnut Jésus innocent, mais recula devant un chantage à l'insurrection de la part des autorités juives, insurrection par ailleurs fort hypothétique à cette époque précise .

Les foules durent choisir : Ce jour était consacré aux nombreuses préparations matérielles qu'exigeait le repas pascal ... Fallait-il y renoncer pour défendre un innocent ?… Elles acclamaient Jésus quelques jours auparavant, lorsque l'opposition des autorités n'était pas à son paroxysme ; elles le lâchèrent quand plana un risque réel d'exclusion ...

Le projet de Jésus s'inscrit alors clairement lorsque nous suivons le déroulement des événements avec le recul qui est nôtre : son cas personnel ne doit pas être arraché à notre humanité, sa solidarité avec nous en donne la clé .

- En dévoilant la mesquinerie des jugements religieux du Sanhédrin, au delà de ce cas précis, il révélait jusqu'où peut aller un courant religieux faussé, lorsque la "religion" prend le pas sur la foi ... lorsqu'est rendue manifeste l'incapacité de dépasser ce qui, soi-disant, s'est toujours dit et toujours fait ... lorsque domine la paresse à trouver de nouvelles ouvertures sur l'avenir en ré-explorant les sources du passé ...

- En rendant évidente la lâcheté du pouvoir politique, au delà de Pilate, il mettait en lumière le mécanisme pervers de tous les courants socio-politiques qui abusent de leur force, écrasant la personne au nom du bien commun. Pilate n'avait aucun grief contre Jésus ... et il le condamne à mort ... pour la tranquillité publique, pour l'ordre de la communauté, comme tant de responsables l'avaient fait, le font ou le feront ...

- Quant aux réactions individuelles qu'il provoquait, elles ne diffèrent pas de celles qui alimentent le courant de pesanteurs humaines habituelles à toute époque : indifférence des foules, amour de l'argent chez Juda, peur chez Pierre et chez Pilate, brutalité chez les serviteurs et les soldats ...

Jésus a voulu que se déploient très naturellement contre sa propre personne les pesanteurs universelles qui travaillaient au cœur des juifs comme elles travaillent au cœur d'autres hommes en de nombreux cas semblables ... Il a provoqué un déferlement total de ces "facteurs cancérigènes", poussant à fond l'absurdité et le fonctionnement perverti d'un certain nombre de "mécanismes humains collectifs", les laissant se déployer selon leur mode d'action malheureusement habituel .

Mais, en refusant d'entrer dans leur jeu, il ouvrait une brèche, cassant la fatalité des réactions courantes et traçant une route d'espérance assez précise à ceux qu'il invitait à le suivre.

4ème étape

= Les récits évangéliques sont très sobres en ce qui concerne les détails de l'exécution. Cette sobriété est loin d'avoir été respectée par la suite. Non seulement les images et les commentaires ont colporté de nombreuses erreurs, mais ils ont orienté les esprits qui affectent les. Il a fallu attendre une période récente pour que soient fournies les précisions concernant cet affreux supplice.

Qu'est-ce donc que la foi chrétienne ?

2. de cette source a jailli

un mouvement de RESURRECTION

En lui-même, le mot "résurrection" exprime une idée précise; il renvoie à ce qui a été vécu auparavant : résurrection = resurgir . Malheureusement, en langage courant, lorsqu'il est appliqué à Jésus, il évoque l'idée d'une situation hors-humanité - sinon anti-humanité - C'est ainsi que beaucoup l'entendent. Il importe donc de bien "serrer" les Evangiles et les Actes des Apôtres pour conserver à ce mot son véritable sens .

1ère étape : la résurrection personnelle de Jésus

= Au soir de la mort de Jésus, quels étaient les sentiments des disciples ?

*- Ils perdaient un ami et quel ami ! Le flot d'humanité et d'amitié dont ils avaient été les premiers bénéficiaires s'arrêtait brutalement et dramatiquement ...

*- Sa mort remettait en question la valeur de son message, ce message auquel ils avaient cru et qu'ils avaient fait leur, peu à peu . A ce moment, ils étaient loin d'avoir perçu l'universalité de l'engagement de leur Maître . Une conclusion s'imposait seulement à eux : les perspectives ouvertes par Jésus avaient effectivement soulevé l'espérance, mais sa mort prouvait qu'elles n'avaient abouti à rien ; les forces contraires avaient vaincu . La méthode préconisée pour faire triompher cette route de vie apparaissait comme une impasse .

*- Leur formation juive accentuait ce désespoir sur deux points .

Même s'ils avaient du remettre en question les clichés de leur formation juive, l'idée de messianité s'était imposée progressivement à leur esprit . L'échec annulait cette intuition ; il en était de Jésus comme de tous ceux qui, avant lui, avaient émis cette prétention : Theudas, Judas le Galiléen ... Leur mort avait témoigné de leur non-messianité . L'Ecriture ne disait-elle pas : " maudit ( de Dieu ) celui qui meurt sur le bois "

En outre, la conception des morts, que la mentalité juive partageait avec d'autres mentalités de cette époque, scellait une rupture totale avec la vie antérieure.

Pour les anciens, l'homme ne pouvait s'épanouir qu'en totalité, esprit et corps En l'absence de ce dernier, il ne pouvait y avoir ni conscience, ni sentiment . A la mort, quelque chose du défunt, son "ombre", subsistait dans les "enfers", lieu d'en-bas, sous la terre . C'était un lieu de ténèbres et d'oubli, réduisant à un sort misérable, sans expression, sans valeur et sans joie, totalement coupé du monde des hommes comme du monde de Dieu ( Luc 16/19 )

L'enseignement courant parlait d'un terme à cette épreuve qu'il présentait comme affectant les mauvais comme les bons. Il le situait à la fin des temps… c'est alors que Dieu "descendrait" et jugerait, les justes verraient leur situation évoluer; ils reprendraient leurs corps et, après transformation de celui-ci en "corps glorieux", ils trouveraient désormais place en paradis .

Le Christ ne s'était jamais étendu sur les questions d'après-mort, car il en sentait le piège . Les apôtres en étaient donc encore à penser "comme tout le monde". Présentement, tout était donc bien fini de "l'aventure Jésus", particulièrement les éléments d'humanité qui l'avaient enrichie . Eux-aussi reposaient désormais au tombeau des espérances déçues !

= Il est impossible de préciser l'événement qui amena une sensible évolution dans le groupe des disciples .

La rapidité de cette évolution est, pour nous, sujet d'étonnement et c'est pourquoi nous ne pouvons nier l'existence d'un "choc initial" dont les apôtres se diront les témoins . Les intéressés nous l'ont certifié mais ils ne nous ont rien décrit de la résurrection . Ils en ont exprimé la teneur dans le cadre de leurs conceptions et de leurs modèles de pensée, tels que nous venons de les préciser . Et, par la suite, c'est en un genre littéraire particulier qu'ils en rendront compte .

Leur présentation associe deux éléments qui se complètent et se rectifient suivant le schéma de leur vision physique du monde : disparition du corps, marquant sous forme mystérieuse le passage du séjour des morts au ciel, donc "en haut"… apparitions, marquant une "descente" du ciel au niveau de la terre et confirmant une présence …

Le choc initial est ainsi affecté d'une profonde dimension d'humanité : le Christ ne part pas, il revient ... ou, plus précisément, désormais il est là ( Jn 20/19 )

Deux remarques peuvent être ajoutées en ce sens :

- l'idée de résurrection n'était pas absente de la mentalité juive, puisque certains privilégiés étaient déjà considérés comme bénéficiaires de cet état de façon personnelle: Hénoch, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Elie étaient situés "au ciel", avec leur corps glorieux bien entendu ...

- lorsque nous cernons les bases sur lesquelles reposait l'antique conception des morts, nous constatons l'influence prioritaire de conceptions pré-scientifiques ... Ce sont elles, plus qu'une "révélation", qui justifiaient certaines restrictions relatives à la vie des défunts ...

Aujourd'hui, nous visionnons de façon moins étroite le lien entre le corps, la personne et l'esprit ; nous sommes libérés de l'imaginaire d'une vision étriquée du monde et de l'au-delà . En un sens, nous ne sommes pas loin de ce que les anciens exprimaient en parlant d'un passage des "enfers" au ciel. L'idée de résurrection n'est donc pas une idée qui fait systématiquement violence à l'esprit humain et le contraint à renoncer à ses propres valeurs ...

2ème étape : la "résurrection communautaire" de ses amis

Si l'événement nous échappe, ses conséquences appartiennent au niveau historique connu et il est légitime de parler à leur sujet d'un mouvement de résurrection qui jaillit de ce choc .

1. Le fil était renoué avec un Jésus que ses amis situaient désormais comme un "vivant", c'est-à-dire "retrouvant" ses facultés de penser, d'aimer, de rencontrer ...

Ils avaient bien conscience qu'il s'agissait d'un autre état de relations ; ils n'ont jamais présenté la résurrection comme un retour, pur et simple, à l'état antérieur. Mais la rupture absolue qu'introduisait la conception courante au sujet des morts ne s'imposait plus . Les qualités qui avaient enrichi le dialogue antérieur s'inscrivaient spontanément dans ces nouveaux rapports avec Jésus ressuscité : accueil, patience, souci de chacun, confiance, appel à la mission ... Elles s'en trouvaient même amplifiées en étant intériorisées ...

2. La conscience de la résurrection ne pouvait que déborder la relation personnelle et affecter un message qui restait intimement lié à la personne de Jésus . Précisons bien :

* Jésus ressuscité ne dit pas grand' chose de plus ; il renvoie toujours à ce qui était développé et vécu avant sa mort . " Il ne s'agit pas d'un ressuscité venu d'un autre monde nous parler d'un univers nouveau qu'il vient de découvrir " ( J. Guillet ) L'humanité vécue auparavant reste et demeure intégralement au cœur du message .

* La résurrection redonne aux paroles et actions de Jésus leur caractère vital d'engagements concrets au service des hommes .Elle invite à mieux mesurer la vérité de ce qu'il avait proposé jusque-là sans parvenir à convaincre totalement . Elle ne supprime pas la vie "terrestre" de Jésus comme sans importance; elle l'établit au contraire dans sa vérité .

* De ce fait, elle accentue le caractère d'universalité que recèle ce patrimoine . Elle ne crée pas cette universalité ; plusieurs de ses disciples en avaient sans doute l'intuition, mais sans être à même d'en mesurer la portée . Il faudra d'ailleurs bien des années pour accéder à une véritable universalité, hors du cadre juif ...

3. Très logiquement, la foi en la résurrection attire la réflexion sur les circonstances de la passion et de la mort du Christ . L'enchaînement rapide des événements lors de ce drame n'avait pas permis à ses amis de les situer clairement dans la ligne du combat qu'il menait depuis le début de son activité publique . Le recul favorisait cet approfondissement et la résurrection faisait ressortir l'efficacité de ce combat puisqu'il dépassait la mort .

4. A plus longue échéance, cette foi poussera certains de ses amis à éclairer sous cet angle l'ensemble de son activité. Marc, entre autres, utilisera le vocabulaire de la résurrection pour présenter nombre d'épisodes antérieurs : guérisons ... enseignement de lumière au milieu des ténèbres ... espérance des délaissés et des pécheurs ayant pris un nouveau départ sous l'influence de Jésus ... A ses yeux, la résurrection était "en marche" dès le début .

En présentant les choses ainsi, il est évident que nous nous situons à grande distance de l'événement et des premières réactions des témoins. Il importe de revenir plus en détail sur les années intermédiaires.

3ème étape : le rayonnement de la résurrection en milieu juif

= "l'humanité" de la "résurrection" communautaire

Les Actes des Apôtres nous renseignent sur la communauté qui se reconstitua au lendemain de Pâques et nous soulignent la cohérence de sa "vie interne" avec ce qui avait été vécu antérieurement. Mais la présentation symbolique du jour de Pentecôte, point de départ de la prédication, risque de nous orienter différemment en ce qui concerne la transmission du message. D'où l'illusion fréquente d'une diffusion quasi-miraculeuse, portant au monde entier un message exprimé, dès le départ, en une formulation immuable.

En poursuivant la lecture des textes et en les recoupant avec les écrits profanes, force est de constater qu'il n'en a rien été : il apparaît au contraire que le "style" de cette diffusion a été des plus "cohérents" avec la manière dont Jésus avait tracé son témoignage antérieur. Certes, elle fut rapide mais elle ne s'opéra pas du jour au lendemain : durant les premières années, les apôtres restèrent centrés sur Jérusalem… il fallut du temps pour que les pratiques juives cessent d'être imposées aux nouveaux convertis… ce ne sont là que quelques exemples…

Quant à la compréhension des événements-fondateurs, avant d'arriver à une synthèse en visée universelle, la première communauté eut à assumer une période de mûrissement avec ce que cela comporte tout à la fois d'audaces et d'hésitations, de lumières et d'ombres, de pistes ouvrant l'avenir et d'enlisements menant à des impasses ...

C'est ainsi qu'au plan littéraire du Nouveau Testament, nous héritons de deux "expressions" qui intègrent des modèles de pensée légèrement différents. Elles correspondent aux milieux successifs où s'est approfondi le message : le milieu juif auquel appartenait les compagnons de Jésus… puis le milieu très diversifié de ceux et celles qui s'intéressèrent à leur prédication…

Pour appuyer sa crédibilité, la seconde expression s'est construite à partir de la première et en a conservé plusieurs lignes. Il s'ensuit que des références peuvent ne pas être "significatives" pour un lecteur moderne, particulièrement les références à l'Ancien Testament. Mais cette difficulté elle-même témoigne de "l'humanité" d'une compréhension progressive

°- "L'humanité" de la transmission passée demeure d'ailleurs un atout majeur pour l'actualité de la foi chrétienne. Car elle fait plus que nous renvoyer à "l'humanité" du témoignage initial, elle nous rappelle l'humanité que doit revêtir la transmission actuelle… Chaque évolution de civilisation exige de repenser certaines présentations et certaines "approches" au service des chrétiens contemporains…

= premier mûrissement en milieu juif

* Le Christ n'avait pas isolé ses amis de leur milieu juif, pas plus qu'il n'avait vécu au milieu de "purs esprits désincarnés" . C'est au contraire au sein de ce milieu qu'il avait mené son activité, utilisant toutes les richesses dont le judaïsme était porteur : sa foi, sa pensée, sa culture, son histoire . C'est à l'intérieur de ce cadre que ses amis avaient amorcé une "ouverture", sans en sortir jusque-là .

Nous ne devons donc pas être étonnés de les voir se référer en premier à leur culture initiale pour situer et comprendre les événements dont ils avaient été témoins ... D'autant plus que le premier auditoire était composé exclusivement de juifs . Il était naturel de faire comme Jésus avait fait, c'est-à-dire s'exprimer dans le vocabulaire habituel, en se référant au patrimoine culturel du temps . Agir autrement aurait été, non seulement inefficace, mais en contradiction avec la "méthode" retenue du Maître.

*- Dans l'esprit des apôtres comme dans celui de leurs auditeurs, trois interrogations résumaient les points sensibles : Jésus était-il le Messie attendu, malgré le "style" qu'il avait adopté et qui ne correspondait pas exactement à ce que les commentaires habituels prévoyaient ?… Sa mort ne s'accordait pas avec les Ecritures, qui refusaient la messianité à ceux qui finissaient comme lui… Quel était le lien exact entre Jésus et le monde divin ?

*- Pour répondre à ces questions, la tournure familière de référence aux Ecritures fut sollicitée . Pour un juif, tout événement religieux est censé y être déjà en germe et en promesse… En outre, lorsqu'ils ouvraient des perspectives messianiques les écrits bibliques exprimaient une grande diversité sur le mode que prendrait l'intervention divine.

Parmi ces "lignes espérées", quelques chapitres du livre d'Isaïe émettaient l'idée d'un Serviteur souffrant, humilié et rejeté, sauvant ses frères par sa patience et sa foi en Dieu... Après les événements de Pâques cette perspective rejoignait les interrogations que portaient les disciples tout comme les opposants; nous ne pouvons donc être étonnés de sentir son influence en arrière-plan des passages les plus anciens.

*- Même si l'influence de ces références ne pouvait être que transitoire, elles permirent de garder un bon équilibre : elles maintenaient le Christ en profond partage d'humanité avec les hommes ... elles rappelaient sa mission de service et non de domination ... le drame de sa mort était perçu très simplement dans son rapport à Dieu : le Serviteur était rejeté par les hommes et Dieu le soutenait dans l'épreuve ... avant de le faire triompher .

= Les risques : Ces références aux Ecritures étaient légitimes, mais elles n'étaient pas sans risques

°- Elles "enfermaient" Jésus dans un cadre juif quant à la signification de sa mission et de son activité . Certes, quelques prophètes avaient présenté un éclatement des frontières et parlé d'une vocation d'universalité concernant le peuple juif . Pour des raisons historiques, ils avaient été peu écoutés . En outre, ils voyaient cette universalité centrée sur Jérusalem, pôle d'attraction de toutes les nations ...

°- Elles ramenaient surtout à la mort de Jésus et, concernant cette mort, elles entraînaient la réflexion sur un plan quelque peu théorique . Inconsciemment elles tendaient à "expliquer" les faits plus qu'à en méditer le cadre historique concret. Elles introduisaient ainsi un certain "clivage" : ce que Jésus avait vécu était dissocié de la personnalité qui s'y était exprimé . Jésus semblait remplir une "fonction", dans le cadre d'un plan divin que l'on prétendait connaître "en dehors" du déroulement de sa mort ...

Ce clivage favorisait en outre la contamination de nombreux à priori, risquant d'orienter les esprits dans un seul sens. En voulant rapprocher de la ligne messianique retenue, on risquait de passer sous silence les autres dimensions, tout aussi importantes, dont témoigne le déroulement effectif....



4ème étape : la réaction du souvenir au service d'une ouverture universelle

Heureusement pour nous, les amis de Jésus ne pouvaient oublier les années privilégiées qu'ils avaient partagées totalement avec lui ... compagnons de tous les instants, bénéficiaires d'une telle amitié, d'une telle densité d'humanité ... Sans cesse ils y reviendront : " ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché de quelqu'un qui était Parole de vie ... tout ceci, nous vous l'écrivons, pour que notre joie soit complète " ( 1ère lettre de Jean 1/1-4 )

Ce rapport au passé aurait pu être l'expression d'une nostalgie . C'aurait pu être un reportage "anecdotique", entrant dans le détail de l'aventure antérieure ... Ce fut tout autre chose …

On peut parler d'une intelligence de la foi qui, chez eux, s'était développée en plusieurs étapes avant de s'exprimer en écrits.

*= Le passé s'était ancré dans leur mémoire selon la manière habituelle, qu'accentuait leur formation juive : paroles et actions sont intimement liées entre elles .

Ceci était important pour l'avenir : en tout événement, au moment "historique", la parole permet de comprendre le sens de l'action . Ensuite, la parole s'estompe au risque d'être déformée . Le détail de l'action, assimilé plus précisément en mémoire, permet de retrouver le discours - ou son équivalent - et de le contrôler .

*= Au premier temps de la communauté chrétienne, s'était opérée une vaste mise en commun des souvenirs conservés par les uns et les autres . Quoi de plus naturel au sein d'un groupe fraternel, proche des événements et réuni de nouveau dans sa foi en la résurrection de Jésus !

*= Les apôtres avaient également eu conscience que la mission continuait… ils avaient d'ailleurs été sollicités en ce sens par leur entourage; beaucoup de leurs auditeurs n'avaient pas connu Jésus ou étaient restés indifférents à son témoignage. Leur formation n'étant pas rabbinique, ils n'avaient pas été portés à élaborer de suite un message. Il leur était plus facile de rapporter les paroles et les actions de Jésus. Partant de leur cas personnel, ils pouvaient y situer la source de la foi.

*= Très naturellement, pour un bon impact de la prédication, les souvenirs avaient été peu à peu situés en hiérarchie de présentation . Quelques faits significatifs avaient émergé, sans pour autant annuler l'impact personnel que d'autres faits ou paroles conservaient dans la mémoire des différents témoins .

°= Tous ces épisodes particuliers se présentaient en multiples facettes d'un témoignage global… Après un premier temps de "mémoire", c'était celui-ci qu'il avait fallu présenter et rendre compréhensible par des convertis d'origines de plus en plus diversifiées..

Cette mission avait intensifié la mise en valeur de certains traits, de certaines réactions ... tandis que d'autres détails s'estompaient en raison de leur caractère relatif . Il en était ainsi de la datation exacte de certains épisodes qui se rejoignaient au service de la même idée… De même il était évident que la prédication itinérante avait amené Jésus à aborder des questions immédiates qui ne présentaient plus le même intérêt…

°= Peu à peu, chaque épisode s'était doublé d'un sens... sens peut-être entrevu au cours de la vie publique de Jésus, mais surtout sens découvert, confirmé ou amplifié à la lumière des événements ultérieurs . Il était normal de le faire ressortir dans le témoignage . Il n'était pas question de trahir la réalité historique ;.Jésus serait alors devenu un mythe . Mais il n'était pas non plus question d'atténuer l'impact concret de ses actes et de ses paroles en réduisant la présentation à une "théorie" sur Jésus.

Cette double exigence avait accentué le souci de précision au niveau de la signification . C'est par une présentation affinée que les premiers chrétiens avaient cherché à exprimer le sens qu'ils retiraient de ce qui avait été vécu . Le choix des détails, détails réels, avait été mis au service de cette intention . Ainsi était né le "symbolisme ordinaire" qui caractérise la forme définitive en laquelle nous a été livré le témoignage de la première génération chrétienne .

°= Les exigences de la prédication n'avaient pas été les seuls acteurs de cette intelligence des événements . Peu à peu s'était précisée une originalité de la "proposition de foi" chrétienne : il était possible de parler de l'enseignement ou du message de Jésus, mais à condition de ne pas séparer la personne du message.

Trois éléments sont indissociables les uns des autres : les paroles sont importantes ... les actions sont liées étroitement à ces paroles et en expriment le sens... mais il y a également la personnalité elle-même, dont la densité dépasse paroles et actions… C'est la conjonction de ces trois éléments qui donne valeur à chacun. . .

La vive conscience qu'ils avaient de la résurrection personnelle de Jésus les aidait à maintenir cet équilibre. La croix peut cacher le crucifié en devenant une "catégorie explicative" illustrant le salut du monde… la résurrection ne peut éloigner du ressuscité puisqu'elle rappelle d'elle-même sa présence permanente.

Les compagnons de la première heure avaient vécu cet ensemble de façon diffuse, sans être à même de l'expliquer ... le choc de la résurrection en avait sauvé le souvenir... il avait fallu ensuite le développer, l'approfondir, le confronter à d'autres civilisations avant que ne s'impose la conscience de sa dimension universelle. L'heure était venue de dépasser les écrits partiels pour que l'avenir puisse s'en nourrir pleinement.

4ème étape : au service de la "résurrection universelle" : les Evangiles

= C'est alors que furent écrits les Evangiles, Marc sans doute entre 65 et 70, Matthieu et Luc vers 8O, Jean plus tard .

Ils le furent dans la même perspective . Les auteurs s'appuyaient sur des traditions antérieures qui avaient regroupé les souvenirs des apôtres, pourtant, en reprenant ces documents, leur but n'était pas de présenter une histoire au jour le jour. Ils désiraient fournir à la réflexion de leurs frères chrétiens quelques matériaux significatifs, solidement enracinés historiquement.

= Le genre littéraire qu'ils adoptèrent - ou construisirent - est en effet tout à fait particulier .

En chacun des évangiles il est possible de percevoir un fil conducteur, mais ils ne se présentent pas comme des "écrits doctrinaux" ou des "recueils de morale"… Il est plus exact de les aborder comme des "pistes de lecture" ( ou d'approfondissement ) invitant à approfondir les années "historiques" du ministère de Jésus. Avec beaucoup de réalisme et au long de cette trame, enseignements et récits sont proposés comme sources d'une compréhension plus juste et plus profonde du témoignage passé…

Discrètement ou plus explicitement, le lecteur est invité à dépasser le secteur limité de cette histoire terrestre pour se poser les vraies questions : Qui donc était Jésus ? Quel rapport son aventure peut-elle avoir avec notre "humanité vécue" aujourd'hui ? ... Dans ce cadre, les réponses ne peuvent être que personnelles, mais ces réponses peuvent ainsi sortir de l'abstraction et trouver un enracinement solide dans une réalité historique.

= Le matériau était tellement riche que nous ne devons pas nous étonner d'une pluralité d'approches complémentaires . D'ailleurs il y en eut sans doute plus que quatre ...

* Marc propose de refaire le cheminement de foi qui s'est imposé historiquement aux apôtres : passer de Jésus à Messie puis de Messie à Fils de Dieu. Mais il ne s'agit pas pour lui d'une adhésion théorique, il s'agit d'accueillir l'apport créateur d'un témoignage qui s'est voulu parfaitement adapté à notre humanité. En première partie, il regroupe les engagements de Jésus qui visaient le "positif" de nos vies : les guérisons, l'enseignement, l'universalité d'un partage "nourrissant"… En deuxième partie, il poursuit en abordant le temps où Jésus a été amené à reprendre le "négatif" de nos vies, à savoir l'exigence "naturelle" de passer par la passion pour parvenir à la résurrection.

En toile de fond de sa présentation, l'évangéliste insiste sur le drame qui est résulté de l'incompréhension des contemporains . Jésus était trop proche de nos conditions d'existence, trop soumis aux limites d'une vie humaine - jusqu'à mourir crucifié . Pourtant, c'est en cette humanité qu'il nous révèle son vrai visage, notre vrai visage et le vrai visage de Dieu.

* Matthieu nous exprime la richesse du témoignage du Christ sous l'angle d'une "nouvelle création" qui s'inscrit dans la ligne de la première et en révèle plus explicitement les valeurs.

Pour illustrer sa composition, on peut reprendre l'image d'une fusée à trois étages. Il adopte en effet le schéma d'un développement en trois temps : Jésus a repris les valeurs d'humanité que portait l'Ancien Testament… Il y a ajouté, au long de sa vie publique, une densité exceptionnelle d'exemple, de partage et de présence… A partir d'elle, s'esquissent les lignes d'universalité que la résurrection fait ressortir et qu'il appartient à la réflexion postérieure de préciser.

L'évangéliste fait souvent référence à l'Ancien Testament, en mentions explicites ou de façon voilée. Mais, sa foi est née au deuxième temps de cette vision globale et a exigé de nombreux points de rupture avec son héritage juif. C'est pourquoi, en première lecture, il est facile de bénéficier de sa présentation, même si l'on ne dispose pas d'une connaissance approfondie des écrits de l'Ancien Testament

* Luc, de mentalité et de culture grecques, traduit une visée très humaniste et très universaliste du message de Jésus .

Toute son œuvre est sous-tendue par l'admiration qu'il porte à Jésus. Mais il ne convertit pas cette admiration en contemplation "mystique", il la focalise sur l'engagement de Jésus dans le mouvement du monde des hommes. Il développe en ce sens ses traits d'humanité : sa pauvreté, ses choix, son accueil des petits et des marginaux, ses échecs, ses joies ... Le lien exceptionnel à Dieu, souligné dès la conception, n'éloigne pas Jésus de notre monde ; bien au contraire, il l'y projette .

Luc est un converti de la deuxième génération, la prédication apostolique l'a rejoint en une région éloignée de la Palestine. Il est donc à la fois sensible à l'universalité du message de Jésus et sensible au mouvement de l'Eglise qui le lui a porté. Il réussit à aborder les deux sujets en les référant à Jésus. En une première partie, il concentre le ministère de Jésus en Palestine… en une longue "montée vers Jérusalem", il fait ensuite émerger les questions qu'il tient pour essentielles dans la vie de l'Eglise et il les éclaire de l'enseignement-même de Jésus.

* Jean paraît le plus théorique dans sa présentation . Son style est parfois ardu et les "discours en appellent à des considérations "théologiques" ...

Pourtant, le Jésus dont il témoigne qu'il est "Parole de Dieu", est un Jésus engagé dans notre monde avec ses polémiques, ses affrontements ... un Jésus respectueux des hommes et de leur liberté ...un Jésus épanoui qui partage sa joie avec tous à Cana ... un Jésus solidaire de ses amis, malgré les oppositions, et marquant par le geste du lavement des pieds jusqu'où son amitié voulait aller ... Sept épisodes sont mis en évidence comme "signes" et visent à susciter la foi een celui qui se présente en Chemin-Vérité-Vie

De nombreux indices laissent penser que plusiuers auteurs ont apporté successivement leur contribution à une œuvre initiale. D'où une alternance de précieux renseignements qui complètent ceux que livraient les écrits précédents et de discours qui obligent à changer de registre…

= En conclusion…

Au terme de ce mouvement de résurrection, un constat s'impose : le potentiel d'humanité que recelait l'aventure historique nous a bien été transmis dans son authenticité, sa densité et son dynamisme ... Il nous est donc possible de nous laisser rejoindre, nous-aussi, par cette aventure .
A son sujet nous disposons de plusieurs "ensembles", les plus explicites étant les Evangiles . Généralement ils se présentent en édition groupée… en format ordinaire, le texte couvre environ 300 pages qui se répartissent ainsi : 15 pages pour les événements de la naissance et de l'enfance… 240 pages pour les épisodes de la vie itinérante… 30 pages pour la passion et la mort en croix… 15 pages pour les événements de la résurrection.

Qu'est-ce donc que la foi chrétienne ?

3. naissance de la foi chrétienne personnelle

Le mouvement de résurrection, issu de l'engagement historique de Jésus, poursuit sa marche et son rayonnement à travers les siècles et les continents. C'est ainsi qu'il parvient à des générations nouvelles, composées d'hommes et de femmes qui sont amenés à se situer par rapport à lui.

Les historiens ne peuvent que "survoler" les réactions individuelles. Le plus souvent, ils les intègrent dans les comportements généraux propres aux différentes époques ; ils tentent de discerner les influences sociologiques ou politiques qui ont pesé sur la transmission du message initial et son implantation en des terrains nouveaux… Du fait de cette globalisation, ils donnent de la foi chrétienne une vision théorique qui relativise son intérêt aux yeux d'un grand nombre…

C'est ainsi que la question de la naissance de la foi chrétienne personnelle est rarement abordée… comme si la chose allait de soi et ne méritait pas une attention particulière… comme si l'évangile n'était pas témoin d'une personnalisation et d'une "humanisation" poussées au plus haut point dès le premier instant…

Au départ, une rencontre …

= Que ce soit aux temps historiques ou que ce soit aujourd'hui, la foi chrétienne naît toujours dans le cadre d'une rencontre entre deux personnes, deux personnes bien précises : Jésus et celui (ou celle) qui se sent concerné et lui prête une première attention …

On ne peut pas être chrétien sans le savoir… On ne peut pas être chrétien parce que tout le monde a été chrétien dans la famille… on ne peut pas être chrétien parce qu'on a appris "des choses religieuses" dans son enfance… On est chrétien parce qu'un jour, de façon personnelle, on a réalisé qu'un être bien précis, Jésus, était présent sur notre route…

= Il est très délicat de parler de cette rencontre, car chaque personne, foyer d'intelligence, d'affectivité, de décision, est unique, … Nous sommes là au cœur du "mystère de chacun", c'est-à-dire de la profondeur de sa vie et, comme toute vie, elle ne peut être disséquée sans dommage…

= Contrairement à certaines idées reçues, la plus grande diversité marque cet instant initial et empêche de le "classer". Il n'y a pas de "rencontre standard", ni de "passage obligé" pour la provoquer, pas plus qu'il n'y a de "réponse classique" pour y correspondre. Les évangiles sont unanimes pour souligner la spontanéité et la liberté des premiers contacts entre Jésus et ses amis.

Jean, en particulier, insiste beaucoup sur cette diversité. Le Baptiste invitait à la rencontre en parlant de "celui qui se tient au milieu de vous et que vous ne connaissez pas"… André l'a proposée à Pierre en ambiance fraternelle… Philippe l'a vécue plus intérieurement… Nathanaël était sensible aux obstacles qui semblaient la dévaloriser et l'a différée quelque temps… Nicodème a eu peur de son entourage et a profité de la nuit pour venir trouver Jésus… La Samaritaine ne s'y attendait vraiment pas…

= Malheureusement, des confusions, des malentendus, des à priori peuvent annuler toute envie de rencontre en "défigurant" l'une des personnes aux yeux de l'autre… Il en a toujours été ainsi, mais actuellement, chacun peut en convenir, la "personne" du Christ n'est pas sortie indemne des siècles passés . Pour une majorité de nos contemporains occidentaux, Jésus n'apparaît plus dans la dynamique qui a porté le mouvement de résurrection à son origine… La caricature qui en est faite suscite plus d'hésitations que d'adhésions. En outre, elle rejaillit en caricature de la réponse chrétienne qui pourrait être apportée.

Il nous faut donc aborder sans complexe ces deux dérives en revenant à la source et en l'intégrant aux modèles de pensée de notre époque.

Les titres des paragraphes se réfèrent à deux textes du Nouveau Testament qui peuvent illustrer positivement notre sujet : Apocalypse 3/20 "Je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour prendre le repas, moi près de lui et lui près de moi…" . Luc 24/13 " Au soir de Pâques, deux d'entre eux faisaient route et parlaient entre eux de ce qui s'était passé. Comme ils parlaient ensemble, il advint que Jésus en personne s'approcha et faisait route avec eux, mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître…"

Jésus, une personne qui paraît sur nos routes…

"Je me tiens à la porte et je frappe"…

Jésus, une personne au présent

*- Les premiers amis de Jésus insistent sur l'impression tout à fait unique que sa personne a produite sur eux. Ce sont ses faits et gestes qui ont été le point de départ de leur réflexion, la source à laquelle ils sont revenus sans cesse pour découvrir de plus en plus profondément le sens et la portée de "l'événement Jésus".

Lorsqu'on parcourt leurs textes, on perçoit qu'ils n'ont pas voulu élaborer une "doctrine" où Jésus aurait la place centrale. Ils se situent sur un autre plan : il y a Jésus et il n'y a que lui : son rayonnement personnel, ses colloques intimes avec eux, ses enseignements accessibles au plus grand nombre en raison de leur clarté… Ils restent centrés sur les mois extraordinaires qu'ils ont vécus sur les routes de Palestine de 28 à 30 et ils veulent nous rapporter leur visage "humain", incarné dans une multitude de contacts, de dialogues, de situations les plus diverses, y compris la mort … visage d'une personne qui s'y est exprimée, en leur faveur comme en faveur de tant d'autres.

*- Il est toujours difficile de communiquer ce qui appartient à l'expérience personnelle. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que chaque époque soit marquée d'atouts et d'handicaps différents pour accueillir ou concevoir le visage et la personnalité de Jésus. Il en a été ainsi dès l'origine alors que sa présence était des plus naturelles. Pour des raisons qui appartenaient à leur histoire et à leur situation locale, nombre de ses contemporains ne lui ont pas prêté attention. "Il est venu chez lui et les siens ne l'ont pas reçu" Jean 1/11.

Les handicaps actuels ne doivent pas nous étonner mais ils ne doivent pas retenir trop longtemps l'attention… A vouloir les analyser dans le détail, on finirait par "brouiller" l'essentiel et oublier que de nombreux "impondérables" caractérisent le renouvellement des générations et se présentent en "atouts" souvent imprévus, favorisant le présent et orientant l'avenir !

le présent de la résurrection

*- Il est exact que: nous ne sommes plus aux temps historiques et que Jésus se présente à chacun dans un état "ressuscité"… ce qui représente à la fois une difficulté et une chance…

La difficulté réside dans le fait qu'il semble s'agir d'un état "hors nature", tout au moins d'un état qui échappe à l'expérimentation commune. Même si, personnellement, nous assumons cette difficulté, nous sentons bien qu'elle pèse sur le jugement que nos contemporains portent sur la démarche de foi : "douce illusion"… "utopie sympathique"… Paul en était déjà victime à Athènes (Actes 17/32) …

Cette difficulté se trouve renforcée par "l'imaginaire" que transmettent les mentalités habituelles. Dès qu'ils en parlent, la majorité de nos contemporains situent Jésus "au ciel", dans un monde totalement coupé du nôtre. Ils admettent qu'il en sort parfois pour réaliser une présence miraculeuse ou apporter un petit coup de pouce aux événements… mais pas plus !

A ce premier handicap, ils en ajoutent un second : le plus souvent, ils affectent le visage qu'ils lui donnent d'un "coefficient" terriblement "négatif" . La multiplication des croix y contribue largement. Présenté comme prioritaire, ce signe rejaillit actuellement en pesanteur plus qu'en épanouissement d'une rencontre…

C'est là ne rien comprendre à la résurrection telle que nous en témoignent les évangiles

= Qu'il y ait impossibilité à en concevoir "la matérialité", ceci est certain… Mais, il en est de même pour de multiples domaines invisibles au milieu desquels "baigne" notre existence terrestre. Nous avons largement évolué sur la "matérialité" et la localisation du ciel… sur la continuité de vie des défunts… Nous admettons facilement la diversité de "nature" qui affectent les relations qui nourrissent nos existences humaines… Ce n'est pas pour autant que nous parlons d'illusions …

= Quant au "visage" que l'on prête communément à Jésus, il serait bon de "l'évangéliser" quelque peu. Nul ne peut contester que Jésus s'est révélé être une personne qui aimait vivre des liens personnels avec d'autres personnes. Ce fut là une qualité essentielle de son témoignage …

Ce fut également son originalité. Souvent, les fondateurs de religion se révèlent être des séparés, restant à l'écart ou "au dessus" des mentalités de leur époque, se mêlant difficilement à ce qui fait la routine journalière. Jésus, au contraire, a abordé de plein pied l'humanité de son temps. Par choix délibéré, il a été vers elle avant même qu'elle ne vienne vers lui… Certaines présentations passent un peu vite sur son sourire, son humour, son regard, sa spontanéité…

Nous ne voyons pas pourquoi cette richesse de contact lui manquerait aujourd'hui, sous prétexte qu'elle s'étend désormais aux hommes et femmes de tous les temps et de tous les lieux.. Nous pensons au contraire que ce ne fut pas un privilège exclusif réservé aux amis contemporains de sa présence historique visible… Les trois mots qui peuvent résumer son engagement d'hier doivent être appliqués à son engagement d'aujourd'hui : désir d'être proche, permanent et efficace… dans le champ de la liberté de chacun.



Jésus, une personne riche d'une "expérience humaine"

Nous y avons insisté lorsque nous esquissions l'engagement historique qui est à la source de la foi chrétienne. L'optique des évangiles ne fait jamais abstraction de ce qui a été effectivement vécu par Jésus. Pour leurs auteurs, la résurrection ne supprime pas sa vie terrestre, elle l'établit au contraire dans sa vérité… Elle lui communique une stimulation qu'elle n'avait pu avoir jusque-là en raison même des conditions humaines qu'elle respectait.

Il est vrai, comme toute aventure humaine, celle de Jésus a été conditionnée par le cadre de son époque et le lieu où il s'est incarné. Des événements ponctuels affectant les personnes rencontrées et leurs réactions ont influé sur ses décisions. Il est cependant possible de discerner le potentiel personnel qu'il a investi, en paroles et en actes. La convergence et la complémentarité des évangélistes sur ce point nous sont d'un grand secours.

Nous reviendrons plus en détail sur les multiples "lignes de force" que nous percevons dans cet engagement. Mais, dans les conditions actuelles, il apparaît nécessaire de les intégrer explicitement à deux perspectives essentielles qui en ressortent et n'ont rien perdu de leur actualité : Jésus "visage" de l'homme… Jésus "visage de Dieu"…

Au nom du "respect religieux", une tendance habituelle tend à situer la seconde en priorité et c'est souvent ainsi que l'on présente la "rencontre" qui est au cœur de la foi chrétienne. Les évangiles nous témoignent d'un autre cheminement, beaucoup plus créatif et, de ce fait, beaucoup plus sympathique. Jésus s'est glissé dans le champ de notre humanité et il l'a élargi pour en éclairer le champ mystérieux de la divinité…



l'humanité de Jésus = proposition d'un "visage de l'homme"

= Toute personne, parce qu'elle est douée d'intelligence et de volonté, est amenée à donner un sens à sa vie. Exprimé sous cette forme, cela peut paraître une démarche très "intellectuelle", mais c'est une réalité à laquelle nous sommes tous affrontés . Prétendre s'en dispenser revient à se livrer, pieds et poings liés, au tohu-bohu environnant comme le mouton suit le troupeau .

Cette recherche d'un "sens de vie" ne va pas de soi . Elle nous amène à aller au plus profond de nous-mêmes, de notre personnalité . Mais nous n'y trouvons pas de réponse toute faite, inscrite comme un caractère génétique . Il nous faut la construire ... donc réfléchir.

Pour nourrir cette réflexion, nous nous tournons vers l'extérieur, ce qui est vécu ou a été vécu par d'autres personnes semblables à nous . Il ne s'agit pas de suivre aveuglément tel ou tel leader, il s'agit de recueillir dans ces témoignages ce qui est susceptible de soutenir ou d'enrichir notre propre cheminement .

Les exemples ne manquent pas, surtout en notre civilisation où les média mettent en contact avec une pluralité de cultures, informent plus précisément sur les comportements et donnent à beaucoup l'occasion d'exprimer les valeurs auxquelles ils croient.

Dans la sélection que tous sont amenés à faire, un "test" joue un grand rôle : le degré d'humanité qui a été engagé et qui ressort du vécu déployé dans le témoignage concerné . En tous temps d'ailleurs, cette "ouverture" a été une condition préalable qui suscitait - ou non - l'intérêt ultérieur .

= C'est bien ainsi que Jésus nous propose d'amorcer notre dialogue avec lui…

Certains diront : "Pourquoi choisir Jésus plutôt que tel ou tel penseur, tel ou tel témoin, aussi connu et plus moderne ? ... " Chrétiens, nous répondons sans prétention : en raison de son degré d'humanité ...

Il n'y a là aucun mépris pour ceux et celles qui ont cherché, comme lui, à rayonner les valeurs que tout homme porte en lui ... Bien des points peuvent d'ailleurs se retrouver dans le désir de "servir" le devenir des autres, aussi bien que dans les pistes proposées pour cet épanouissement . Aucun étonnement à cela : le matériau est le même, à savoir notre humanité

visage d'une humanité "réussie"

A la lumière d'une bonne connaissance de l'aventure historique de Jésus, le chrétien estime qu'il lui est proposé un "capital" qui soutient la comparaison avec d'autres exemples et justifie son choix .

Pour lui, le Christ n'est pas un personnage de l'histoire passée qui aurait laissé une doctrine dans laquelle chacun pourrait piocher à sa guise … Le Christ est quelqu'un qui a fait l'expérience de l'homme en ce qu'elle a de plus fondamental ... "il a laissé l'humanité, cette portion d'humanité dans laquelle il a vécu, lui coller à la peau, pour la vivre "par le dedans", pour mieux en sentir toutes les pulsations, les aspirations, les bagarres, les souffrances, les désespoirs, les haines et les solidarités."

"En le voyant vivre, nous ne pouvons pas douter de ce qu'il y a de grand et de beau dans l'homme. Car nous n'avons pas l'impression de nous trouver devant un surhomme, un de ces héros de légende dont nous sentons bien qu'ils n'ont aucune existence réelle. Nous rencontrons quelqu'un de bien présent, à l'aise dans toute sa densité humaine" et heureux de l'assumer.

Et si le chrétien prend Jésus comme référence suprême et unique c'est qu'il reconnaît en lui une "réussite" d'humanité achevée, sans cesser d'être fraternelle et proche de tout un chacun .

Il est vrai qu'il nous faut aujourd'hui abandonner le triomphalisme qui a marqué certains discours passés traitant de ce sujet. Une meilleure information sur la diversité des cultures qui ont marqué ou marquent notre histoire humaine mondiale, conduit à tempérer la possibilité de définir avec précision une "nature humaine universelle" ... Ceci n'oblige pas à tomber dans l'excès inverse. Le témoignage historique de Jésus est un capital qui "fait le poids" d'autant plus qu'il ne repose pas sur une illusion ou ne se cantonne pas à un exposé théorique !

= Au départ, c'est donc là une des grandes richesses dont nous disposons ; d'autres questions se poseront ensuite : comment s'y relier et y puiser l'animation de la vie concrète ? ... Quelle peut être la source de cette plénitude d'humanité ? ... Quelle relation vivre avec ceux qui partagent cette référence ? ...

Mais le regard vers l'humanité du Christ reste premier . Le chrétien ne doit jamais l'oublier et toujours y revenir .

= C'est pourquoi la foi chrétienne entre pleinement dans le jeu des lois de communication et d'influence réciproque que nous vivons quotidiennement ... Non seulement, elle ne peut s'en dispenser sans cesser d'être elle-même, mais elle y fait appel comme à une exigence première .

Au temps d'une première rencontre avec les "choses de la foi", c'est là une impression confuse et c'est pourquoi nous ne faisons que la mentionner. Nous y reviendrons en entrant davantage dans son "fonctionnement".



l'humanité du Christ = expression d'un "visage" de Dieu

= La question du monde divin est une question délicate. Tout homme, quel qu'il soit, y est affronté lorsqu'il passe du souci d'animation de sa vie concrète à une réflexion sur le "sens" de ce qui l'entoure. Même si, pour le chrétien, cette réflexion s'oriente ensuite en une direction précise, elle part des interrogations fondamentales que se pose tout contemporain… Elle est antérieure au choix de la foi.

En raison du "mystère" que l'on cherche à rejoindre, les manières de parler du monde divin reposent nécessairement sur des bases fragiles … De tous temps, des a-priori ou des raisons de convenance relatives ont eu tendance à envahir l'imaginaire des mentalités et à contaminer les présentations. Majoritairement ces dérives accentuent une vision triomphaliste de Dieu et une conception pessimiste de l'homme…

= Beaucoup font une erreur d'appréciation au sujet de la démarche chrétienne : à proprement parler, Jésus n'a pas créé les questions sur Dieu… il a éclairé celles qui nous concernent plus directement et il nous aide à mieux situer nos réponses. Avant comme après lui, nombre de questions restent dans l'inconnu, particulièrement celles qui concernent la création du monde et des hommes… l'origine du mal… la présence de la souffrance… le sens de l'histoire… l'au-delà de la vie terrestre…

Par ailleurs, Jésus n'est pas parti d'une théorie sur la divinité à la manière des philosophes du 18ème siècle qui dissertaient sur l'Etre suprême ou l'Architecte du Monde… Il ne s'est pas non plus présenté en personnage émanant d'un monde inconnu et nous donnant description de son "mystère"… C'est par un témoignage graduel et nuancé, de grande densité humaine, qu'il a éveillé chez ses contemporains une réflexion renouvelée concernant le monde divin.

les étapes d'une découverte

= Il vaut la peine de préciser ces étapes, particulièrement en rapport avec les trois questions qui sont habituellement soulevées : l'existence d'un monde divin… le "visage" qu'il convient de lui donner… et le rapport de Jésus à ce monde divin…

1.- Jésus s'adressait à des personnes qui optaient positivement pour l'existence d'un monde divin. Il n'a donc pas abordé directement cette question. Nous pouvons cependant remarquer qu'en balayant certaines confusions, il contribuait indirectement à lever les difficultés d'où naissent la plupart des "blocages athées" modernes. .

2.- En un premier temps, la prédication a été pour lui l'occasion de "déblayer les voies d'accès". Il s'est insurgé contre les réponses simplistes habituelles et contre le fatras religieux que secrétait la "tradition des anciens", reflet des dérives religieuses universelles. Il insista particulièrement sur le fait que certaines prescriptions "écrasaient" l'homme et il osa justifier sa critique en soulignant qu'elles allaient également à l'encontre de l'ordre de création voulu par Dieu …

3.- A la parole, Jésus a joint l'action… service des pauvres, des malades… accueil des pécheurs, des étrangers… Il était évident que ses initiatives renforçaient ses enseignements et remettaient en cause une conception pessimiste de l'homme… mais elles suggéraient également qu'en lui, Dieu s'engageant positivement en faveur des hommes, le monde divin "s'approchait" de façon inattendue et déconcertante..

4. Au vu de la densité de ce témoignage et de l'impression d'autorité que Jésus lui imprimait, ses proches ne pouvaient manquer de se poser une autre question. Ils percevaient de plus en plus nettement un lien actif entre les "lignes d'humanité" qui ressortaient de sa personnalité et l'engagement du monde divin au service des hommes… Qui donc était Jésus ?…

5. Les apôtres se gardèrent bien de risquer des "réponses spéculatives" à cette question, avant comme après la résurrection. C'est en se souvenant de "l'aventure historique" à laquelle ils avaient été associés et en cherchant à approfondir ce que Jésus avait fait et dit au cours de celle-ci, qu'ils furent amenés à valoriser leur intuition.

Ils apportaient ainsi à la foi chrétienne sa vraie référence et ils lui imprimaient le style vital qui en fait l'originalité. Il est important de noter que cette dernière étape a été vécu dans une ambiance différente des précédentes. Autant Jésus avait été net sur certaines ruptures, autant il a accompagné de patience et d'amitié la réflexion de ses amis, admettant leurs hésitations et la nécessité du temps…



découverte chrétienne du "visage" de Dieu

= Pas plus que les disciples d'autrefois, le chrétien n'a à "sortir" de l'Evangile lorsqu'il aborde, en rapport à la personne de Jésus, les questions du monde divin .

*- Préalablement à sa foi, comme ses contemporains, il a été amené à s'interroger sur l'existence de ce monde. S'il a opté positivement en sa faveur, c'est en libre réflexion et sans "preuves" supplémentaires particulières.

*- Mais, plus que tout autre, le chrétien est sensible aux confusions religieuses… Il tient à différencier les deux questions : l'existence d'un monde divin… et le "visage" qu'on lui donne, particulièrement en son action.

*- Pour symboliser l'attitude nuancée qu'il adopte, il est possible de reprendre l'image de l'iceberg… Le monde divin "plonge" très profond . Il nous échappe et nous échappera toujours en son identité intime .Il faut donc nous garder de trop "imaginer" selon nos catégories, limitées et fluctuantes au hasard des temps et des mentalités . Seule, la partie émergée d'un iceberg nous livre quelques points de repère . C'est elle qui doit retenir l'attention et être explorée avec le plus grand soin, car nous sommes alors sur le seul terrain relativement assuré…

La foi chrétienne situe Jésus à cette place "émergée"

= Dans le sillage de cette option, le chrétien se sent à l'aise…

L'intuition qui le guide ne l'égare pas dans les nuages : "La seule "image" de Dieu que nous connaissons, c'est Jésus de Nazareth, homme précis, au caractère défini, aux réactions bien enregistrées par ses compagnons, homme à l'extrême. De par notre foi, c'est de cet homme-là qu'il nous faut apprendre Dieu" François Partoës

Il n'est donc pas étonné des horizons qu'il découvre :

"Sur le visage humain du Christ, se déchiffre un Dieu non conformiste qui ne craint ni les hasards, ni les lenteurs du temps ... qui connaît les émotions et les déceptions, les revirements et les changements ... un Dieu bon et ami des hommes ... bref, un Dieu qui n'est pas en retard, pourrait-on dire, sur l'humanité de son Christ et d'ailleurs aussi sur l'humanité des hommes et des femmes de chair et d'os que nous rencontrons tous les jours ..." Jean-Claude Eslin

"Nous le pensions infiniment grand, il nous faut l'apprendre en son infinie humilité. Nous le pensions totalement indépendant, il nous faut l'apprendre vulnérable. Nous le pensions Tout-Puissant, il nous faut l'apprendre infiniment pauvre. Il n'a d'autre infinité que celle de l'amour…

Nous avons tendance à penser que, pour Dieu, le fait d'exister humainement est un état de violence, d'anéantissement, un état "contre-nature". Et voilà qu'en Jésus le mystère de son identité de Fils se reflète en plénitude simple, en tranquillité de présence humaine, en absence totale d'affectation…"

= La même transposition éclaire le style de l'action divine et le dégage du brouillard imaginatif dans lequel on l'enlise fréquemment. En regardant la propre action du Christ et en l'éclairant de la Parole qui l'explicite, le chrétien pense percevoir quelques grandes lois, respectées en toute occasion, de façon spontanée : loi de l'humanité concrète, loi de la liberté, loi de la discrétion, loi de l'intelligence ... Il y est d'autant plus sensible qu'il y voit une profonde cohérence avec ce que nous repérons dans l'ordre de la création ...



Au départ, une rencontre …

"entendre la voix" de Jésus et faire halte…

Comme en témoignent les évangiles, il est impossible de présenter une rencontre-type entre Jésus et ceux "qu'il rejoint sur leur route". Chaque rencontre est personnelle et se doit de l'être. Aussi, ces quelques notes n'ont d'autre but que "d'équilibrer" ce qui vient d'être dit de Jésus en esquissant la valeur de ce qui est "activé" en celui qui lui prête attention. Les pointillés seraient de mise pour en parler… mais un silence absolu risquerait d'être interprété comme un manque d'intérêt pour une réflexion personnelle qui demeure irremplaçable.

Le mouvement de la foi chrétienne a été voulu par Jésus comme des plus simples et des plus spontanés. Deux personnes précises se retrouvent en présence et entrent en dialogue : nous et Jésus… En ce qui nous concerne, nous sommes "en route" affrontés à la construction de nos vies dans le cadre de notre temps présent … En ce qui concerne Jésus, le "flou" de son actualité est compensé par la clarté de son "aventure historique" passée …

1. Au départ, il revient à chacun de prêter attention à ce témoignage , en conscience diffuse de sa valeur et de son intérêt . Ceci n'est pas automatique . Bien des appréhensions peuvent naître sous la pression des méconnaissances et des déformations portées par les mentalités ambiantes . .

2. Cette attention incite à percevoir plus précisément le "potentiel humain" qui émane de l'activité de Jésus et de sa personne… Nous appliquons à nous-mêmes l'invitation qu'il adressait à ses amis lors de leur première rencontre : " Venez et Voyez "…

Ce n'est pas d'emblée que l'on mesure l'intérêt et la densité de ce potentiel. Il y faut du temps… temps de connaissance, d'approfondissement et d'intelligence, temps nécessaire au nom-même du témoignage sur lequel l'esprit se concentre . Rien ne peut remplacer l'approche personnelle, aujourd'hui comme autrefois

3. Une question très concrète intensifie cette réflexion : quel rapport tout cela peut-il avoir avec notre vie d'hommes et de femmes, engagés dans une multitude de problèmes, immédiats ou lointains, théoriques ou pratiques ? Cette question est plus que légitime .

Un début de réponse est apporté par l'orientation que Jésus a toujours donné à son "humanité" : non pas entraînement vers une mystique, mais service de personnes concrètes .

4. S'établit alors une "correspondance" entre l'aventure du Christ et notre propre aventure . Ce va-et-vient ne peut manquer d'être très personnel, car chacun "ressent" différemment sa vie en fonction de son tempérament, sa culture, les différents événements qu'il doit assumer . Mais le champ très vaste des souvenirs évangéliques répond à cette diversité…

D'une part, nous nous "retrouvons" dans le Christ, dans certaines des situations qu'il a assumées, dans certains de ses engagements, dans nombre de ses protestations contre injustices ou scléroses, dans son activité multiple en faveur des autres ...

Réciproquement, nous sentons qu'il éclaire la multitude des interrogations ou hésitations qui sont nôtres ... le secteur si vaste de nos relations humaines ... le secteur si profond de notre personnalité ... le secteur si mystérieux de notre rapport au monde divin

5. Chemin faisant, le "fonctionnement" de cette correspondance se précise : il n'est pas question d'un rapport de théorie, de doctrine ... il ne peut être question d'un rapport de domination, de direction ... il s'agit d'un rapport profondément humain, un rapport de "nourriture" .

Un témoignage est remis à notre liberté … à nous de l'assimiler pour soutenir l'activité ou l'engagement que nous décidons par nous-mêmes ...

6. Alors se situe l'étape du choix .Cette correspondance ne demande qu'à se transformer en dialogue permanent et actif . Mais, comme tout dialogue humain, il ne peut être que volontaire et individuel .

De ce choix vont rayonner, de façon cohérente, les multiples dimensions qui ont été perçues confusément au long du cheminement précédent. Les intuitions premières sont devenues progressivement des convictions fondamentales ; elles ouvrent désormais à l'activité de la foi chrétienne et la soutiennent tout au long de son parcours .



"la porte est ouverte"

et Jésus est le premier à se réjouir

car un ami lui a "fait place" à sa table …

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Qu'est-ce donc que la foi chrétienne ?

4. le "fonctionnement" de la foi chrétienne

"Si quelqu'un m'ouvre, je partagerai son repas, moi avec lui et lui avec moi… "

Convient-il de préciser un "fonctionnement"… ?

= Avant tout essai de précision concernant le dialogue qu'instaure la foi chrétienne, il est essentiel de rappeler que son ambiance doit rester celle d'une rencontre entre deux personnes : Jésus et celui (ou celle) qui l'accueille. Ceci est valable en toutes les étapes de la foi, que ce soit au temps du choix initial… que ce soit aux temps de réflexion qu'elle ouvre ensuite. Cet échange mutuel ne peut être codifié et ne doit jamais perdre de sa spontanéité… spontanéité de la part de Jésus qui veut revivre avec chacun la même chaleur d'amitié qu'il a rayonnée dans le passé… spontanéité de la part de celui qui l'accueille pour un vrai partage de vie personnelle…

C'est donc dans un esprit de service que nous esquissons quelques aperçus sur la mise en œuvre des richesses d'humanité qu'apporte Jésus. La situation peut être comparée à celle des parents lorsqu'ils s'informent des questions d'éducation ; ils savent que les connaissances pédagogiques ne remplaceront pas l'affection qu'ils ont pour leurs enfants, ils ne cherchent pas de "recettes"… Mais ils pensent que cette affection se trouvera enrichie d'une meilleure adaptation aux conditions changeantes d'un devenir…

= En foi chrétienne, trois raisons principales invitent à cet approfondissement .

* Actuellement, dans les questions concernant le monde divin et sa prise en compte par l'homme, il est de bon ton de prôner le flou en le qualifiant de spirituel. Au nom de l'inconnu, du "mystère" qui caractérise un domaine insaisissable, on refuse souvent d'entrer dans une certaine précision : "Dieu est dieu, il est libre de faire ce qu'il veut". Moyennant quoi, fleurissent des théories sur la Providence, la grâce, le salut... sans contrôle et sans autre justification que l'imagination de leurs auteurs .

* La plupart des religions présentent un "type" de pratiques et d'attitudes rituelles. A l'extérieur des groupes, cet aspect visible tient souvent lieu de "définition" concernant chaque croyance., rares sont ceux qui, ne serait-ce que pour information, cherchent à discerner "l'esprit" spécifique sous-jacent . Inversement, à l'intérieur des groupes, l'observance des rites est souvent "déconnectée" de cet "esprit"… de ce fait, elle ne le traduit plus, tout en étant menacée de formalisme ou de dérives… Il s'ensuit nombre d'approximations, de confusions et finalement de rejets… .

* Malheureusement, au long des siècles, ces pesanteurs ont envahi et contaminé le "visage" de l'Eglise. La majorité de nos contemporains, en raison d'une première formation et d'un environnement faussés, n'ont plus conscience de l'originalité de la foi chrétienne

= Il est pourtant possible de lever certaines appréhensions et de clarifier la route en s'appuyant sur ce qui est incontestable : différentes possibilités s'offraient à Jésus pour "sauver les hommes"… Il en a choisi une et elle est sans ambiguïté pour qui prend le temps de prêter attention à son témoignage…

Chaque page d'Evangile nous rappelle que le Christ ne s'y est pas pris n'importe comment… et chaque page nous éclaire sur ce qui, effectivement, constitue la manière dont il s'y prend aujourd'hui… Point n'est besoin de faire appel à d'autres considérations qui , de façon consciente ou inconsciente, freinent la rencontre plus qu'elles ne la favorisent…

1°- La finalité du "fonctionnement" chrétien : l'épanouissement d'une "personne vivante", "ici et maintenant"

Partons de la présentation symbolique que nous propose l'évangéliste saint Jean

Dans l'épisode de l'aveugle de naissance (Jean 9/7), victime d'un handicap à haute densité symbolique, le quatrième évangéliste développe avec beaucoup de netteté le "fonctionnement" de l'action de Jésus. Nous avons là la pensée d'un témoin direct qui a médité ses souvenirs dans le cadre de confusions assez semblables à celles de notre époque. Nous pouvons donc nous référer à lui. Le style qu'il adopte dans sa présentation est facilement assimilable et la force évocatrice qu'il insuffle à son texte est universelle. En suivant les étapes qui structurent la composition, il nous sera facile ensuite d'en dégager l'essentiel…

1. "En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui demandèrent : "Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ?" Jésus répondit : "Ni lui, ni ses parents n'ont péché… mais en lui vont être manifestées les œuvres de Dieu "

L'évangéliste aborde l'handicap d'une vision humaine défectueuse ; comme le confirme la suite du texte, s'il s'attarde sur ce cas, c'est qu'il lui paraît éminemment symbolique. Il commence par contester les fausses explications qui suggèrent un rapport au péché. Dans une ambiance ainsi dédramatisée, il situe cette déficience comme un handicap "naturel" mais il relie tout aussitôt l'engagement de Jésus sur ce point comme objectif intégré à sa mission…

2. "Ayant dit cela, il cracha vers la terre, fit de la boue avec sa salive, enduisit avec cette boue les yeux de l'aveugle…"

Le symbolisme du mode d'action attribué à Jésus risque de nous échapper, car il fait appel aux références bibliques que nous trouvons au début du livre de la Genèse. Le premier récit de la création insiste sur l'efficacité de la Parole : "Dieu dit et cela fut" (1/3). Le second récit présente Dieu comme "modelant l'homme avec de la boue prise du sol ".(2/7).

La présentation du double geste de Jésus est donc très dense. L'évangéliste tient d'abord à préciser que le témoignage de Jésus est orienté vers la terre et non vers un ciel lointain… Puis il unit les deux symboles des textes anciens pour présenter le témoignage d'humanité vécu par Jésus comme une "nouvelle création". La Parole y joue un grand rôle pour une raison facile à comprendre : pour les contemporains, l'humanité de Jésus a été visible et "parlante"… après la résurrection, c'est la Parole des témoins qui maintient ces deux qualités.

3. : "Puis il dit à l'aveugle : "Va te laver à la piscine de Siloé"…

Il est demandé au croyant une démarche personnelle En foi chrétienne, rien n'est magique. L'homme doit mettre sa liberté en action, en participation. Les grandes lignes nous ont été livrées en Jésus, mais nous ne sommes pas dispensés de notre recherche pour les assimiler, de notre créativité pour les mettre en oeuvre….

4. ."Siloé veut dire Envoyé…L'aveugle s'en alla donc, se lava et revint en voyant clair.

Jean nous rappelle le soutien discret de Jésus-ressuscité dans le travail qui nous revient pour sortir de l'obscurité. Le chrétien navigue entre deux "pôles": le témoignage passé reste la source irremplaçable qu'il lui faut assimiler… la présence actuelle de Jésus, son Esprit, favorise l'actualisation de cet ensemble… mais l'imaginaire, dont ce travail actuel risque d'être affecté, se trouve contrôlé et animé par le style historique que nous rappellent les évangiles. .

5. Les voisins… les pharisiens… ses parents… les juifs une seconde fois… "Comment tes yeux se sont-ils ouverts ?"… "l'homme qu'on appelle Jésus a fait de la boue, il m'en a enduit les yeux et m'a dit :'Va t'en à Siloé et lave-toi'. Je suis parti, je me suis lavé et j'ai recouvré la vue… "

L'évangéliste enchaîne sur l'engagement décidé de l'aveugle guéri dans les différents secteurs de sa vie (voisins, pouvoirs religieux, parents)… Il souligne le point fort du témoignage : "la boue sur les yeux et le fait de se laver". Mais il ne cache pas les difficultés que peut rencontrer un tel engagement. C'est là une conséquence indirecte de ce nouveau "voir" : le vrai visage de chacun se trouve éclairé hors de toute façade ou déclaration prétentieuse…

vision chrétienne de la personne humaine

Il est facile de tirer les conclusions du témoignage précédent. En se rapprochant de nous, il est certain que Jésus a fait apparaître comme possible un autre sens de Dieu… mais, en cohérence avec cette première remise en question, il a tenu à préciser comment, de cet autre sens de Dieu, émergeait un autre sens de l'homme…

Contrairement à une présentation courante qui oriente en réduction pessimiste, sa vision a été une vision à la fois lucide et positive . Il n'était pas utopique ; il savait les difficultés que l'homme rencontre pour s'épanouir, mais, en les situant à leur juste place, il refusait d'y voir des obstacles irrémédiables et infranchissables.

* Selon Jésus, l'homme est bien équipé par nature pour penser, aimer, agir, mais il a du mal à mettre pleinement en œuvre les "talents" dont il dispose faute de "voir". Même hors évangile, chacun peut reconnaître cette difficulté : chez l'enfant comme chez l'adulte, le problème dont dépend tous les autres est celui de la connaissance et du discernement, deux domaines très liés l'un à l'autre.

Cette "obscurité" est d'autant plus pesante que, par nature également, l'homme est en devenir et ne se réalise que par une créativité libre . Les qualités d'intelligence, de volonté, d'amour qu'il porte en germes doivent donc émerger de pesanteurs natives et se développer dans le temps . Faute de "voir", cette démarche risque d'être hésitante ou de mener à des impasses.

* C'est là que Jésus s'est porté en priorité, de façon concrète.

Déjà, à l'écoute de son enseignement, nous sommes invités à remarquer comment les trois domaines qui résument l'activité humaine peuvent être libérateurs ou oppressifs selon la manière dont on les conçoit et dont on se situe vis-à-vis d'eux. Certes cette analyse n'est pas particulière à Jésus et rejoint celle qui ressort de notre expérience ou de notre connaissance de l'histoire, mais les réponses qu'il apporte méritent une particulière attention…

L'homme et Dieu ... Il y a une manière de présenter Dieu, qui renforce le sentiment que nous avons d'être tellement petits, tellement limités, tellement imparfaits... Jésus dit : non ! Prenez plutôt la piste de la paternité, celle que vous connaissez bien puisque vous la vivez ... Dieu est grand et mystérieux, mais son désir est de vous aider à vous réaliser personnellement ...

L'homme et les autres ... Les autres sont nombreux ; leur diversité ajoute encore au poids de leur nombre . Les réactions collectives sont loin de favoriser l'épanouissement individuel, elles l'écrasent si souvent ... Jésus dit : non ! Le groupe est au service de la personne . Il doit se construire en communauté respectueuse de l'originalité de chacun et au service de tous . L'amour mutuel en est le ciment .

L'homme face à lui-même ... l'homme est bien compliqué en son "intérieur". En lui bouillonne un mélange inextricable d'aspirations qui dynamisent et de pesanteurs qui alourdissent, Resurgissent bien souvent les instincts de conservatisme et d'agressivité dont il hérite de par son ascendance animale ... Jésus dit : non ! Relève-toi et n'aie pas peur de "jeter ton filet", de "faire fructifier tes talents" ... tu es capable de doubler la mise, mais cela dépend de toi …

* En présentant l'aventure historique de Jésus, nous avions déjà noté comment les conditions de sa condamnation mettaient en évidence cette triple critique. Responsables religieux, dirigeants politiques, foules indécises ont refusé toute "conversion" et ont témoigné à l'extrême de l'anti-humanisme que cache le statu-quo habituel.

Mais l'évangéliste Jean invite à aller plus loin que l'écoute et la mise en œuvre d'un simple enseignement. Il a perçu la manière originale que Jésus propose à chacun pour lever cet handicap.

l'humanité de Jésus : nourriture de vie

° Il faut toujours rappeler que la foi chrétienne se situe dans le cadre de la rencontre entre deux personnes précises : nous, affrontés aujourd'hui à la construction de nos vies... Jésus, présent aujourd'hui dans l'actualisation d'un témoignage historique connu en son potentiel d'humanité .

° Ce rapport se construit selon les lois psychologiques de tout rapport entre deux personnes. Bien entendu, Jésus ne pouvait pas en faire une présentation théorique qui aurait été incompréhensible par ses auditeurs en raison d'une formation différente de la nôtre . Ceci n'empêche qu'il y a eu recours et que nous retrouvons facilement dans son témoignage ce que les sciences humaines modernes présentent de façon plus élaborée . Non seulement Jésus a respecté les lois d'humanité qui sont les nôtres mais il les a fait "fonctionner" dans le sens qui est naturellement le leur .

° Nous n'avons pas à nous étonner de cette "méthode". Toute l'action de Jésus vise l'épanouissement de l'homme à partir des valeurs qui lui sont apportées par la création. Il nous faut donc situer son engagement historique sous cet angle et en "exploiter" les virtualités. Il n'a pas fait de son témoignage un "secret" réservé à des initiés… il en a fait une source qu'il désire ardemment rendre accessible à tous .

La "nature" qui marque l'humanité dont nous héritons et les circonstances diverses où se construit le devenir de chacun font du souci de "voir" une préoccupation essentielle et, en même temps, un chantier permanent . Chaque instant amène son lot différent d'activités , donc d'engagements ou de responsabilités qui obligent à "re-voir" pour éviter l'improvisation . Il apparaît donc légitime que nous orientions cette préoccupation vers ce que nous livrent les évangiles

° A cette place, deux images peuvent illustrer le choix de Jésus… Pour sauver une personne qui est en train de se noyer, il est parfois indispensable de plonger et de nager à ses côtés en lui maintenant la tête hors de l'eau et en lui recommandant la plus grande passivité… il eut été tout aussi judicieux de lui apprendre auparavant à nager…

De même, pour lutter contre la faim dans le monde, il est légitime de répondre aux besoins immédiats en envoyant cent kilos de pommes… il est tout aussi intelligent de compléter en instruisant ceux qui sont dans le besoin sur la manière de planter et d'entretenir des pommiers…



2°- Le mouvement du "fonctionnement" de la foi

= Il se présente comme un mouvement de va-et-vient …

1. Jésus se situe en priorité sous l'angle d'une "lumière permanente sur notre route"

Il s'est voulu Chemin éclairant les multiples facettes d'une existence humaine qu'il a lui-même partagée ... assortie d'une parole qui en explicite le détail ou en précise l'orientation pour dissiper les ambiguïtés possibles .

Il s'est voulu Chemin de vérité, ayant affronté les questions, les comparaisons et même les oppositions ... se révélant profondément adapté aux conditions réelles de toute existence .

Il s'est voulu Chemin de vie, lorsqu'on sait puiser dans son activité historique des "pistes" sans cesse nouvelles pour nourrir la diversité de nos situations actuelles ...

2. Il nous revient ensuite, pour ne pas en rester à une "théorie", de "cibler" en son témoignage les points particuliers auxquels nous renvoie notre réalité personnelle en marche . Cette activité de la foi appelle ainsi tout chrétien à investir dans trois directions :

Il lui faut saisir par le "dedans" l'expérience humaine de Jésus ... ne pas craindre de reprendre le témoignage que nous en ont laissé les évangiles pour en rejoindre le "cœur universel" dans les grandes orientations qui nous sont présentées ... ne pas craindre de l'explorer à partir de nos problèmes réels pour y puiser une sève contemporaine ...

Il lui faut se nourrir de cette expérience pour en "arroser" notre vie dans ses conditions actuelles ... La lumière du Christ nous conduit à reprendre les événements de notre existence - de même que nos responsabilités - et à les recréer à notre usage, par une "invention" qui nous est propre ...

Il lui faut s'engager enfin en pleine responsabilité sur la route qui s'est précisée sous le double influx précédent, la sachant valorisée constamment par une référence dont elle actualise la plénitude ... même si notre cheminement n'est jamais totalement "pur" de par ses incertitudes ou ses échecs ...

= l'image du "château d'eau"…

S'il était besoin d'une illustration pédagogique, nous pourrions présenter ce mouvement selon ce schéma : un réservoir relié à des résidences parfois lointaines… un réseau de distribution cherchant à apporter le maximum à chacun…une vanne pour régler le débit… des aménagements variés qui donnent son efficacité à la liaison initiale sans pour autant exiger un bouleversement complet du cadre de vie.

- Nous disposons d'une réserve en humanité… L'existence historique de Jésus ne peut être mise en doute… Nous connaissons l'essentiel de ses enseignements et de ses actions… Le sérieux des témoins est garanti . En lisant leurs souvenirs, nous rejoignons un Jésus bien concret, précis en ses réactions comme en ses engagements dans le monde réel de son époque …

- Notre lien avec cette réserve ne s'effectue pas à la manière dont on recueille sur un balcon la pluie "tombée du ciel"… Elle nous vient par un moyen de communication beaucoup plus performant : les écrits des premiers témoins ont traversé les siècles, discrètement parfois mais sans altérations notables. Le cadre culturel de notre monde occidental les rend facilement accessibles…

- Nous n'avons pas à copier ce potentiel passé, nous avons à le convertir en potentiel actuel. Au nom même de la richesse d'humanité dont nous disposons en Jésus, nous sommes invités à une réflexion personnelle soutenue par un partage communautaire. Il nous revient d'harmoniser nos choix fondamentaux avec notre actualité et d'inventer nos options pratiques pour une plus grande efficacité.

- Car Jésus ne nous demande pas d'admirer ce qu'il a dit et fait. Il tient à ce que nous en "arrosions" notre vie, au fur et à mesure qu'elle en a besoin pour s'épanouir. Il ne nous dispense pas de nos responsabilités, "il nous livre aux risques d'une vie digne d'être appelée humaine" (Paul Ricoeur)

- Ce schéma est fondamental, mais incomplet . Le chrétien le vit également dans la conscience que le Christ "marche" à ses côtés . A la suite de la première communauté chrétienne, il perçoit cette aventure personnelle comme un mouvement de résurrection . C'est pourquoi, le Christ ne lui apparaît ni comme un personnage enfermé dans le passé, ni comme une divinité perdue dans les nuages .

= l'image du "fraisier"…

- Le développement de notre vie humaine est souvent présenté en le comparant à celui d'un arbre, solidement implanté par ses racines et déployant peu à peu ses branches au long des années… Chaque instant du présent représente un nouveau bourgeon qui, nourri à la même sève, assure la croissance harmonieuse de l'ensemble… Quelques branches, certes, se dessèchent ou meurent, mais l'homogénéité de l'ensemble est conservé…

- Une autre image est possible, empruntée elle-aussi à une loi de croissance "naturelle": l'image du fraisier. Elle est peu employée et, pourtant, elle paraît rendre compte plus exactement de la réalité chrétienne.

Tout est parti d'un fraisier initial, concentrant une plénitude de développement. De nombreux "marcottages" se sont succédés… Selon les terrains, la qualité des fruits a varié ; parfois même les intempéries ont eu raison de la récolte… mais elles n'ont pu empêcher qu'à chaque automne, des bourgeons soient "lancés" en attente d'être implantés dans de nouveaux jardins… jusqu'à ce que l'extension parvienne jusqu'à nous. Quels que soient les expériences précédentes et l'écoulement du temps, nous savons que nous disposons dans le bourgeon "actuel" de la même vitalité potentielle que recélait le germe primitif…

Ainsi va la foi chrétienne selon quatre directions :

Nous n'avons pas à nous perdre dans l'analyse des qualités et des déficiences des siècles passés. . Nous avons à dégager des contingences de l'histoire le "bourgeon d'attaque" que demeure le témoignage évangélique . Nous pouvons alors mieux percevoir sa vitalité

La croissance du fraisier ne se nourrit pas uniquement de la marcotte initiale, elle attend beaucoup du nouveau terrain dans lequel elle va se trouver implantée; ce sont les énergies de ce terrain qui vont contribuer à un épanouissement "ici et maintenant". C'est donc dans notre "aujourd'hui" qu'il s'agit de réussir l'enracinement de notre foi. Mais, du fait de la grande fluidité de nos existences personnelles, il s'agit là d'un terrain mouvant… Sans cesse il nous faut réimplanter avec confiance et lucidité…

Il est alors possible de vivre le présent avec patience et assurance… Nous ne savons pas ce que sera la récolte, mais ce souci ne doit pas ternir "la période des fleurs", qui, elle-aussi, est porteuse d'épanouissement. "A chaque jour suffit sa peine!" (Matthieu 6/34)

Tandis que les fruits se forment et livrent toute leur saveur, il nous appartient de concentrer en de nouvelles tiges ce qui fut à la source du "créneau" d'existence que nous avons assumé. Nous savons qu'elles sont appelées à déborder les frontières de notre terrain actuel et à s'orienter vers l'avenir



3°- l'ambiance du "fonctionnement" de la foi

Nous pouvons en esquisser quelques traits en tenant compte des appréhensions habituelles lorsque sont abordées les questions touchant à la foi .

Confiance et assurance… chez celui qui accueille Jésus … "lui avec moi"

* En explorant le témoignage vécu concrètement par Jésus, nous ne pouvons manquer d'être convaincu que sa "densité" ne repose pas sur une illusion. Outre le fait qu'il ait été concrètement vécu et ne se limite pas à une pure théorie, certaines de ses qualités tiennent de l'évidence.

Nous avons là un panorama très large des virtualités que nous portons en notre nature humaine. En assumant une multitude de situations, Jésus nous a révélé spontanément - et souvent très sympathiquement - les richesses et les possibilités que tout homme recèle en lui ... jusque dans les situations apparemment les plus désespérées .

Il a "poussé à fond" ces virtualités et les a vécues de façon tellement originale que nous sommes parfois obligés de revoir la définition que nous en donnons habituellement . Chaque élément qu'il a ainsi souligné, apparaît sous un angle qui en renouvelle le sens et l'intensité

* Nous ne pouvons manquer d'être sensible à l'équilibre de sa personnalité. Dans sa manière d'être et de faire, il a uni des choses qui apparaissent opposées dans le monde ordinaire ; il a conjugué des qualités que les hommes, en général, ont du mal à expliciter simultanément ... Ainsi, il était compatissant, mais aussi terriblement exigeant ... doux mais aussi violent ... poète, mais aussi réaliste ... orateur extraordinaire, mais aussi grand silencieux ...

En le voyant "s'exprimer ainsi", nous ne pouvons plus douter de tout ce qu'il y a de grand et de beau dans l'homme . Car il n'émet aucune prétention à être un surhomme, un de ces héros de légende dont on sent bien qu'ils n'ont aucune existence réelle . Au contraire, nous rencontrons en Jésus quelqu'un de bien présent, à l'aise dans toute sa densité humaine et cherchant à situer ses amis dans le même épanouissement .

* Il est évident que Jésus ne pouvait vivre toutes les situations humaines, contemporaines et à-venir, dans le peu de temps dont il disposait . Nous ne sommes pas pour autant démunis… Car, en rapprochant les épisodes qui nous sont rapportés, en faisant le bilan des points communs, des réactions semblables, nous voyons se dégager des lignes de force qui éclairent au delà des seuls faits qui nous sont rapportés. .

Nous constatons ainsi que le champ de son activité couvre l'ensemble de nos préoccupations ou de nos engagements . Pour qu'il soit perceptible et crédible, son témoignage s'est situé d'abord sur un plan concret et immédiat… pourtant il rejoint, par le complément de sa Parole, les multiples interrogations qui nous font souci lorsque nous voulons mener notre vie avec intelligence .

* Bien entendu, le regard que le chrétien porte sur Jésus est un regard privilégié qui émane du choix qu'il a fait. Il ne lui est pas possible de "démontrer" de façon absolue, mathématique, que le visage de l'homme qu'il perçoit en Jésus est celui qui correspond le plus exactement à notre "nature humaine". Ceci est encore plus vrai en ce qui concerne le visage de Dieu qui ressort de son témoignage …

Mais il en est de même pour les conclusions qu'avancent d'autres cultures ou d'autres systèmes de pensée. Les approches des unes et des autres sont diverses sur les questions fondamentales relatives à la personne, au destin de chacun, comme au devenir de l'ensemble ... Le terrain n'est pas plus ferme lorsqu'il s'agit, pour chacun, de déterminer ce qui paraît être la meilleure source de son épanouissement…

Respect de la liberté… chez Jésus qui prend place à notre table … "moi avec lui"

Les réticences actuelles semblent porter sur une grande méconnaissance de la "loi de liberté" qui doit imprégner l'ambiance de la rencontre

* La question de la liberté relative à la foi n'a pratiquement pas été explicitée à travers les siècles passés. Il faut reconnaître que, dans le domaine religieux, l'aliénation de la liberté trouve souvent un écho favorable par consensus généralisé. Une conception grandiose de Dieu justifie l'autoritarisme des responsables et la passivité des fidèles y trouve finalement son compte, car la liberté implique l'initiative et le sens des responsabilités.

* Jésus a été net à l'encontre des "imaginations" qui fleurissent en tous temps et imposent leurs idées comme si elles étaient les seules concevables dans une question aussi mystérieuse.

- En son comportement, jamais il ne s'est comporté, face à la liberté humaine, comme un Tout-puissant selon notre manière de parler. Les faits sont là : à Nazareth, "il ne put faire aucun acte de puissance à cause de leur manque de foi" (Marc 6/5)

- Pour lui, il n'était pas question de nier une Toute-Puissance que nous percevons d'expérience, il ne s'agissait pas "d'arracher" quelque chose à Dieu pour le donner à l'homme. Il s'agissait de témoigner d'une autre conception…

Pour agir dans une personne humaine, Dieu a besoin de cette personne. Dieu veut se donner à chacun et à tous, mais chacun a à le recevoir. L'homme peut empêcher Dieu de se donner à lui et de l'aimer efficacement.

- La réponse ne peut pas être une simple formule évasive, une simple croyance. Il ne s'agit pas d'aliéner sa liberté, d'en faire don… Ce serait tellement plus facile de dire : "Seigneur, je suis prêt à faire ce que tu veux…montre-moi tes volontés… donne-moi la solution à mes problèmes…" Dieu n'est pas un ordinateur perfectionné qui irait plus vite que nous pour "digérer" les données de nos problèmes…

"La volonté de Dieu, c'est que l'homme ait de la volonté"… Il s'agit, pour chacun, de mettre sa liberté en action, en participation… d'investir sa créativité, son esprit d'initiative. Les grandes lignes d'une "création possible" ont été livrées en Jésus… Bien entendu, il aspire de toute son espérance à ce que nous les mettions en œuvre comme "moteurs" de notre propre épanouissement, son Esprit nous est acquis… mais cette réalisation sera toujours marquée du fait qu'elle est, "en même temps et dans la même mesure" activité de Dieu et activité de l'homme

* Cette loi de liberté implique des conséquences qui vont parfois à l'encontre de nos aspirations spontanées . Elle exige que la collaboration de Dieu ne rende pas l'homme parfait de façon magique et immédiate. Nous nous construisons au long d'un devenir constant, en assumant les risques et périls de notre vie humaine.

Ce devenir est parfois pesant ou même culpabilisant. La tentation est grande de réagir dans un sens prétendument "religieux" : " Seigneur, rends mon témoignage parfait… efface en moi tel défaut, telle réaction… ". Il nous faut entendre la vraie réponse de Jésus. " Non… pars de toi-même, de ta volonté… je ne m'éloigne pas de toi, bien au contraire… ne t'installe pas dans ta faiblesse mais ne dramatise pas non plus…"

* Il est curieux de constater que cette présentation des rapports entre nous et Jésus peut sembler "originale" à certains de nos contemporains. Or, tous sont sensibles aux évolutions de la pédagogie moderne, l'éducation est de plus en plus présentée comme un "service" qui contribue à la construction progressive de la personne . Il est facile de transposer.

Sur ce point comme sur beaucoup d'autres, l'évangile ne fait qu'anticiper la mise en valeur des "lois de création". Son apport actuel tient au fait qu'elle les éclaire d'un nouveau dynamisme en les référant à un engagement historique : de façon explicite, Jésus a privilégié cette voie, pour insinuer qu'elle était possible et assurer de sa présence active ceux qui le suivraient sur ce chemin.

question subsidiaire : faut-il être intelligent pour être chrétien ?…

Dans ces dossiers il nous faut être succinct et nous devons nous limiter parfois à une présentation qui peut paraître abstraite. Légitimement, certains pourraient le déplorer et poser la question : faut-il être intelligent pour être chrétien ? sous-entendu la foi chrétienne est-elle accessible à tous…

- Ne confondons pas "intelligent" et "intellectuel". S'il ne veut pas être comme le fétu de paille emporté par le courant, tout homme se doit d'être intelligent… il lui faut prendre en main la direction qu'il choisit pour son navire, il lui faut prévoir l'énergie qui lui permettra d'avancer malgré les courants contraires, il lui faut aménager la prise en charge des personnes ou des biens… tout cela ne va pas de soi et nous serions les premiers à critiquer une imprévoyance qui pourrait se révéler dangereuse par la suite…

- La foi chrétienne se présente comme une "respiration", un lieu de détente qui permet un peu de recul par rapport à l'existence ordinaire, qui inspire ou éclaire les multiples activités qui meublent celle-ci. La seule "difficulté" vient du fait que la foi chrétienne se nourrit d'un témoignage et que nous rejoignons ce témoignage par des textes. C'est la rançon de son aspect concret et de son efficacité… C'est également la rançon de la manière personnelle dont cette référence doit être pensée et vécue ; un catalogue de prescriptions ne peut remplacer la réflexion individuelle.

- Cette difficulté ne doit pas être exagérée et peut être facilement surmontée en profitant de l'édition des textes et de la possibilité d'une lecture privée qui prépare un partage communautaire. Il est normal que les prêtres reçoivent une formation "intellectuelle" pour assurer les bases sur lesquelles s'appuient leurs commentaires, mais ceux-ci doivent être reçus comme un service et non un endoctrinement…

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Qu'est-ce donc que la foi chrétienne ?

5. LA "DENSITE D'HUMANITE" du témoignage de Jésus
Premier regard : la personnalité de Jésus

Volontairement, nous nous sommes limités jusqu'à présent à une approche aussi dépouillée que possible pour mieux situer le "mouvement" de la foi chrétienne . Il nous revient maintenant d'entrer dans le détail, particulièrement en ce qui concerne la richesse d'humanité de l'aventure historique qui en est la source et la nourriture .



Faut-il commencer par tracer les grandes lignes d'un "enseignement", exprimé par le Christ en paroles et en actes? ou faut-il -commencer par cerner la personnalité qui "émerge" du témoignage initial, tel que nous l'ont livré ses amis ?

Les deux routes sont possibles… Pourtant, dans la situation actuelle, la seconde semble préférable.

* Ce fut la route qu'a suivi historiquement Jésus. Lorsqu'il mena sa prédication itinérante, l'impact qu'il eût sur ses auditeurs, vint d'abord de sa personnalité . Marc est très net lorsqu'il nous parle des débuts de la mission en Galilée ; il centre son propos sur l'impression d'autorité qui émane de la personne de Jésus et semble avoir beaucoup plus d'influence que les idées présentées à ce moment (Mc 1/22 et 1/27)

* Ce fut également la route qu'ont suivi les témoins directs en composant les évangiles . Leur but n'a pas été d'élaborer une doctrine "au sujet de Jésus" . Au long de leurs textes, il y a Jésus et il n'y a que lui… son rayonnement personnel, les échanges avec ses amis, les enseignements aux foules au cours des mois extraordinaires de 28 à 30 .

C'est là le point de départ de leur réflexion, la source à laquelle les auteurs reviennent sans cesse pour nous préciser le sens et la portée de l'aventure historique . Pour eux, le Christ n'est pas resté "à la surface" de son incarnation . Il s'y est engagé totalement et ils nous invitent à y prêter, avant toutes choses, la plus grande attention .

* Nous sommes aujourd'hui très sensibles à la personnalité de celui qui témoigne . Les média nous sollicitent pour tant de "causes", toutes dignes d'intérêt... nous sommes informés de tant d'engagements, tous animés d'une immense bonne volonté ... Le temps nous manque pour une recherche élaborée en vue de hiérarchiser les priorités. Nous nous fixons alors sur la personnalité de celui qui mène telle ou telle action ...

Nombre de commentaires d'Evangile risquent de ne pas servir ce réflexe . Ils mentionnent tous, évidemment, la richesse d'humanité de Jésus, ils en disent l'importance ... mais il est rare qu'ils en présentent une analyse concrète un peu structurée . Dès lors, l'image en devient floue ; elle se dilue dans des schémas réducteurs : schéma "crucifié" pour l'un ... schéma "miracles" pour un autre ... schéma romantique pour un troisième ... schéma mystique… etc. etc.

* Enfin, les fausses "imaginations" concernant le monde divin aboutissent à un désintérêt pour l'humanité de Jésus… simple instrument pour réaliser un salut extérieur à elle.

Deux regards complémentaires

Si nous ne voulons pas trahir la richesse du témoignage de Jésus, nous devons "ordonner" les différents éléments qui se trouvent dispersés au hasard de ses actions, de ses réactions et de sens engagements. Il est certain que cette présentation se veut suggestive et non analytique… encore moins exhaustive. Le dynamisme de la vie a été une première constante qui fit de tout ce capital un jaillissement spontané. C'est sur le registre d'un dynamisme semblable qu'il nous faut transposer les souvenirs qu'ont rassemblés les évangélistes.

Par souci de clarté, il s'avère judicieux de proposer deux regards complémentaires

1er regard : Nous pouvons commencer par discerner les "lignes de force" du témoignage personnel de Jésus. Celui-ci.a d'abord vécu, sans en faire une théorie, une plénitude d'humanité en ses gestes, ses initiatives, ses attitudes ... Le cadre et le déroulement en ont été ordinaires, mais ceci n'empêche pas, bien au contraire, de saisir au plus profond les traits particuliers de sa personnalité ...

2éme regard : Trop souvent, on "isole" les conclusions précédentes. Ce portrait devient un portrait idéal que l'on "enferme" dans un ordre particulier. En le plaçant sur un piédestal, on le vide quelque peu de son humanité et surtout on ne souligne pas assez la volonté de partage que Jésus a souvent manifesté, y compris le "partage" de cette plénitude

Il a exprimé ce souci à un niveau historique dans ses rapports avec les hommes de son temps, rapports enrichis d'amitié, de service, de dialogue ... Mais les évangélistes ont bien compris qu'il s'agissait là d'un premier temps et que, désormais, cette plénitude se voulait communicative de façon universelle. Toute personne peut la vivre - ou essayer de la vivre -

Il est donc essentiel de percevoir comment chaque "ligne de force" personnelle se double d'un appel à "oser" cette voie, malgré les pesanteurs habituelles et sans cacher les exigences .

Les "lignes de force" du témoignage personnel de Jésus

1° Jésus s'est pleinement enraciné humainement

2° Jésus a été heureux d'être homme

3° Jésus a utilisé loyalement le matériau humain

4°° Jésus a rayonné une personnalité extrêmement riche

5° Jésus s'est voulu totalement libre

6° Jésus a vécu un "devenir" humain constant

7° Jésus s'est situé en "Personne"

En présentant ces quelques lignes de force, nous ne cherchons pas à épuiser le sujet; d'autres pistes sont possibles . Cette grille de lecture peut simplement servir de départ à une recherche ou à une analyse plus "fouillée"…

Dans les premiers dossiers, nous avons peu indiqué les références aux textes. Cela aurait alourdi une approche d'ensemble qui se voulait rapide. Nous le faisons désormais plus précisément selon les conventions Mt Mc Lc Jn et la mention chiffrée : 15/1-4 précisant "chapitre 15 versets 1 à 4"

1ère ligne de force : Jésus s'est pleinement enraciné humainement .

Jésus a abordé de plain-pied l'humanité de son époque ; il s'est situé au beau milieu des aspirations, des souffrances, des désespoirs, des haines et des solidarités de ses contemporains. En cette approche, de multiples faits et gestes peuvent être regroupés selon trois axes :

* Il s'est pleinement inséré dans 1e cadre de vie habituel à son temps et à son pays

Son village est connu : Nazareth, petit bourgade de Galilée . Pendant plus de trente ans, il a participé à sa vie. Son métier, fort utile et pratique, a été longtemps celui de charpentier, avec la comptabilité, les chantiers et les impôts inévitables .

Sa vie familiale, au milieu de cousins et cousines, était tissée de liens très étroits, dans les joies et les peines, selon les coutumes juives,.

Sa vie sociale adoptait la mode orientale, celle-ci favorisait de nombreux échanges, individuels ou sur la place, à la fraîcheur du soir . Nul doute que sa maison s'est souvent ouverte à l'hospitalité traditionnelle .

Sa vie religieuse était rythmée par les prières quotidiennes, l'assistance hebdomadaire à la synagogue et les pèlerinages à Jérusalem au moment des fêtes ...

Même si, avec le recul, les conditions de sa vie itinérante peuvent nous paraître originales, il n'en était pas de même au premier siècle en Palestine. Beaucoup de prédicateurs, pharisiens ou autres, circulaient de village en village avec un groupe de disciples .

* Il s'est pleinement inséré dans un tempérament humain

Ses amis n'ont pas été choqués, au premier abord, de la personnalité qu'il révélait . Il n'y avait là que des qualités ordinaires, fruits d'une éducation reprise en volonté personnelle et modelées par le lieu, l'époque, le climat, la race, la culture de ce coin du monde

Certes, ces qualités vont être déployées, durant quelques années, de façon étonnante et unique, au travers d'une multitude de contacts, de dialogues, de situations les plus diverses, y compris la mort... Mais cette plénitude coexistera toujours avec une grande simplicité, particulièrement à l'intérieur du groupe des disciples, là où le partage quotidien tend à décaper tout faux-semblant et toute illusion

* il a vibré profondément aux sentiments humains .

En répondant à tous ceux qui lui proposaient l'hospitalité, traditionnelle en ces pays pour le sommeil et pour la nourriture, il a participé largement à tout ce qui l'entourait ...

On le trouve à un mariage, associé avec ses amis à la joie des époux (Jn 2/1)... Les petits enfants n'hésiteront pas à monter sur ses genoux et à l'embrasser (Mc 10/16)... Il sera saisi par le chagrin de Marthe et de Marie à la mort de leur frère Lazare (Jn 11/5) ... Il saura se taire face à de profondes douleurs comme celles de Jaïre (Mc 5/22) ou de la veuve de Naïm (Lc 7/11) ...

Il se révoltera lorsqu'il verra le Temple transformé en foire aux bestiaux et n'hésitera pas à employer la manière forte (Jn 2/14)... Il sera déconcerté par l'endurcissement des pharisiens enfermés dans leurs coutumes du sabbat au sujet des malades (Mc 3/5) ...

Il saura remarquer ceux que rien ne fait remarquer : le plus vieux malade de la piscine de Bezatha (Jn 5/5)… la petite vieille qui prend sur ses économies pour aider aux réparations du Temple Mc 12/41) ...

En un mot, le Christ a "collé" à notre humanité, la vivant au plus intime de ses pulsations, de ses souffrances, de ses désespoirs et de ses solidarités ...

2éme ligne de force : Jésus a été heureux d'être homme

Jésus a été à l'aise dans notre humanité, il s'y est épanoui . En lisant l'Evangile, on ne retrouve absolument pas les portraits qui, dans leur majorité, présentent un Jésus triste, ne souriant jamais. Au contraire transparaît en son témoignage une tranquillité de présence humaine ; nous ne trouvons en lui aucune affectation, aucune "comédie intérieure" .

Il n'a pas peur de témoigner de son bonheur en de multiples occasions . Nous avons parlé des noces de Cana et de l'accueil des enfants ... Ses paraboles font appel aux joies très simples de l'existence : beauté de la nature (Mt 6/25)… joie d'une bonne récolte (Mc 4/8)… joie du vin nouveau (Mc 2/22)... joie de la brebis retrouvée (Lc 15/4)... joie du père quand son fils revient à la maison (Lc 15/11)...

Les évangiles conservent le souvenir de quelques "éclats de joie" plus explicites : à l'occasion de la première réussite de ses amis (Lc 10/17)… à l'occasion de la conversion de Zachée (Lc 19/9)... à l'occasion de l'accueil qu'il reçoit chez les "petits" de son époque (Lc 10/21)…

Jésus n'a pas méprisé la vie sur terre ; il ne l'a pas adoptée à contrecœur . Il en a goûté la valeur jusque dans les petits détails quotidiens... au point d'être soupçonné de trop l'aimer ( reproche d'être glouton et buveur de vin Lc 7/34)

3éme ligne de force . Jésus a utilisé, loyalement et totalement, le "matériau humain" dont il disposait en son temps

= Tout en restant dans le cadre de notre humanité, Jésus aurait pu "inventer", non pas tant au plan technique, qui n'était pas le sien, mais au plan psychologique : moyens d'influence, manipulation des foules, débats avec ses adversaires . Il n'y aurait là rien de choquant; après tout, ces évolutions se retrouvent dans le cours des siècles; bien des pionniers ont ainsi ouvert l'avenir en n'hésitant pas à créer du nouveau.

= Ce qui est étonnant en Jésus, c'est que le résultat a été effectivement très nouveau… et pourtant les moyens employés ont été des plus ordinaires. Il y a beaucoup à recueillir de ce réalisme. .

1. Jésus a analysé avec un rare discernement les éléments positifs que mettait à sa disposition le milieu où il s'insérait... 2. Il n'a pas éprouvé le besoin d'aller chercher ailleurs, même si parfois l'impact de tel ou tel élément révélait quelque limite …. 3. Il a fait jouer chaque élément loyalement, selon sa nature et ses possibilités… 4. Et c'est par une complémentarité intelligente qu'il les a mis au service de la mission qu'il poursuivait ...

Dés lors nous constatons un contraste étonnant entre 1a simplicité des "moyens", exploités sans artifice, et le "résultat" efficace obtenu ...

= Attardons-nous à quelques exemples, car cette qualité n'est pas sans rapport avec l'incarnation personnelle que sollicitent nos engagements actuels

* Beaucoup portaient le même nom que lui : Jésus (= Dieu sauve) et pourtant, ce nom lui convient parfaitement en raison de sa mission ...

* Son physique ne devait avoir rien d'extraordinaire… et pourtant il est souvent parlé de son regard comme expressif de sentiments divers, depuis l'affection (Mc 10/21) jusqu'à la colère intérieure (Mc 3/5) ...

* la vie commune avec ses apôtres nous apparaît comme une nécessité pour une formation plus poussée… et pourtant elle lui permit de traduire une amitié inoubliable ...

* Il a souvent partagé les repas à la mode orientale, il y était contraint par la vie itinérante qu'il avait choisie…. cela lui permit de rencontrer les gens les plus divers et de témoigner, dans le style de son temps, d'un souci universel au-delà des clivages injustifiés et hypocrites (Lc 7/36)….

* Nous le voyons parler dans la synagogue, cadre habituel de l'enseignement religieux, à la place qu'on lui proposait. Nous le voyons parler au Temple à côté d'autres groupes rassemblés par les scribes ... Quoi de plus normal en ce temps ! En outre, son style ne différait pas de celui des "rabbis" de l'époque, avec emploi de la forme parabolique et référence aux Ecritures ... et pourtant son message allait nettement plus loin que l'enseignement ordinaire ; il ouvrait à une universalité que même ses amis étaient loin de soupçonner au départ ...

* Il communiait profondément au génie juif de par son éducation et son environnement . Il avait fait siennes les richesses de cette culture, à savoir le rapport au réel, le dynamique de l'histoire, la lumière des Ecritures. Lorsqu'il pleurait sur la ruine de Jérusalem, ce n'était pas de la comédie…et pourtant nul mieux que lui n'a su dégager les valeurs de ce patrimoine pour les intégrer à une synthèse nouvelle qui les dépassait ...

* Il a soigné les malades à la manière de son temps, sans inventer de nouvelles médecines et en acceptant d'être assimilé aux autres guérisseurs ... et pourtant, sa présence à ces malheureux remettait en cause la prétendue culpabilité qu'on évoquait à leur sujet…Et que dire du symbolisme qui traçait les orientations ultérieures à l'encontre d'autres aveuglements, paralysies et lèpres de toutes sortes ?

* Sa mort a été une mort humaine, à la suite d'un procès humain, au terme d'une opposition dont on peut discerner les mobiles humains . Il a partagé le tragique d'une croix avec des milliers d'autres victimes ... certes il dénonçait par là les germes de mort et d'injustice qui sont à l'oeuvre dans le monde, à toute époque, mais il révélait aussi le combat pour la vie qui était le sien et qui devient le nôtre .

4ème ligne de force : Jésus a rayonné une personnalité extrêmement riche

Sur ce point également, trois approches se complètent :

1. Jésus a abondamment glané dans les qualités et les virtualités humaines dont il disposait comme tout un chacun ... 2. Mais on ne peut s'empêcher de remarquer qu'il unit en lui et qu'il équilibre dans sa manière d'être et de faire des traits qui apparaissent opposés dans le monde habituel . Il a, ensemble, des qualités qu'en général, nous n'arrivons jamais à posséder à la fois, même au terme d'une longue expérience… 3. Il en ressort une manière très originale de déployer nos richesses humaines : celles-ci, sans "décoller" de leur activité immédiate, se trouvent réorientées dans leur exercice comme dans leur horizon. En parlant de son exemple, nous pouvons reprendre les mots du langage habituel, mais il nous faut leur affecter une autre définition que celle qui est adoptée communément .

quelques exemples parmi d'autres ...

Au plan du caractère ....

Il est tendre et compatissant : il ne condamne pas, il ne juge pas, il est toujours à la recherche de ce qui était perdu, même le plus déchu, le plus rejeté par la société ... mais il est aussi terriblement exigeant : " Qui n'est pas avec moi est contre moi " (Mt 12/30), " Entrez par la porte étroite " (Mt 7/13), " Laisse les morts enterrer les morts " (Mt 8/21)

Il est doux, accueillant, patient ; la confiance que mettent en lui les malades, les lépreux, la spontanéité des enfants sont des signes qui ne peuvent pas tromper…mais il est aussi violent : il n'hésite pas à chasser les vendeurs du Temple à coups de fouet (Jn 2/13) Ses malédictions contre les pharisiens ne sont pas tendres (Mt 23/13)

Au plan de l'intelligence …

Il est poète : il aime la nature, il sait admirer la beauté des plantes, il emprunte ses exemples aux réalités qui l'entourent : les semences, la vigne ... mais il eut aussi réaliste : non seulement ses exposés sont clairs et simples, à la portée de tous, non seulement ses comparaisons sont tirées de la vie quotidienne ... mais il tient compte également des réalités humaines: la fatigue des apôtres, la faim des foules ...

Il est orateur extraordinaire : sa pensée est fine et lucide, ses raisonnements sont solides, rigoureux et puissants, ils ramènent toujours à l'essentiel… mais il est aussi grand silencieux : il n'hésite pas à se retirer pour réfléchir et peser les situations, spécialement au moment de prendre les décisions importantes: début de sa mission (Mc 1/35), choix des apôtres (Lc 6/12), sa propre passion (Lc 22/44) ...

Au plan de la volonté …

Il est chef , il sait s'imposer, être dur parfois lorsque la mentalité générale ou l'incompréhension de ses disciples risque de l'entraîner hors de sa mission… mais il est aussi un ami incomparable : ouvert à tous, exprimant plus visiblement son attention, sa patience, son affection à ceux qui partagent sa vie de façon permanente : les apôtres, Marthe et Marie

Au plan de sa vie intérieure …

Il est homme de prière, dans le cadre du désert, au petit matin ou durant la nuit ... mais il est aussi homme d'action capable de remuer les foules et d'organiser le groupe qui prolongera sa mission .

5ème ligne de force : Jésus s'est voulu totalement libre

La liberté n'est pas quelque chose d'accessoire dans l'existence humaine . C'est elle qui définit notre personne et révèle en ses expressions multiples ce que nous sommes, plus que toutes les autres qualités . C'est dans l'exercice de sa liberté que tout homme s'épanouit et révèle son intériorité

Jésus a été profondément homme en étant profondément libre . Les signes extérieure ne manquent pas à ce sujet

* Il a été libre à l'égard de sa famille : elle comprenait mal la voie qu'il choisissait et redoutait pour elle les conséquences de ses paroles et de ses actes (Mc 3/21). Il ne faut pas oublier le tissu serré des liens familiaux à cette époque .

* Il a été libre à l'égard de son peuple : il n'a jamais renié son appartenance et ses racines, mais il a toujours refusé d'être "utilisé" pour des buts purement humains ou nationalistes

* Il a été libre à l'égard des traditions : il a respecté la religion de ses pères, il la connaissait parfaitement et y participait à la synagogue et au Temple mais il a peu repris de sa liturgie (sacrifices et solennités ), il a souligné la valeur de la Loi mais il est demeuré critique à propos des déformations courantes ou des interprétations restrictives …

* Il a été libre à l'égard des pouvoirs religieux et politiques : il en reconnaissait l'utilité, mais il a refusé toutes les étroitesses de leur mentalité, il s'est insurgé contre les privilèges et les abus de pouvoir ...

* Il a été libre à l'égard de ses disciples : malgré ses efforts, ils ne comprirent que lentement le chemin qu'il avait choisi . En raison de leur amitié naissante et de la confiance que Jésus leur manifestait, ils cherchèrent parfois à infléchir certaines de ses décisions (Mc 8/33) . Peine perdue !

* Il a été libre à l'égard de la peur, des préjugès, de l'argent, des honneurs, de sa propre sécurité (Lc 13/31) ...

On pourrait multiplier les références, et pourtant, ces choix ne furent pas toujours faciles .Le Christ ne les a pas vécus en rêveur ou en idéaliste ; il les a vécus en profonde humanité ... parfois douloureusement comme en témoigne sa détresse au soir du jeudi-saint, avant son arrestation ...

Cette liberté explique, pour une part, les conflits implacables qu'il suscita ; s'il avait été un idéaliste ou un mystique, ses contemporains l'auraient toléré . Ne pouvant ni le classer, ni le domestiquer, il ne restait qu'une alternative : le suivre ou le rejeter ...

6ème ligne de force : Jésus a vécu un "devenir humain" constant à partir de lui-même, des autres et des événements

Souvent, en partant des idées courantes sur le monde divin, on parle de Jésus comme de quelqu'un de "parfait" selon une conception figée ... sachant tout le détail du passé, du présent et du futur ... connaissant par coeur et à l'avance ce qu'il avait à dire et ce qui allait lui arriver ...

Il y a beaucoup à redire au sujet de cette présentation ! Qu'est-ce que la perfection ?… Beaucoup l'imaginent en contre-pied de nos insatisfactions, y projetant désirs et intérêts particuliers ... Une telle perfection brise l'humanité de Jésus car tout homme progresse dans sa vie avec des initiatives et des tâtonnements, des succès et des échecs ; c'est là une loi de nature ... Par ailleurs, ce portrait de perfection ne s'accorde pas avec ce que l'Evangile nous rapporte de la condition terrestre partagée avec les premiers témoins ...

L'exemple le plus facile à repérer concerne la progression qu'il a imprimée à sa mission.

= Il y eut de sa part un devenir calculé, "stratégique" :

En commençant par la Galilée, prompte à l'accueil d'un "enfant du pays", Jésus se réservait un temps favorable pour présenter son message . Loin de Jérusalem, il n'attirait pas l'attention de ses futurs opposants .

Son succès apparent le protégea en sa première venue dans la capitale . La contradiction était encore hésitante . Ce succès était pourtant bien fragile . En ne restant pas à Jérusalem et en parcourant les autres provinces, Jésus gagna quelques mois ; il put diffuser plus largement son message et il put se consacrer à la formation des apôtres .

Différer plus longtemps l'affrontement inévitable aurait pu être interprété comme une lâcheté . Celui-ci se devait pourtant d'être situé à son vrai plan, d'où le mois dangereux, sans doute novembre 29, semé de vives altercations sous les portiques du Temple .

L'issue de la montée suivante ne laissait aucun doute .

= Il y eut, de sa part, un devenir "pédagogique"

Au départ, Jésus parait encore proche de Jean-Baptiste, d'ailleurs il fut sans doute disciple du prophète…

La période galiléenne découvrit son vrai style . Il prenait ses distances par rapport à une vision de fin des temps et développait sa pensée personnelle en présentation calme et progressive . Sous le thème du " Royaume approché et accueilli", il reprenait et accentuait les grandes lignes de la pensée Juive, telle qu'elle s'était construite patiemment dans les siècles antérieurs : Dieu proche de 1'homme, contribuant à son épanouissement... Dieu rassemblant une communauté pour qu'elle contribue au cheminement de chacun et s'ouvre universellement aux "brebis "égarées" ...

Un tournant décisif s'imposa à Jésus après une année d'espérance ; il dut résister à des pressions de plus en plus fortes dans le sens d'un messianisme politique. Il s'ensuivit une rupture avec la foule et le départ de certains disciples déçus (Jn 6/66)

Les paroles et les engagements de Jésus abordèrent alors d'autres thèmes. En raison des controverses à propos de ses positions personnelles et de 1'origine de son autorité, les questions messianiques prirent une place plus large en son enseignement. Il en appela aux Ecritures et aux épisodes plus dramatiques de l'histoire passée : le sort des prophètes ... les infidélités d'Israël ... la vision du livre d'Isaïe sur le Serviteur souffrant ... le Fils de l'homme ( livre de Daniel ) venant pour le jugement ...

= Ces devenirs sont l'écho d'un devenir "personnel" intérieur

Cela ne fait aucun doute: Jésus a toujours témoigné d'une conscience précise de sa mission .: il savait où il voulait aller en un projet évangélique d'ensemble ; il n'était en rien une girouette prompte à changer de point de vue ...Mais le mûrissement de cette prise de conscience et le détail de la mission qui en découlait, n'ont pas échappé aux lois habituelles de notre devenir humain ...

Il lui a fallu 12 ans pour émerger de l'enfance . Il lui a fallu 34 ans pour maîtriser l'héritage culturel, religieux et humain, qui assurait son autorité dans le cadre des courants spirituels du temps … Il a fait des projets et les a vus réduits à néant… Il a espéré des évolutions et des conversions qui ne sont pas venues

Ce devenir se trouvait accentué par la disponibilité qu'il voulait garder envers les personnes et les événements, au nom-même de cette conscience de ce qu'il était et devait faire . Nous sommes parfois étonnés des réactions spontanées, que notent les évangélistes : surprise et émerveillement devant la foi d'un officier romain , déception devant "l'endurcissement de coeur" de certains interlocuteurs, angoisse à la pensée de la haine qui le poursuit et attend son heure ... Elles sont pourtant révélatrices.

7éme ligne de force : Jésus s'est situé en " PERSONNE " riche de sa particularité .

Il s'agit là d'une conclusion que nous tirons de son comportement et non d'une affirmation de sa part . Jésus est resté très discret et s'est toujours défié des "déclarations" à son sujet, fussent-elles celles de ses amis .

En son enseignement, il mettait déjà en garde contre une dépersonnalisation qui se retrouve à toute époque. Si souvent on enferme les autres dans des définitions qui les réduisent au seul domaine où nous leur trouvons une utilité : grands savants, grands chefs d'état, grands militaires... Mais c'est surtout par son comportement, fait de témoignages se mêlant à des silences et des refus, qu'il a fait éclater la vanité d'une telle tournure d'esprit. .

Lorsqu'on aborde son cas personnel, les mots se révèlent impuissants à préciser son "mystère" . Seule, sa vie pourrait ouvrir à une réponse , mais cette vie elle-même fait éclater toutes les catégories ; en tout ce que Jésus accomplit, en tout ce qu'il dit, c'est toujours sa personne elle-même qui s'impose comme référence "vivante et existante"…

"Qui est-il donc ?"…En nous bornant présentement aux années historiques, cette question a mis tout le monde mal à l'aise . Les références possibles étaient pourtant nombreuses, mais elles ne pouvaient fournir une réponse définitive adéquate :

Etait-il un prophète ? mais il n'était pas en tous points semblable aux prophètes de l'Ancien Testament : il parlait en son nom propre, eux parlaient au nom de Dieu ... Etait-il le Messie ? mais, à l'opposé du Messie attendu, il ne parlai pas de libérer pas politiquement le peuple, trompant son attente et n'assurant pas l'abondance promise ...

Etait-il un maître de sagesse ? mais il s'écartait de ses prédécesseurs juifs, il ne favorisait pas la Loi et ne proposait aucun système moral ... Etait-il un homme de Dieu ? mais il n'adoptait pas le style religieux et rigoureux habituel, à la manière de Jean-Baptiste…

Etait-il Fils de Dieu ? mais il vivait comme tout le monde et ne vérifiait pas l'idée que chacun se fait du Dieu transcendant ...

Pour tous, il était insaisissable ; nul ne réussissait à "apprivoiser" définitivement son visage . Il témoignait de la priorité de sa Personne, au-delà de toute théorie …



Nous avons reporté à un développement ultérieur une 8ème approche qui nous parait d'importance en foi chrétienne : " Jésus s'est pleinement épanoui dans ses relations au monde divin . " Elle nous parait mieux placée dans une autre étape, celle du sens de Dieu qu'il nous faut ré-apprendre de l'Evangile.

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Qu'est-ce donc que la foi chrétienne ?

6. LA "DENSITE D'HUMANITE" du témoignage de Jésus
Deuxième regard : le partage de cette densité

"Jésus a cherché, de multiples façons, à faire comprendre que la voie qu'il ouvrait se voulait "service" en vue du développement total de l'homme. Avec force et persévérance, il a insinué, sinon enseigné explicitement, qu'elle était possible à son disciple, tout périlleuse qu'elle soit réellement, tout improbable qu'en paraisse la réussite" Marcel Légaut



= Jésus semble avoir prévu les tendances, souvent inconscientes, qui concourent à appauvrir le lien logique que la foi chrétienne doit établir entre son témoignage historique et la construction actuelle de nos vies concrètes.

* Une première tendance annule d'emblée tout intérêt pour cette question : " Il n'est pas étonnant que Jésus ait vécu une plénitude d'humanité puisqu'il était Dieu . Il savait ce qu'il y a dans 1'homme, il ne pouvait, qu'utiliser parfaitement l'instrument qu'il a fait ... " Ainsi est coupée à sa racine toute curiosité qui pourrait pousser à approfondir la forme prise par cette révélation et devenir source de vie pour soi-même et pour les autres.

* Une deuxième tendance pousse à "enfermer" Jésus dans son domaine de perfection. Le sentiment de base est celui d'une "admiration" légitime, mais, à partir de là, on le situe à la manière dont le représentent les portails des cathédrales : " Christ assis sur le piédestal de sa plénitude d'humanité "

Il devient ainsi un cas unique, loin au-dessus de nous, témoin de ce qui aurait pu être et ne sera sans doute jamais. Au nom de cette réalisation exceptionnelle, il peut désormais juger de tous les "ratages" en humanité qui parsèment l'existence de 1'homme pécheur.

* Une troisième tendance, moins nocive, dévie vers une utilisation moralisatrice de ce potentiel d'humanité : " par ses exemples et ses paroles, Jésus nous a tracé une "règle" de conduite , Notre souci doit être d'en tirer les lignes qui s'imposent pour un comportement conforme à la volonté divine"

Le risque est grand, dès lors, de "théoriser" en restant à la superficie du témoignage et en le vidant de son contexte, profondément humain lui-aussi . L'appel qui y est inséré perd son véritable impact .

= Il suffit de parcourir les évangiles pour discerner, de la part de Jésus, une volonté très nette de "partager" la densité d'humanité que rayonnait son témoignage personnel. Les "lignes de force" que nous analysions précédemment posent les fondements d'un immense chantier, ouvert à tous les hommes, tant qu'il y aura des hommes…

Il est donc possible de regrouper, comme nous l'avons fait précédemment, engagements et déclarations explicites qui en appellent à un partage "en profondeur", de sa part comme de la nôtre…

1° Jésus s'est voulu présent dans la continuité de l'histoire

2° Jésus a tenu à ce que cette présence soit enracinée dans chaque époque

3° Jésus a privilégié une pédagogie humaine normale

4° Jésus a témoigné d'une grande confiance dans l'homme

5° Jésus a eu le plus grand souci de la liberté de l'homme

6° Jésus a constamment suscité et soutenu un vrai "devenir" humain

7° Jésus a donné priorité à la Personne de chacun .



1ère ligne de force : Jésus s'est voulu présent dans la continuité de l'histoire, au-delà de son aventure historique

En voulant "simplifier" la présentation de l'engagement de Jésus dans l'histoire des hommes, certains résumés orientent souvent l'imagination dans un sens erroné : Jésus serait "venu" dans le passé, puis il serait "reparti" dans un ciel lointain où il nous "attendrait" ...

Rien n'est plus opposé à l'Evangile . il est parlé d'un engagement concret, au coude-à-coude avec les hommes dont l'activité construit l'histoire présente . Jésus n'évoque pas une vague référence morale dont le "mérite" ouvrirait à un paradis compensateur . Il se propose en semence. qui doit s'enraciner et se développer en vue de porter moisson...

= Cette volonté ressort explicitement de l'organisation et des orientations qu'il a données au groupe de ses amis .

Dés le départ, la perspective était précise : les apôtres étaient appelés à "être ses compagnons et à redire sa Parole " (Mc 3/l4)… il s'agissait pour eux de " demeurer en avant de lui au milieu de leurs contemporains pour guérir et redire la proximité du Message " (Lc 10/9)

Afin de donner toute son efficacité à ce projet, le Christ introduisit la plus grande diversité au coeur du groupe initial : Pierre, André, Jacques et Jean, quatre pécheurs déjà associés dans une même entreprise, Natanaël l'intellectuel, Matthieu le percepteur fortement compromis par sa profession, Simon le résistant partisan d'une opposition armée contre les romains ...

En les entraînant avec lui sur les routes de Galilée, il leur donna une formation ouverte dont l'empreinte se révélera indélébile . En est témoin la rapidité avec laquelle la groupe se reconstitua et s'exprima au lendemain du drame de Pâques.

= L'esprit voulu par Jésus contrastait avec l'esprit d'autres groupes religieux influents…

Les pharisiens centraient leurs préoccupations sur l'observance scrupuleuse de la Loi. Leur mentalité était très juridique et méprisante pour qui n'était pas de leurs communautés . Ils refusaient tout contact avec les païens et ceux qu'ils leur assimilaient, publicains et autres ... Les esséniens, dans le centre de Qumran et dans quelques villes, vivaient en communautés fermées, dotées de rites secrets et marquées d'un rigorisme doctrinal et pratique, encore plus poussé que celui des pharisiens … Le groupe des prêtres était centré sur le service liturgique du Temple, à Jérusalem. .

Jean-Baptiste avait regroupé des disciples au bord du Jourdain. Certains deviendront ceux de Jésus, mais de grandes différences séparaient les deux communautés, particulièrement dans l'attitude vis-à-vis des pécheurs : pour Jean-Baptiste, le pardon est possible, dans la mesure où le pécheur entreprend une démarche de conversion… Jésus inverse le mouvement ; c'est lui qui va vers les pécheurs pour leur proposer la conversion.

= Les quelques orientations que Jésus a précisées à ses amis invitaient toutes à une présence au milieu du monde .

Déjà lorsqu'il les avait envoyés deux par deux pour un apprentissage de quelques semaines, les consignes avaient été nettes, tout en s'insérant parfaitement dans le contexte de l'accueil oriental . " En toute maison où vous entrerez et où l'on vous accueillera, demeurez, mangeant et buvant ce que l'on vous sert " (Mc 6/10).

Les difficultés ne devront rien y changer ; il suffira de s'y adapter : " Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups . Soyez donc prudents comme les serpents et simples comme les colombes " (Mc 10/16)

Ces consignes. ouvraient la suite de la mission : " Allez dans le monde entier, proclamez l'Evangile à toute la création " (Mc 16/15) " Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu'aux extrémités de la terre " (Actes 1/8)

= Cet envoi universel ne se voulait pas embrigadement ; il se voulait porteur d'une présence, de "sa" présence prolongée dans le même esprit : " Je suis avec vous, tous les jours, jusqu'à la fin des temps " (Mt 28/20)… "Qui vous accueille, m'accueille " (Mt 10/40)… " Là où deux ou trois sont réunis en mon Nom, je suis au milieu d'eux " (Mt 18/20 "



2ème ligne de force : Jésus a tenu à ce que cette présence soit "enracinée" dans chaque époque

= Le Christ ne s'est pas limité à une vague présence historique, il a souligné l'exigence de son adaptation à chaque époque de l'histoire . Après vingt siècles de christianisme, cette ligne de force est loin d'être évidente; tant de "traditions", marquées d'un fort conservatisme, ont envahi le champ religieux et donnent l'impression de résumer l'essentiel de la foi chrétienne ... A l'origine une grande liberté marquait les questions de langues, de formes et de modèles de pensée ...

= Nous en avons le témoignage "à contrario" grâce à Luc qui, dans les Actes des Apôtres, nous rapporte les péripéties de la grave crise intérieure qui secoua la première communauté chrétienne durant les années 35-40.

° Cette crise portait sur l'admission des païens à la foi En elle-même, pour les disciples, l'ouverture aux non-Juifs ne posait pas de problème ; Jésus avait souvent précisé que le cadre devait éclater en universel… Mais il en était autrement de la formation de ces convertis ; le Christ avait été Juif, apôtres et disciples étaient Juifs, le message avait été exprimé en araméen et par recours à des idées juives… Une question était donc légitime : l'adhésion au Christ ne nécessitait-elle pas une adhésion au judaïsme ? Une formation juive préalable ne s'imposait-elle pas ?

° Le problème était nouveau, Jésus n'était pas entré dans ces précisions. Aussi, pendant près de dix ans, il y eut blocage : tout païen devait d'abord se convertir au judaïsme pour être ensuite admis dans la communauté chrétienne… Cependant, beaucoup d'entre eux, pour diverses raisons, ne pouvaient entrer dans le judaïsme… Ce sont les apôtres, directement formés par Jésus, qui eurent à se prononcer. Leurs réactions et leurs décisions sont donc très instructives, car elles expriment l'état d'esprit qui leur avait été inculqué ...

° Pierre fut le premier à "casser" ce qui devenait une tradition : il baptisa directement Corneille le romain ( Actes 10 ). Le choc fut rude, particulièrement au sein du groupe de Jérusalem. Les protestations fusèrent contre cette "audace" qui mettait en péril le lien judaïsme-christianisme précieusement conservé jusque-là .

Cette opposition aboutit à l'inverse de ce qu'elle préconisait . Il fallait y répondre et la seule référence qu'on pouvait lui objecter demeurait l'enseignement et l'attitude historiques de Jésus à ce sujet. Ceux-ci en reçurent une plus grande précision, éclairant ainsi non seulement la situation concernée, mais également les crises semblables qui pourraient surgir dans la suite des temps .

= A la lumière de cette première crise, nous percevons mieux le vaste champ de liberté que le Christ a laissé aux chrétiens de tous les temps pour garder à sa présence son visage d'humanité authentique .

* Il a parlé araméen, mais les apôtres n'ont eu aucun scrupule à s'exprimer dans la langue de nouveaux interlocuteurs. Tout naturellement, les évangiles furent écrits en grec. Il n'a imposé aucun "uniforme", aucun règlement intérieur, aucune prescription alimentaire. Il n'a privilégié aucun geste religieux, dénonçant au contraire l'hypocrisie et la contradiction de certains ... Il a effectivement institué le signe central de la messe ( pain et vin ) mais il n'a rien dit du cadre dans lequel il pourrait être repris ,..

* Quant à la structure donnée à la communauté qui est devenue l'Eglise, une conclusion s'impose: "au nom de Jésus" elle doit rester des plus souples… Il est naturel qu'un service d'unité et un minimum d'organisation soient réfléchis et précisés selon les conditions de chaque époque . Mais ils ne peuvent être canonisés ni présentés comme l'expression définitive de l'incarnation des valeurs chrétiennes dans le monde ...



3ème ligne de force : Jésus a privilégié une pédagogie humaine normale dans ses rapports aux autres

= Trop d'imaginaire a envahi la manière de présenter les rapports entre Dieu et les hommes ! On évoque facilement l'idée d'un "don" à efficacité supérieure, faisant irruption dans nos vies hors des lois habituelles... et n'exigeant qu'un accueil passif ! Nous sommes là aux antipodes de la présentation évangélique.

= Précédemment, dans le témoignage personnel de Jésus, nous avons repéré le souci constant d'utiliser le "matériau humain" dont il disposait .Il est intéressant d'aller plus avant et de percevoir la manière dont le Christ a fait fonctionner ce matériau dans ses rapports aux autres, en un mot la route pédagogique qu'il a ainsi tracée.

Nous découvrons alors une pédagogie humaine "normale", respectant les notions de durée, de mûrissement, de modes de pensée ... s'appuyant sur elles, admettant des étapes, des paliers, des progressions et même des reculs … Elle ressort particulièrement dans le "planning" de sa vie publique et la formation des apôtres .

* Le planning " de sa vie publique

Tout en se gardant très disponible aux personnes rencontrées, Jésus n'a pas livré sa prédication aux fluctuations de l'improvisation . Il a construit intelligemment son plan d'apostolat en intégrant trois éléments : une bonne connaissance des conditions politico-religieuses dans lesquelles il allait évoluer… les réactions prévisibles chez ses interlocuteurs en raison de ces conditions et en raison des comportements habituels des foules… le tout dominé par une volonté très ferme de "distiller" des points précis, quoi qu'il en coûte .

Cette "intelligence" est facilement perceptible lorsqu'on suit le déroulement géographique de son ministère …

En commençant par la Galilée, Jésus espérait une première période calme . Il était "du pays" et le petit peuple de cette région ne pouvait manquer de lui faire bon accueil .. Dans un cadre rural agréable, les exemples choisis dans les paraboles accrochaient facilement les esprits : semeur, grain de sénevé, berger, vigneron ... Jésus était donc humainement à l'aise pour lancer les bases de son message sans être interrompu par des questions polémiques… L'hospitalité coutumière facilitait également les questions de vie matérielle du groupe d'amis…

Capharnaüm était le centre commercial de cette province ; en demeurant fréquemment en cette ville, Jésus profitait des déplacements habituels pour les marchés et autres besoins . Il disposait également des larges prairies qui bordaient le lac pour s'entretenir avec la foule lorsqu'elle se faisait plus dense .

La spontanéité des voyages qui suivirent ne doit pas faire illusion… ils "couvrent" la plupart des autres provinces jusqu'à Tyr et Sidon, les villes les plus au Nord . En son passage, Jésus bénéficiait d'une renommée qui s'était étendue et fortifiée à l'occasion des grands rassemblements des fêtes juives à Jérusalem . L'accueil ne pouvait être que bienveillant, ne serait-ce que par curiosité . La crainte en était absente, car l'opposition des pouvoirs religieux n'était pas encore ouvertement déclarée. En répondant aux questions spontanées, Jésus étayait le cœur du message qu'il développait

En outre, les compagnons de Jésus, loin de leurs villages d'origine, vivaient davantage les conditions de tout groupe humain autonome : solidarité, mais aussi tensions internes . Cette expérience permettait à Jésus de préciser l'esprit qui devrait animer leur communauté après Pâques. .

* La formation des apôtres se présente également comme une aventure pédagogique normale .

Il n'est pas certain que les apôtres furent arrachés d'emblée à leur métier ... Sous un aspect sympathique et attrayant, la vie commune forgeait des liens qui équilibraient les ruptures, présentes et à venir, avec le milieu ambiant . Un partage visible continuel avec Jésus préparait une proximité qui se vivrait ultérieurement en lien invisible . Leur "apprentissage" fut mené très normalement : au début, il s'agissait surtout d'explications supplémentaires ... puis vint le temps de l'envoi deux par deux dans un cadre favorable où le succès pouvait leur donner confiance en eux-mêmes ...

Au plan de la compréhension du Message, Jésus n'a pas exigé des apôtres qu'ils comprennent tout et tout de suite . Il a admis l'importance pratique du temps pour un mûrissement en caractère et en intelligence . Il les a secoués parfois, comme il est normal en bonne psychologie lorsque les pesanteurs portent sur des questions essentielles . Mais sa patience reste étonnante .



4ème ligne de force : Jésus a témoigné d'une grande confiance dans l'homme et dans ses possibilités

= Cette confiance de Jésus en l'homme ressort sans conteste de la "technique" qu'il adopta en ses multiples rencontres . On peut y distinguer trois moments successifs :

1. Il désire entrer en contact de personne à personne, faire sentir à l'autre qu'il a une vraie valeur, malgré, dans certains cas, les causes qui peuvent l'écraser ; il vaut la peine que, toutes affaires cessantes, on dialogue avec lui . Il en est ainsi de l'infirme de Bézatha ( Jn 5/5 ), de la femme de Samarie ( Jn 4/7 ), de Bartimée ( Mc 10/46 )

2. Il a souci de redonner l'espérance, en révélant à chacun ce qu'il a de bon en lui, peut-être malgré les apparences. Et, si besoin est, Jésus témoigne de cette valeur positive face à ceux qui ne savent pas la distinguer ... Chez Simon le pharisien, il prend la défense de la pécheresse qui pleure à ses pieds ( Lc 7/36 )

3. Il veut remettre l'autre face à lui-même, sans rien brusquer, pour lui faire prendre conscience qu'il peut reconstruire en un nouveau départ . " Je ne te condamne pas, va mais désormais ne pèche plus " Jn 8/11. Et ceci, sans menacer des foudres de l'enfer ... très simplement en faisant appel à la raison ; il s'agit de comprendre les choses, non de se soumettre aveuglément à une loi, fût-elle meilleure que l'ancienne .

Même lorsqu'il se trouve face à des opposants, Jésus essaie cette progression ; ses arguments sont rarement des arguments "massue" ; ils en appellent à l'intelligence, au raisonnement, à la sensibilité . Un timide espoir d'évolution est toujours présent .

= Derrière cette technique, se précise un état d'esprit, ce que nous pouvons appeler le "pari de Jésus sur l'homme"…

Notre tendance est souvent de limiter la possibilité pour les autres d'aller au-delà d'un certain palier ... Au contraire, le Christ fait un pari positif : il cherche, en amitié pour l'interlocuteur, à le révéler à lui-même, au plus profond de son humanité et de ses richesses inconscientes . Il veut le faire devenir ce qu'il est et, pour cela, il veut lui révéler ce qu'il est capable d'être, projeter devant son regard un idéal, possible en cette amitié .

Lorsque Jésus commence à s'intéresser à lui, Pierre a une réaction naturelle : "éloigne-toi de moi, je ne suis qu'un pécheur" Lc 5/8 La réponse fuse aussitôt : "relève-toi ; tu seras pêcheur d'hommes !"

A la base de cette technique, il y a un regard sur la réalité : Jésus montre le monde ni meilleur, ni pire qu'il ne l'est effectivement . Certes, le regard du Christ est pénétrant, sans aucun préjugé ni compromission ; il va immédiatement au cœur du problème . Ses paraboles font ressortir toutes les réalités de la vie, bonnes ou mauvaises, en un extraordinaire bon sens ... Mais il ne dramatise jamais et surtout il ne moralise pas immédiatement . Sa première prise de position ne consiste pas à censurer, mais à comprendre .

= Cette confiance se trouve confirmée par "l'appel à participer" que Jésus a adressé au long de sa prédication et au-delà ...

A juste raison, on situe en priorité la participation intérieure, la foi… Effectivement, Jésus se plaît souvent à la souligner, se sentant à l'aise lorsqu'elle jaillit spontanément : " Va, ta foi t'a sauvé" Mc 10/52 "Chez personne en Israël je n'ai trouvé pareille foi" Mc 8/10

Mais cet appel visait tout autant à associer concrètement ses disciples et son entourage à sa mission ... Au long de sa vie itinérante, il ne manque aucune occasion de recourir aux services des uns et des autres, moins par besoin ou effacement que par désir de faire participer, en toute confiance…

Cette première participation ouvrait à une participation plus large, elle témoignait de la manière dont se construirait l'avenir sous l'impulsion de son Esprit. Jésus n'est pas sorti des limites de la Palestine, ce seront les apôtres qui porteront sa présence dans le monde et dans la suite des siècles … Jésus n'a rien écrit, ce seront quelques évangélistes qui donneront à son témoignage la durée de la mémoire et la profondeur de la compréhension … Au départ, ce n'était qu'un petit groupe d'amis, de là jaillira l'Eglise, avec ses grandeurs, ses risques et ses faiblesses

= S'il était besoin de se convaincre encore d'un tel état d'esprit, il suffirait de relire certaines paraboles ; le travail de l'homme y est présenté en participation active ; le lien avec le résultat final est étroit, il ne s'agit pas d'une simple recherche de récompense : la bonne terre de la parabole du semeur ( Mc 4/3 ) les talents à faire fructifier ( Mt 25/14 )…



5ème ligne de force : Jésus a eu le plus grand souci de la liberté de l'homme

= Ce souci, il l'a porté face à ceux qui voulaient le suivre; il n'a refusé personne, mais il n'a forcé personne .

Les apôtres l'ont choisi en toute liberté… Le jeune homme riche y a été affronté ( Mc 10/17 ). Jésus lui proposait un pari positif sur ce qu'il était capable de faire; il n'a pas cherché à forcer ses hésitations ; il l'a laissé partir ... Jésus n'a pas caché les conditions difficiles de la vie apostolique… Une fois au moins ( Jn 6/67 ) il proposa aux apôtres de remettre en cause leur adhésion première…

Et que dire du cas de Juda ... il nous restera toujours mystérieux, aussi bien du côté de Juda que du côté du Christ . Il était compagnon de la première heure, il avait été choisi comme apôtre, et même comme intendant, il était aimé comme les autres . Jésus a bien senti qu'il était en train de craquer et pourtant il respectera jusqu'au bout sa liberté .

= Ce souci explique nombre d'attitudes qui nous déconcertent…

Jésus refuse de donner des "signes" lorsque l'ambiance est plus à la curiosité qu'à la foi … Jamais il ne se prévaut d'une quelconque autorité si on ne l'a pas d'abord reconnue … Il demande le silence à ses amis ou à ses proches lorsque ceux-ci risquent d'utiliser certaines de ses actions pour une popularité facile… au jour de Pâques, les signes de la résurrection resteront discrets et ne déborderont pas le groupe de ses amis.

= Toute liberté d'action a été laissée pour construire l'avenir .

Certes, les perspectives étaient tracées : "Allez dans le monde entier, proclamez l'Evangile à toute la création " Mc 16/15… l'ampleur-même de ce programme en appelait à une vaste organisation. Pourtant, sur ce point, aucun schéma préfabriqué n'a été esquissé .

Certes un groupe de base s'était constitué… au milieu des Douze, Pierre semble avoir émergé de par son tempérament et de par l'acquiescement discret de Jésus . Mais, au-delà, tout était laissé à la créativité des apôtres .

Ceux-ci surent d'ailleurs prendre leurs responsabilités, avec une audace qui savait allier une grande souplesse : 1. Il semble nécessaire de remplacer Juda ... faute de mieux, on "tire au sort"… 2. Il faut faire face à l'administration des dons ... on institue les diacres … 3. Les apôtres ne suffisent plus à la prédication et à l'animation des communautés… apparaissent des "prophètes" et des "docteurs", après les "Anciens ou presbytres" dont le nombre et l'influence vont aller grandissants … 4. La première solution adoptée pour les païens soulève de plus en plus de difficultés ... Pierre prend l'initiative positive du baptême direct…

= Au niveau du Message, ce souci de liberté transparaît tout autant de la part de Jésus

Sous le prétexte qu'il apportait "la Vérité", Jésus ne l'a pas brandie comme une sorte de massue au-dessus de la tête de ceux qu'il voulait éclairer … Il se trouva parfois dans des conditions difficiles et dut en appeler à une référence d'autorité, mais, à côté de cette position extrême et rare, on le sent beaucoup plus à l'aise dans une forme habituelle de prédication où il "instruit", en exposés clairs et simples, à la portée de tous, empruntant ses exemples aux réalités de la vie quotidienne ...

Nous pouvons remarquer que Jésus a beaucoup aimé le dialogue, il posait souvent des questions et il se dérobait rarement à celles qu'on lui posait, même lorsque sa réponse allait à l'encontre de l'enseignement traditionnel . Il cherchait toujours à amener ses auditeurs à savoir et à pouvoir par eux-mêmes

Nous reviendrons plus longuement sur le contenu du Message… il est profondément marqué de ce même souci .

= En tête de leurs témoignages sur l'enseignement de Jésus, Matthieu (4/1) et Luc (4/1) résument en trois phrases le style que Jésus a voulu adopter en sa personne comme en son enseignement : pas de puissance oppressive… pas de démonstrations prestigieuses… pas de sentimentalité captative ... mais serviteur humble, soumis aux exigences du réel et aux patiences de chaque jour



6ème ligne de force : Jésus a constamment suscité et soutenu un vrai "devenir humain" en ceux qui l'accueillaient

Cette ligne de force se recoupe avec ce qui a été dit de la pédagogie humaine privilégiée par Jésus et de l'appel à participer qu'il a sans cesse adressé . Il n'est cependant pas inutile d'insister sur les conséquences qui en résultent "du côté" de l'homme .

= Historiquement, Jésus a imprimé à son témoignage un rythme qui ne pouvait laisser statiques ceux qui se sont trouvés pris dans son mouvement ... Il n'en est pas resté à une simple ambiance dont nous pourrions discerner l'orientation… il a donné à ce rythme une dimension profondément humaine de devenir personnel ...

Car, il ne s'agissait pas d'adhérer à une "théorie" connue ... il s'agissait de répondre à un appel ... Et celui-ci entraînait sur une route aux contours imprécis qui sollicitait tous les ressorts d'une "vraie" humanité : intelligence, volonté, activité.

Des exemples précis l'éclairent très concrètement .

* En certaines occasions, il appelle à un devenir au plan moral, ce sera la conversion ... Mais un mot revient toujours à cette occasion : "va" . Il souligne ainsi qu'une conversion sans engagement effectif n'est pas une vraie conversion ; elle est sans devenir .

* Plus fréquemment, Jésus oriente directement vers un devenir humain .

Ce furent les disciples, s'engageant peu à peu à ses côtés et choisissant d'être apôtres en un destin qu'ils n'avaient jamais envisagé ... ce furent les nombreux malades, "relevés" par ses soins et reprenant un cours normal d'existence ... e furent Matthieu et Zachée, percepteurs méprisés, s'orientant, chacun à leur manière, vers un nouvel horizon très concret ... ce furent les femmes, souvent réduites à leurs travaux domestiques et devenant porteuses d'un message de résurrection

* Parfois Jésus accompagne quelque temps ce devenir, le réorientant ou le relançant dans son dynamisme . Puis il le laisse rapidement se déployer selon sa propre nature, c'est-à-dire dans un sens d'initiative et de liberté . Il ne cherche pas à "récupérer" ou à soutenir s'il n'y a pas besoin ...

= En raison des renseignements précis que nous livrent les évangiles à son sujet, l'exemple le plus frappant de "devenir" reste le cas de Pierre. A sa lumière, il est possible d'extrapoler ce qui devient l'aventure de tout chrétien, aujourd'hui encore

° devenir en prise de responsabilité : de par son ancienne profession, Pierre savait diriger une entreprise . Il en conservait sans doute un certain ascendant dans un groupe où se retrouvaient cinq de ses compagnons antérieurs . Jésus n'eut donc pas à l'imposer aux autres; il laissa faire les rapports mutuels . Peu à peu il cautionna ce courant d'autorité, précisant l'esprit qu'il fallait lui insuffler pour éviter toute dérive sectaire .

Lorsqu'au matin de Pâques, malgré les risques, Pierre prit la tête de la communauté, son expérience lui fut certainement plus précieuse qu'une "nomination" officielle antérieure .

° devenir en tempérament : ce n'est pas sans raison que le Christ l'avait surnommé Pierre ; ce mot évoque la solidité, mais il peut aussi évoquer la lourdeur et la lenteur ... Jésus l'a contré parfois sévèrement ( Mc 14/29 ), pourtant il ne l'a pas changé d'un coup de baguette magique… Il l'a aimé tel qu'il était. Pierre est resté Pierre lorsqu'il a renié trois fois Jésus ... lorsqu'il s'est empêtré quelquefois dans les querelles judéo-chrétiennes .

Mais Pierre est également devenu Pierre lorsqu'il a pris l'initiative de réorganiser la première communauté ... lorsqu'il a pris la Parole devant la foule, au jour de la Pentecôte... lorsqu'il n'a pas craint d'affronter les pouvoirs religieux qui venaient de crucifier Jésus ... lorsque, avec bon sens, il a reconnu qu'il fallait dépasser le judaïsme et a décidé seul de baptiser directement le centurion Corneille ...

° devenir en pensée : Au regard de la pensée finale qu'ils proclamèrent aux pourtours de la Méditerranée, quel abîme les apôtres eurent à franchir sur ce point ! Non seulement rien ne les avait préparés à être prédicateurs, mais ils n'avaient auparavant qu'un enseignement ordinaire, le sabbat, à la synagogue .

Jésus ne leur livra pas une synthèse toute rédigée qu'il leur aurait suffi de répéter . Il en appela à leur intelligence, il exigea d'eux qu'ils la fassent travailler, qu'ils l'ouvrent à de nouvelles perspectives, acceptant l'effort cérébral, la fatigue qui s'y attache, l'instabilité des remises en cause . Et son influence directe s'interrompit avant même que l'assimilation ne fut terminée dans un cadre juif ... alors que les attendaient les difficultés de la présentation en milieu grec

= Ces destins pourraient nous paraître exceptionnels . Aussi les évangélistes ont tenu à déborder le cadre des apôtres en s'arrêtant sur le devenir de personnes plus simples et donc plus proches de nous : Jean l'a fait longuement à propos d'une femme de Samarie (4/5) et de l'aveugle de naissance (9/1)

7ème ligne de force : Jésus a donné priorité à la PERSONNE de chacun en valeur unique

= Nombreux sont les exemples qui expriment cette priorité . Il semble qu'à leur sujet, les évangélistes aient adopté une présentation originale : ils mettent en présence Jésus, la foule et la personne concernée et ils font jouer ces différents éléments pour "isoler" finalement le dialogue instauré par Jésus avec l'intéressé; au mépris de toute règle "descriptive", ils passent du pluriel au singulier

Cette présentation fait ressortir une même conclusion : la foule ne doit pas écraser l'individu, la société ne doit pas étouffer la personne :

dans le cas de Bartimée ( Mc 11/46 ), tout le monde doit s'arrêter et accueillir la détresse d'un aveugle que beaucoup voudraient faire taire ... face à la détresse de Jaïre ( Mc 5/37 ) père de la petite malade, Jésus laisse la foule en arrière et accélère le pas ... la femme guérie de son fibrome ( Mc 5/25 ) ne doit pas se réfugier dans la foule . Jésus tient à la rencontre personnelle ...

= En son enseignement, Jésus ne pouvait manquer d'amplifier ce thème ; il le fait directement dans des paraboles comme celles de la brebis perdue ( Lc 15/4 ) ou du fils perdu ( Lc 15/11 ). Il y ajoute une critique sévère à l'encontre des attitudes hypocrites qu'adoptent les scribes et les pharisiens envers les petits et les pauvres, en un mot les sans-valeur.

La position de Jésus par rapport à la Loi juive s'appuie sur cette même priorité. Par l'énoncé de multiples prescriptions, tout était défini et déterminé, les relations avec Dieu comme les relations entre les hommes . Cette loi étant présentée comme volonté de Dieu, la moindre omission tombait sous le coup d'une condamnation.

Jésus élève une protestation impressionnante contre un tel esclavage de l'homme au nom de la Loi ; il opère un complet retournement par rapport à l'esprit rabbinique . Il ne méprise pas la Loi mais il l'utilise librement en précisant son rôle : " Le sabbat est fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat " Mc 2/2. Si la Loi aide l'homme, si elle augmente l'amour ou le rend possible, il n'y a rien à redire. Si, au contraire, la Loi devient un esclavage, elle doit disparaître

Mais, à l'inverse, l'abandon de la Loi pourrait être vécue en une autre aliénation : le libertinage ou l'irresponsabilité, ce qui revient à une dépersonnalisation . C'est pourquoi Jésus "élève" le plan des liens et des obligations en parlant de l'amour qui doit lier tous les hommes entre eux . C'est là que se réalise une vraie personnalisation : au nom de l'amour chacun doit être respecté en tant que personne … et, en aimant, chacun épanouit les valeurs personnelles qu'il porte en lui…

= Il est rarement parlé de foi collective dans l'Evangile, même au sujet des mouvements favorables de foule ; ceux-ci sont plutôt imprégnés de crainte religieuse, de stupeur, d'interrogation ... Lorsqu'il est parlé de foi, les textes mettent davantage en relief son aspect personnel. Une même phrase revient "Ta foi t'a sauvé" ...qu'il s'agisse de la femme pécheresse (Lc 7/50), du lépreux (Lc 17/19), de Bartimée (Mc 10/52), de la femme païenne (Mt 15/28)

Jean exprimera mieux que tout autre le rapport de personne à personne qui naît du choix de la foi: " Celui qui demeure en moi et en qui je demeure " 15/5

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Qu'est-ce donc que la foi chrétienne ?

7. Le "VISAGE de DIEU" révélé en Jésus

premier regard : les perspectives d'un témoignage

En conversation courante, deux questions sont souvent entremêlées : le sens de Dieu que développent les évangiles et le lien personnel de Jésus au monde divin...

Or ce n'est pas sur la base de n'importe quel sens de Dieu que Jésus a suggéré le rapport personnel qui le référait au monde divin... Il importe donc de bien mener ces deux approches "dans l'ordre" pour éviter les multiples confusions qui encombrent habituellement un domaine déjà délicat par lui-même...

Par ailleurs, les évolutions culturelles des derniers siècles ont forgé un nouvel état d'esprit et une nouvelle sensibilité dans l'approche du domaine religieux. Les sujets abordés par ces dossiers ne peuvent manquer de susciter spontanément beaucoup de questions . Les réponses "classiques", données autrefois dans une ambiance de quasi-unanimité, se révèlent déficientes sous la forme qui les avait peu à peu inscrites dans les esprits...

Un retour à la source s'impose donc. Mais il doit répondre aujourd'hui à deux urgences: beaucoup ne connaissent de la source qu'un résumé caricatural... ce qui handicape une approche renouvelée susceptible d'apporter une réponse aux questions contemporaines... Les deux sujets sont intéressants, chacun dans leur ordre. Par souci de clarté, il est préférable de les séparer..



Le visage de Dieu révélé en Jésus se caractérise par trois traits majeurs : proximité - humanité - universalité… Dieu de l'homme, Dieu du devenir, Dieu de chacun et de tous…

Pour faire ressortir ces constantes, nous pourrions procéder comme nous l'avons fait précédemment dans l'approfondissement du témoignage sous l'angle de son humanité. En regroupant les paroles que Jésus consacre à ce nouveau sujet, en notant les corrections qu'il apporte aux opinions communes de son milieu, en analysant la portée de certains de ses engagements… nous pourrions faire émerger la conception originale qu'il nous propose.

Nous ne manquerons pas de le faire en finale de ce dossier. Mais, en répondant trop rapidement à une curiosité légitime, nous risquons de réduire la présentation de Jésus à une hypothèse sympathique, plausible parmi d'autres, adaptée aux aspirations actuelles.

Au nom-même de son originalité et pour mieux la situer, nous pensons qu'un éclairage préliminaire s'impose.

Le terrain sur lequel nous nous engageons n'a pas la même stabilité que le précédent. Lorsque nous repérions les lignes d'humanité dont a témoigné Jésus, nous nous sentions directement concernés. Chacun est engagé dans la construction immédiate de son existence; les options que précisaient les évangiles ne pouvaient que nous intéresser, car nous y retrouvions nos problèmes quotidiens. Les mots qui exprimaient cette richesse étaient des mots à sens direct, comme ceux que nous employons tous les jours pour désigner ou expliquer nos activités. Nous étions "en prise" sur une "expérimentation" susceptible de nourrir la nôtre…

En évoquant le monde divin, nous entrons dans un domaine "mystérieux". Nous nous heurtons alors aux difficultés habituelles qui surgissent lorsqu'il s'agit de rendre compte d'un ensemble complexe. Deux d'entre elles sont à prendre particulièrement en compte… En premier, nous sommes conscients de l'étendue du sujet, nous ne pouvons tout dire en une seule phrase, il nous faut chercher et choisir un angle d'approche, celui qui nous paraît le meilleur pour "entrer" dans la réalité concernée et amorcer la réflexion de nos interlocuteurs…

Nous avons également conscience de la "profondeur" du sujet, nous sommes dans l'impossibilité "de le démonter et de le démontrer", seul le langage symbolique peut nous permettre d'en évoquer quelques traits… c'est à lui qu'il nous faut recourir. Pour nous faire comprendre, nous gardons certains mots habituels mais nous les sélectionnons en raison de leur force évocatrice plus que pour leur force descriptive. Cette nature symbolique des mots se trouve accentuée lorsqu'il s'agit d'un "être personnel". Nous savons que la vie n'est pas la conjonction des éléments qui tentent de la décrire, elle se situe au-delà…

Ces exigences se sont imposées à Jésus comme elles s'imposent à tous ceux qui désirent aider la réflexion de leurs contemporains lorsqu'elle se tourne vers ces horizons…

L'angle d'approche choisi par Jésus …

* A la lecture des évangiles, nous pouvons d'abord faire trois constats qui évitent bien des fausses pistes et favorisent une meilleur accès

1. Il apparaît que Jésus ne s'est pas situé en extraterrestre venant renseigner sur un monde étranger au nôtre. Il est capital de percevoir le cheminement qu'il a proposé sur cette question et dont témoignent tous les évangiles… Jésus n'est pas parti de la "situation privilégiée" que ses amis ont découverte par la suite, à savoir sa messianité et son lien personnel avec le monde divin. Il a même refusé explicitement "l'inversion" qui a malheureusement été celle de nombreux commentaires ultérieurs. Il a préféré une découverte progressive qui faisait appel à l'intelligence et évitait l'adhésion forcée tout comme l'admiration béate….

2. Il apparaît également qu'il n'a pas élaboré une nouvelle "théorie" à la manière d'Aristote parlant du "moteur immobile" ou des philosophes ultérieurs traitant de "l'Etre suprême", "architecte de l'univers"…

3. Enfin, il est utile de préciser qu'il n'a pas traité de tous les problèmes concernant le monde divin et son rapport avec les hommes. Le comment de la création, l'origine du mal et de la souffrance, le visage du monde futur et bien d'autres questions ne sont abordées qu'indirectement dans l'évangile…

* Jésus s'est coulé dans une mentalité précise : la mentalité juive, à une époque précise : au début de notre ère… et c'est en rapport à la pensée de ses contemporains juifs qu'il a choisi l'angle d'approche qui lui paraissait devoir faciliter la perception du "visage" qu'il convient de donner à Dieu.

C'est là un point essentiel : Jésus a fait plus que souligner ce qui lui semblait positif dans l'enseignement passé, il l'a dégagé plus nettement pour le "fignoler", le revivifier et en faire la base du nouveau dynamisme qu'il proposait en extension universelle…Il n'y a là rien d'étonnant, encore faut-il admettre qu'il a fait ce choix en toute connaissance de cause et l'a "modulé" selon ce que nous venons de préciser au sujet du style progressif de son enseignement.

Avec le recul, nous en percevons la portée "pédagogique" et nous constatons que la transposition universelle est moins complexe qu'il y paraît en raison de la richesse symbolique de la pensée initiale. Mais, avant de tirer des conclusions à ce niveau, ce lien étroit nous oblige à une meilleure connaissance de ce terreau… Il ne s'agit pas d'une curiosité intellectuelle, il s'agit d'une exigence fondamentale… Rappelons donc rapidement ce que nous savons de l'arrière-plan, relatif à "l'expression" que Jésus a choisie pour nous éclairer sur le monde divin.

1. L'enracinement dans la pensée biblique : le "visage" du dieu sémitique nomade...

°- Dans les Ecritures, Jésus disposait d'un enseignement de choix sur le sens de Dieu. La pensée juive se différenciait nettement des conceptions que nous trouvons dans les autres civilisations anciennes. Depuis des siècles, les meilleurs penseurs de son peuple méditaient les questions religieuses. Les perturbations dramatiques de leur histoire n'avaient pu arrêter un long mûrissement…. bien au contraire, elles l'avaient accentué au contact de civilisations différentes.

Jésus a été amené à rectifier certaines de ces conceptions ou à s'opposer nettement à elles, mais de multiples passages confirment qu'il s'est appuyé sur cette réflexion passée. Il ne pouvait qu'être sensible aux valeurs qui s'y exprimaient, tout autant qu'à la manière originale dont les textes abordaient les rapports de l'homme au monde divin.

°- La mentalité juive s'enracinait dans une civilisation antérieure : la civilisation sémitique nomade du grand Désert oriental . (fiche particulière dans les Questions bibliques)

Les conditions de vie d'un clan nomade sont très rudes… Elles déterminent l'organisation de la vie pratique mais elles influencent également les références plus imprécises qui permettent de les assumer… particulièrement les références à une histoire, à un ancêtre et à un dieu protecteur "actif" …

Certes, chaque clan a son dieu particulier, mais celui-ci est conçu en grande proximité et en profonde humanité. Tous l'imaginent comme voyageant avec sa tribu et la protégeant au cours des migrations. Sa bienveillance s'est exprimée au départ en une parole de bénédiction qui se transmet de génération en génération. Ce rapport à l'ancêtre en fait un dieu engagé dans l'histoire du clan dès son origine; "l'alliance" conclue dans le passé est une alliance permanente.

L'efficacité de ce dieu est attendue principalement dans les domaines de la vie: la prospérité des troupeaux… la santé et la longue existence des individus… la continuité du clan grâce à la naissance de nombreux enfants… la survie du groupe face aux ennemis éventuels ou à d'autres périls… Ses commandements ont toujours pour incidence la cohésion nécessaire à l'ensemble, ils excluent tout individualisme et tendent à créer une ambiance de paix, bénéfique pour tous…

°- Les ancêtres d'Israël avaient hérité de ces conceptions par des voies sans doute fort complexes… soit de façon spontanée par descendance migratoire… soit par nostalgie aux temps troublés des exils et des déportations. Ils en avaient gardé l'essentiel lorsque, par fusion de tribus assez proches, s'imposa l'idée d'un Dieu unique et c'est à ce Dieu-là que les prophètes ramenèrent sans cesse… En témoignent les nombreux emprunts symboliques qui leur servirent à esquisser leur propre passé : la vie des patriarches, la marche dans le désert, le sens des fêtes et du culte… Et c'est cette conception qui avait soutenu leur résistance contre les nombreux "envahisseurs" qui cherchèrent, en vain, à faire taire une voix discordante.

°- Jésus ne pouvait que communier à cette idée maîtresse de l'Ancien Testament. Aussi l'a-t-il reprise et amplifiée : le "vrai" visage de Dieu se découvre sur la base d'une grande proximité, d'un engagement concret en faveur des siens et d'une profonde humanité cherchant à valoriser la personne en chacun.

Les évangélistes ne s'y sont pas trompés lorsqu'ils présentent les débuts de Jésus en rappel symbolique de ces constantes de l'Ancien Testament. Dieu se veut proche: "les cieux se déchirent et l'Esprit descend" (Mc1/10)… "le Royaume de Dieu est approché … accueillez cette Bonne Nouvelle… "(Mc 1/15… Dieu intervient en dynamisme de création : "l'Esprit descend sous forme corporelle comme une colombe" (Lc 3/22 référence au texte de la Genèse)… Dieu poursuit et intensifie une activité marquée d'amour pour nous : "en lui j'ai mis mon amour" (Mc 1/11)… Jésus n'est pas "venu pour nous perdre" (Mc 1/24)…

2. l'affrontement au "visage du dieu sédentaire"

La richesse de la pensée juive ne se limitait pas à la présentation que nous venons d'esquisser. Les auteurs avaient conscience des déformations qui la guettaient. Aussi, avec beaucoup de réalisme, ils avaient cherché à en dénoncer l'origine et à neutraliser leur influence.

Dans le cadre de leur civilisation, leur analyse partait de la mutation religieuse d'un clan nomade lorsqu'il se sédentarise. (fichie particulière dans les Questions bibliques)

En un premier temps, l'installation du clan est considérée comme la réalisation de la promesse faite jadis à l'ancêtre par le dieu du clan. L'idée de sa protection est donc renforcée. Mais, rapidement et souvent inconsciemment, les mentalités évoluent sous l'influence de nouvelles conditions de vie.

La stabilité favorise les réflexes d'individualisme et met à mal l'ancienne solidarité…Plus profondément, les conceptions religieuses s'en trouvent affectées. Le "visage" que l'on prête au dieu du groupe se modifie. Il n'est plus celui qui accompagne et soutient une marche toujours hésitante en raison de ses imprévus, il est celui qui fait bénéficier des produits de la nature, cette nature dont la fertilité immédiate est attendue au rythme des saisons… .

Chacun peut désormais constater concrètement que les récoltes sont tributaires de "forces" qui dépassent la simple activité de l'homme, forces bienfaisantes comme la pluie et le soleil, forces menaçantes comme l'orage ou la sécheresse. La protection divine est donc "élevée" à ce niveau et implique que le dieu du groupe soit situé en maître de tous ces éléments incontrôlables. De ce fait, le visage qu'on lui prête se déshumanise progressivement…on le projette dans un ciel lointain, extra-terrestre… c'est de là qu'il intervient en régentant le cycle des saisons et l'existence des hommes…

Le mouvement de l'histoire n'est donc plus perçu sous le même angle: il ne s'agit plus d'une aventure qui s'engendre au gré des événements et des hommes, elle se fige en répétition d'un acte productif. Les rites évoluent dans un sens magique; les uns visent à attirer les pouvoirs bienfaisants des dieux, les autres visent à se prémunir contre les forces hostiles.

3. la dimension universelle de cet affrontement

* Les penseurs juifs n'avaient peut-être pas discerné aussi finement que Jésus le caractère universel de cet autre type religieux. Mais ils avaient conscience des menaces que faisait peser l'évolution des modes de vie en "orientant" différemment l'esprit de leur peuple, il en allait du sens de l'homme comme du sens de Dieu.

Avec le recul, nous sommes plus à même de repérer dans les traits que l'on prêtait au dieu sédentaire les traits communs à la plupart des "religions", anciennes et modernes. Nous pouvons donc mesurer la profondeur du fossé que creuse ce lent "grignotage" au sujet de la proximité, de l'humanité et de l'universalité du "visage" qui est donné à Dieu.

L'histoire le confirme dans le cas du peuple juif. Depuis que les tribus s'étaient installées, puis fédérées à partir du 13ème siècle, les handicaps de la sédentarisation pesaient désormais sur la vie et la diffusion de la conception nomade. Malgré la réaction positive de certains prophètes comme Elie ou Amos, les vieilles traditions ne pouvaient cacher les déficiences collectives…

* Les tentatives n'avaient pas manqué dans les milieux prophétiques du temps de l'exil pour lever ces handicaps et sauver la foi des ancêtres. Elles méritent un grand respect, mais leur échec - ou leur demi-succès - permet de mieux comprendre l'orientation qu'a ensuite adoptée Jésus .

L'une de ces tentatives est riche d'enseignement . Certains auteurs avaient cherché à contrer l'attirance qu'exerçaient les nations païennes victorieuses par assimilation et conversion des points forts de la tendance opposée. Ils pensaient qu'une vision plus approfondie permettrait de dédramatiser les différences et de mieux résister à leurs conséquences . Il est facile de repérer trois des thèmes sur lesquels ils avaient fait porter leurs efforts : la création, la Loi et le culte…

Ils avaient recentré l'idée de création sur le dynamisme initial de Dieu et sur la valeur de toute "personne" humaine… Le premier des deux récits de la création rectifiait les conceptions babyloniennes dont il s'inspirait ; même aujourd'hui, il se présente en réussite de cette conversion: l'homme "créé à l'image de Dieu par insufflation de son Esprit"… se voyant confié "toute la terre" comme champ d'activité et théâtre de son histoire…

Ils avaient "travaillé" l'esprit de la Loi en la présentant comme un don de Dieu en vue du bonheur de l'homme … Une première ligne de réflexion avait intégré à la Loi le rappel des bienfaits de Dieu pour Israël et la promesse de son engagement ; préceptes et recommandations se présentaient en réponse à une telle amitié… Une autre ligne avait même été plus loin : Dieu étant la vie, la vie totalement épanouie, l'homme ne peut s'épanouir lui-même qu'en reproduisant ce qu'il peut percevoir de lui; la Loi renseigne sur les "mœurs" de Dieu à partir de la révélation toute gratuite faite à Moïse; en s'y appliquant, l'homme choisit la voie de son propre épanouissement…

Ils avaient enfin cherché à intérioriser le culte, évoluant d'une critique sur la forme à une critique sur l'esprit… En relativisant les "rubriques" et en insufflant à la recherche individualiste une ouverture de service du prochain, les prophètes visaient sans doute l'universalité… Le temps de la déportation à Babylone leur avait été d'abord favorable car il s'était avéré nécessaire de repenser la forme pour maintenir l'esprit dans un cadre différent. Mais, après le retour de l'exil, le repli nationaliste avait ruiné leurs efforts, les reproches explicites de Jésus à ce sujet nous en témoignent.

4. le bilan au terme de l'Ancien Testament

Nous pouvons nous réjouir de voir ainsi confirmée indirectement l'importance du sens de Dieu et du sens de l'homme dont nous parlions précédemment. Pourtant, au début de notre ère, le bilan de cette "cohabitation" entre deux approches nettement différentes apparaissait bien décevant. D'ailleurs, depuis longtemps, avec loyauté, les textes précisaient les écueils rencontrés: à chaque "point de réaction", ils faisaient correspondre une "pesanteur" humaine qui affectait le rapport harmonieux au projet divin.

A la création ils rattachaient la tendance à "décider par soi-même de ce qui est bien et de ce qui est mal" au risque de provoquer divisions et conflits… A la marche symbolique de l'Exode, ils rattachaient les "dérapages ordinaires" concernant les épreuves de la vie matérielle; l'attirance vers un dieu-veau d'or, les conditions difficiles pour orienter la marche vers une "terre" qui n'est que "promise"… A la réforme du culte, ils rattachaient les désillusions du retour de l'exil et le repli nationaliste autour du Temple …

Il est important, pour comprendre la sensibilité de Jésus face à son époque, d'insister sur cette question de la perte de l'universalisme. Les deux handicaps qu'entraînait le phénomène de sédentarisation ressortaient explicitement : d'une part, le glissement dont nous venons de parler favorisait l'individualisme; sous des apparences trompeuses, le "dieu des idoles" l'emportait à l'intérieur même du groupe et le repliait sur lui-même… d'autre part, la nature inconciliable des deux conceptions ne permettait pas "d'accrocher" le milieu païen environnant…

En son enseignement, Jésus se porte donc au cœur d'une tension, dans le cadre d'une histoire menacée de stagnation. La même tension s'est souvent retrouvée par la suite… Au constat des confusions religieuses actuelles, elle semble bien affecter nos temps modernes. C'est dire l'intérêt de la suite de notre réflexion

4. l'angle d'approche choisi par Jésus…

= Au plan de son déroulement pratique, la méthode choisie par Jésus a été simple et a "fonctionné" à trois niveaux :

1. Jésus a souligné ou remis en valeur les points qui lui semblaient positifs dans l'enseignement passé et lui paraissaient un bon point de départ … 2. il a rectifié les conceptions fausses qui s'opposaient au sens de l'homme et au sens de Dieu dont il voulait témoigner… il a "désembrouillé" un certain nombre de cheminements concrets qui émanaient de bonnes volontés qui ne percevaient pas les impasses où elles se fourvoyaient 3. il a ajouté quelques points précis en espérant qu'ils éviteraient désormais toute dérive… il a particulièrement développé ceux qui éclairaient l'universalité

= Au plan de la pensée, Jésus a privilégié trois " entrées " dans le monde divin

* La densité symbolique de ces "pôles" se trouve exprimée dans l'appellation courante "père, fils et esprit". Ces mots sont relatifs ; au premier chapitre du quatrième évangile, l'auteur désigne Jésus comme le Verbe, "la Parole" et il lui attribue la création du monde… Mais il est facile de comprendre l'importance qui leur est donnée en nous souvenant des traits concernant l'angle d'approche choisi par Jésus pour parler du monde divin : proximité, humanité, universalité.

En effet, lorsque nous les appliquons à Dieu, les références que suggère l'application habituelle de ces trois mots permettent de disposer d'un "bon éclairage". La paternité accentue la proximité et atténue l'impression "majestueuse" qui affecte le "mystère" de la création… La filiation intensifie l'humanité sous le même angle de proximité, en y ajoutant une note d'épanouissement personnel et une note de rayonnement fraternel… Le mot esprit est à prendre dans le sens dynamique qui lui était donné en ce temps: il s'agit du "souffle" qui fait vivre chacun et qui entraîne au loin en vue de réaliser l'universalité…

* Ces trois pôles interfèrent et se complètent. Pour saisir plus exactement leur unité, il est nécessaire de tenir compte du "modèle de pensée" que partageaient spontanément les contemporains juifs de Jésus. A ce sujet, quelques précisions s'imposent car ce modèle de pensée a subi une mutation radicale au long des siècles qui ont suivi…

Les sémites ignorent la notion de composé humain, corps et âme. Pour eux, la personne est un tout qui ne se laisse pas diviser. Certes, différents mots "techniques" sont employés à son sujet mais ils ne tendent qu'à exprimer les divers aspects d'expression d'un tout unitaire ; chaque élément évoqué n'est qu'une facette qui "suggère" le tout… Ainsi l'homme n'a pas un corps, "il est corps", c'est-à-dire que nous le découvrons lorsqu'il s'active extérieurement … Ainsi l'homme n'a pas un esprit, "il est esprit", c'est-à-dire que nous percevons sa valeur personnelle immatérielle lorsqu'il nous livre sa pensée…

Jésus a fait jouer cette souplesse et cette richesse d'expression, propres à la civilisation dans laquelle il s'était incarné. En nous référant aux textes eux-mêmes, il est facile d'en savourer la densité.

5. le symbolisme du Père

Majoritairement, le "visage" suggéré par cette référence est celui de la création. Jésus ne l'inventait pas, toutes les nations antiques invoquaient leur dieu comme leur père. En Ancien Testament, le récit de l'Exode fourmillait des engagements multiples de Dieu-Père d'Israël et les prophètes avaient souvent souligné la tendresse de Dieu pour son peuple : "Seigneur, notre Père c'est toi" (Isaïe 64/7)… "N'avons-nous pas un seul Père ? Un seul Dieu ne nous a-t-il pas créés ?" (Malachie 2/10)

L'originalité de Jésus porte sur les traits qu'il a tenu à accentuer dans sa présentation du Père.

Il a tenu à resserrer le lien personnel du Créateur avec ses enfants et, pour cela, il s'est exprimé de façon très simple et très directe : "Le Père est là, dans le secret de notre demeure" (Mt 6/6) "Le Père voit dans le secret pour l'aumône, la prière et le jeûne" (Mt 6/3)… "Il sait ce qu'il nous faut, avant même que nous le lui demandions" (Mt 6/8)… "Il ne cherche qu'à nous donner de bonnes choses, particulièrement son Esprit" (Lc 11/13)… "Il soutient les disciples dans l'épreuve" (Mt 10/31)… " Lui-aussi les aime" (Jn 16/26)… "Ce qu'il désire, c'est qu'ils portent beaucoup de fruit" (Jn 15/8)… "le Père vient avec Jésus et demeure chez celui qui met sa foi en lui" (Jn 14/23)…

Il a tenu à accentuer l'humanité que traduisait déjà cette proximité, il en a élargi les perspectives de façon immédiate et parfois très orientale : "Vos cheveux même sont tous comptés ! Soyez sans crainte, vous valez plus qu'une multitude de passereaux " (Mt 10/30… "Votre Père ne veut pas qu'un seul de ces petits se perde" (Mt 18/14)… ces petits qui sont plus à même de comprendre un message de partage et d'amour que les "sages et les savants" ne savent pas découvrir (Mt 11/25… Même les pécheurs sont objets de son amour et de son accueil… "il y a de la joie en Dieu lorsqu'ils se convertissent" (Lc 15/20)

Sur ce point, il entreprit de rectifier un certain nombre d'idées courantes, surtout négatives… "Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat" (Mc 3/27)… "Ce n'est pas Dieu qui fait mourir dans les accidents (la chute de la tour de Siloé) ou qui retire sa protection en certaines occasions (le massacre des résistants galiléens) (Lc 13/1)… De même il est stupide de chercher en Dieu l'origine de la souffrance : au sujet de l'aveugle de naissance "ni lui, ni ses parents n'ont péché" (Jn 9/3)…

Enfin, il a insisté fortement sur l'universalité de cette paternité : "le Père fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes" (Mt 5/45)…"Il est bon pour les ingrats et les méchants… compatissant pour tous les hommes" (Mt 6/30)… "A ses yeux, tous les hommes sont frères" (Mt 23/8)… "L'heure est arrivée où tout lieu sacré disparaît, car les vrais adorateurs que recherche le Père sont ceux qui l'adorent en esprit et vérité" (Jn 4/23)…

6. le symbolisme du Fils

Pour éclairer le "visage de Dieu", Jésus a proposé une deuxième "entrée , l'entrée "fils".

*Celle-ci a été fortement altérée au long des siècles en raison de la mention "fils de Dieu" et surtout en raison des commentaires qui l'ont "théorisée" dans un cadre différent du cadre initial. Il est donc nécessaire de revenir au témoignage des évangiles. D'ailleurs, Jésus semble avoir eu conscience des ambiguïtés possibles dans l'emploi du mot "fils de Dieu". En maintes occasions, il l'a refusé nettement au point que les textes le situent en "obstacle" dans la bouche des démons. Jésus lui préférait la référence "fils de l'homme" autrement dit "fils de l'humanité". Nous retrouvons cette mention 70 fois, mais le christianisme grec postérieur ne l'a malheureusement pas retenue en langage courant.

* Lorsqu'il est parlé du monde divin, il est relativement facile de percevoir comment le symbolisme du "fils" s'articule sur celui du "père". Il précise "par rapport à" Dieu et il précise "par rapport à" l'homme face à Dieu. Il prévient les dérives des conceptions qui prétendent décrire le monde divin et il prévient les dérives qui guettent les présentations, souvent avancées au nom de Dieu, concernant l'homme lui-même.

Il est donc relativement facile de rejoindre la visée globale de Jésus : ce symbolisme renforçait le proximité et surtout l'humanité du monde divin.

* Plusieurs raisons se sont conjuguées pour neutraliser la forme épanouie que Jésus tenait à donner au mot "fils" en vue d'ouvrir une brèche dans des habitudes d'expression tristes et majestueuses. Certaines de ces raisons demeurent encore aujourd'hui…

Un sens pessimiste de l'homme fait écran à la simplicité du mot lorsqu'il est appliqué à Jésus… S'y ajoute la conception habituelle d'un monde divin imaginé selon notre "rêve" de la perfection… On proclame Jésus-fils, mais, lorsqu'un commentaire insiste sur cette simplicité, beaucoup sont proches de l'objection qui était faite à Jésus : "Tu n'es qu'un homme et tu te fais Dieu" (Jn 10/33)… Y a-t-il là une totale impossibilité ?… Si Dieu est le créateur qui a fait l'homme à son image, pourquoi ne serait-il pas à l'aise dans notre humanité ?…

Cette pesanteur est si forte qu'elle entraîne souvent une "inversion" dans le mouvement "normal" de la réflexion. Ainsi en est-il du passage où Jésus répond à la question de Philippe : "Montre-nous le Père ! Jésus répond sans détour : "Qui m'a vu a vu le Père! " (Jn 14/8). Le contexte invite à faire fonctionner ce verset de "bas en haut"; la "visibilité" immédiate concernant Jésus éclaire symboliquement "l'invisibilité" de Dieu… C'est bien souvent le contraire que l'on entend.

Enfin, la perte du sens symbolique, au long des derniers siècles, n'a pas facilité la juste interprétation de certains mots ; il ne suffit pas de respecter leur phonétique pour accéder à leur sens d'origine. Nous reprendrons dans un prochain dossier la présentation délicate du rapport personnel de Jésus au monde divin, mais il est évident que celle-ci se trouve exposée aux mêmes handicaps…

* Jésus a fait choix du mot "fils" dans le cadre de son temps et de son milieu.

En hébreu, le mot "fils" n'exprime pas seulement les relations de parenté en ligne directe. Il signifie également soit l'appartenance à un groupe : "fils d'Israël"… soit la possession d'une qualité : "fils de paix"… Il faut également rappeler que la méconnaissance des lois génétiques dans le lien père-enfant n'introduisait pas l'enchaînement spontané et rigoureux qui nous vient naturellement à l'esprit lorsque nous parlons de fils. Ce lien ressortait beaucoup plus de l'adoption postérieure à la naissance, lorsque le père donnait un nom à l'enfant (Mt 1/21)

De par la création, tout homme était considéré comme "fils de Dieu"… Mais, en faveur des israélites, les événements de l'Exode avaient enrichi cette filiation naturelle d'une filiation adoptive. A un titre particulier, dans la mesure où ils vivaient la Loi, les membres du peuple juif pouvaient se réclamer d'être éminemment "fils de Dieu". L'expression évoquait la densité humaine des rapports entre Dieu et son peuple… elle rappelait simultanément la mission qui en résultait en vue d'accomplir l'œuvre de Dieu sur terre.

* Dans l'intention de Jésus, "l'entrée fils" se présentait pourtant de façon fort simple . En partant des lignes de force de son témoignage en humanité, il était facile d'ouvrir les perspectives de son témoignage en divinité… d'autant plus que son témoignage concret était marqué des trois constantes : proximité, humanité et universalité

Pour reprendre la densité symbolique des évangiles, "en lui, le Royaume de Dieu s'était approché"… il suffisait de ne plus regarder "vers le haut"… de "convertir" la direction de la recherche en regardant vers son témoignage (Mc 1/15) … "Venez et voyez… et ils virent où il demeurait" (Jn 1/39)

En reprenant tout ce que nous avons rassemblé des paroles audibles et des engagements concrets qui éclairaient l'horizon de son humanité, nous pouvons désormais "entendre et voir" symboliquement ce qui répond à nos hésitations concernant l'horizon du monde divin.

= en Jésus, nous est révélé un Dieu qui se veut proche de notre humanité

= en Jésus, nous est révélé un Dieu soucieux de notre épanouissement humain

= en Jésus, nous est révélé un Dieu qui soutient discrètement nos vies

= en Jésus, nous est révélé un Dieu qui participe à la construction de notre histoire

= en Jésus, nous est révélé un Dieu qui respecte notre liberté

= en Jésus, nous est révélé un Dieu qui accompagne et favorise notre "devenir"

= en Jésus, nous est révélé un Dieu qui entre en dialogue personnel avec nous

7. le symbolisme de l'Esprit

Pour éclairer le "visage de Dieu", Jésus a proposé une troisième "entrée" : l'esprit

* A son sujet, nous nous trouvons encore plus enlisés qu'avec les pôles précédents. Lorsqu'il était parlé de "père" et de "fils", nous pouvions esquisser une "image" en raison de nos rencontres quotidiennes avec des pères et des fils. Mais l'esprit n'a point de visage et son évocation nous situe spontanément dans un domaine inconnu. Aujourd'hui, les conclusions des sciences humaines nous le rendent encore plus inconnu… En nous renvoyant au mystère de l'inconscient et des mécanismes complexes de la personnalité, elles sont loin de nous faciliter l'analyse…

* Comme précédemment, il est relativement facile de percevoir comment le symbolisme de l'esprit s'articule sur ceux du père et du fils. Si nous nous cantonnons au plan "théorique", cet aspect positif est plus subtil. Mais nous bénéficions de la réalité "historique" pour percevoir que les craintes de dérive n'étaient pas vaines.

Une question relativement simple peut nous permettre d'introduire au sujet : qu'est-ce qui aurait manqué aux textes bibliques et à l'enseignement de Jésus s'il n'avait pas été fait référence à la présence d'un Esprit ?…

- Une lecture, même rapide, des récits païens concernant la création du monde nous éclaire sur le cas des textes bibliques. Ces récits sont encombrés de perturbations initiales, de guerres entre les dieux, de monstres et de démons vaincus ou enchaînés. L'homme y apparaît comme une victime de ces conflits, un pur "accident" d'une histoire qui lui reste extérieure… En outre, la seule description de l'œuvre de création ne rend pas totalement compte du Créateur. L'évidence de sa grandeur peut au contraire engendrer le culte des "idoles", la divinisation des "forces" de la nature, tout est dieu hormis Dieu lui-même. Ce n'est pas là simple hypothèse !

Parler de l'Esprit de Dieu qui "planait au dessus des eaux", c'est donc inviter à aller plus loin que ce qui peut être constaté dans le visible immédiat. Un Esprit guidait cette réalisation et, dans la pensée de l'auteur biblique, cet Esprit orientait vers la place privilégiée qui était accordée à l'homme… déjà esprit de proximité, d'humanité et d'universalité…

- En ce qui concerne le message de Jésus, les choses sont encore plus claires si nous distinguons les deux périodes de son rayonnement.

Au long de sa vie publique, Jésus n'a pas été un fétu de paille emporté par les courants de son époque ou ballotté entre plusieurs options. Il n'a pas été un leader que les hommes se seraient donnés ou auraient admiré parce qu'il répondait à leurs aspirations et à leurs rêves de libération. La simple "description" du témoignage n'en rend pas totalement compte . Dire qu'un Esprit l'habitait et s'exprimait par le biais de ses paroles et de ses engagements, c'est ne pas se limiter aux apparences… c'est percevoir l'orientation qui structurait son ministère… c'est également aller au cœur de sa personnalité… Nous ne sommes donc pas étonnés d'y retrouver la trace du mouvement précédent : proximité, humanité et universalité… L'Esprit était bien en lui

- Après la résurrection, une double menace pesait sur la transmission. Les Actes des Apôtres nous sont témoins qu'il ne s'agissait pas de menaces illusoires : d'une part, l'esprit de "tradition" pouvait l'emporter et figer la communauté sur la reproduction systématique de ce qui avait été vécu historiquement… d'autre part, cette stagnation risquait de couper court au rayonnement "parmi toutes les nations" (Mt 28/19)… repli sur le lieu, la langue et les modèles de pensée de la civilisation d'origine.

Telle n'était pas la manière dont l'Esprit avait été au cœur du témoignage de Jésus… telle n'était pas la manière dont Jésus l'avait "soufflé" sur ses amis (Jn 20/22) en perspective de son extension universelle …

Cependant les conditions de son déploiement étaient nouvelles. C'est ce que Luc exprime dans la présentation symbolique qu'il fait du jour de la Pentecôte en soulignant le dynamisme missionnaire : "comme un violent coup de vent" (Actes 2/2)…l'intériorité : "comme un feu qui se pose sur chacun d'eux" … la diffusion en des cultures nouvelles : "ils se mirent à parler en des langues que chacun pouvait comprendre en référence à sa langue maternelle"…

Ce n'est pas un autre Esprit, c'est le même Esprit qui dynamise autrement en raison de la nouveauté du terrain… Il s'agit toujours de proximité, d'humanité et d'universalité…

* Bien entendu, Jésus a fait choix de ce mot dans le cadre de son temps et de son milieu.. Tout commentaire sur l'esprit doit tenir compte de la vision unitaire qui caractérise le modèle de pensée sémite. Ceci d'autant plus que le passage à la civilisation grecque a affecté le mot "esprit" d'un sens plutôt statique; dans nos mentalités modernes il est devenu synonyme d'intelligence ou d'ensemble d'idées.

Dans toutes les langues il s'agit d'un nom emprunté aux phénomènes naturels du vent et de la respiration. Chez les anciens, il désignait le "pneuma", le "souffle", donc la vie selon l'expérience courante : on constate qu'un être est vivant lorsqu'on le voit respirer et bouger.

Par ailleurs, une autre particularité rejaillit sur son symbolisme : l'esprit ne s'exprime pas "par lui-même", il est inséparable du corps qu'il anime de l'intérieur. Sa présence est ressentie de façon discrète à certains moments, de façon plus explicite à d'autres, mais il est toujours présent. Au soir du jeudi-saint, Jésus met ses amis à l'aise lorsqu'il aborde la question sous cet angle : "Vous, vous le connaissez parce qu'il demeure auprès de vous et qu'il est en vous." (Jn 14/17) Il met également en garde contre les divagations que l'on justifie fréquemment au nom de l'Esprit : "il ne parlera pas de lui-même"… "il vous enseignera tout en vous rappelant tout ce que je vous ai dit" (Jn 14/26) … "c'est de mon bien qu'il recevra et il vous le fera comprendre clairement" (Jn 16/13)…

En conclusion

Au terme de cette découverte progressive, il est certain que "Dieu nous reste encore plus inconnu que connu, d'autant moins définissable qu'il est fortement entrevu dans son mystère propre" (Marcel Legaut) … Mais nous percevons mieux la place privilégiée que nous occupons au cœur de ce mystère .

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Qu'est-ce donc que la foi chrétienne ?

8. Le "VISAGE de DIEU" révélé en Jésus

deuxième regard : le "lien personnel" de Jésus au monde divin

Au pied de la croix, "le centurion romain qui se tenait face à lui, voyant qu'il avait expiré ainsi, dit : "vraiment, cet homme était Fils de Dieu."

Marc situe à cette place (15/39) le première mention "Jésus-Fils de Dieu" qui puisse être admise en cohérence avec l'enseignement ou le témoignage évangélique… Pour lui, c'est au cœur de ce drame que Jésus a révélé le plus explicitement le "vrai visage" de Dieu … et c'est au cœur de ce drame que Dieu "collait" le plus à celui qui incarnait, depuis le début, son engagement pour l'homme…Il importe de ne pas l'oublier pour éviter les nombreux contre-sens dont a été victime cette richesse de la personnalité de Jésus.



= "Toi, es-tu le Messie, le fils du Béni ?"… telle est la forme que l'évangéliste Marc donne à la question décisive que le grand prêtre pose à Jésus lors de son procès. Sur cette question se décide la condamnation à mort… (Mc 14/61)

"Croyez-vous que Jésus est le fils de Dieu ?"… telle est la question lapidaire qui est fréquemment posée en diverses circonstances. Elle trouve appui sur les présentations courantes et de nombreux ouvrages lui font écho en concentrant l'appartenance chrétienne sur la réponse positive qui lui est apportée…

Telle semble être la question qui risque de compliquer les choses et de déplacer l'intérêt que peut susciter le panorama positif concret qui ressortait des fichiers précédents. Il vaut donc la peine de l'aborder franchement.

= Avouons-le tout net : la chose n'est pas facile . Dans le cadre d'une civilisation occidentale encore teintée de christianisme, la question du lien personnel de Jésus au monde divin reste sensible, mais elle est presque toujours mal abordée… Quant à la réponse qui lui est apportée, elle se présente le plus souvent en réponse hâtive, presque toujours mal présentée…



Une question sensible … presque toujours mal abordée

Il n'est pas nécessaire de connaître dans le détail les fluctuations qui ont marqué les vingt derniers siècles de notre histoire, pour pressentir leur poids dans les formulations dont nous avons hérité. Nous ne pouvons reprocher aux enseignants passés d'avoir tenu compte des "modèles de pensée" et du vocabulaire de leur temps. Mais, nous savons la relativité de ces deux facteurs; lors des changements d'époque et de sensibilité de pensée, ils risquent de faire obstacle ou de mener à des impasses… Actuellement, il semble bien en être ainsi.

= En priorité, il est indispensable de rappeler les deux exigences qui affectent l'ambiance de toute réflexion concernant le monde divin…

a) Nous entrons dans un domaine très différent de ceux qui nous sont familiers et que nous avons l'habitude d'évoquer dans nos conversations habituelles. Il s'agit d'une réalité inconnue, insaisissable, Tout-autre par nature. Il est légitime que nous lui prêtions attention et que nous nous exprimions à son sujet, mais nous ne devons jamais oublier que nous sommes quelque peu dépassés par la profondeur et l'étendue du domaine dans lequel nous entrons… ce que nous pouvons appeler son "mystère" ou plus exactement, pour couper court à l'interprétation négative qui est souvent donnée au mot "mystère", sa "densité mystérieuse" Que ce soit en esprit, en ambiance et en expression, nous ne pouvons que "cheminer"… Il s'ensuit que, pour rendre compte des tâtonnements de notre recherche, nous devons recourir au symbolisme des images et des mots…

C'est là que le bât blesse… car, en conversation habituelle, les mots sont très dépendants du "cliché" qui les réfère au réel. Lorsqu'ils sont repris pour être appliqués à une réalité complexe, ils se veulent seulement "évocateurs" et celui qui les propose est conscient de leur "décalage" . Or, le risque est grand de les voir "fonctionner" en sens inverse de cette intention. Le cliché l'emporte et impose abusivement sa valeur "descriptive" alors que toute expression se révèle inadéquate pour en traiter avec quelque précision "expérimentale"…

b) En second lieu, nous ne devons pas oublier l'ambiance "personnelle" dans laquelle nous plonge le sujet qui nous préoccupe. A juste raison, nous situons ce caractère personnel "de notre côté" en évoquant notre cheminement comme une démarche libre et intelligente. Mais certains commentaires oublient parfois le caractère personnel "du côté de Jésus"…

Nous ne traitons pas de "mécanismes" compliqués qui auraient été "expérimentés" en lui… Jésus se présente à nous comme toute autre personne et c'est bien ainsi que nous devons entrer en dialogue avec lui… Il a d'abord vécu "son" mystère, comme nous vivons chacun "notre" mystère, au plus secret de sa personnalité, de sa sensibilité et de son intelligence intérieure… Nous admettons et respectons cet inconnu indéfinissable lorsque nous dialoguons avec ceux qui nous entourent… Nous devons rester dans la même ambiance si nous ne voulons pas trahir le style et la visée de son témoignage .

= En raison de la multiplicité des commentaires passés et du style très théorique qu'ils ont adopté, il est également indispensable de ne pas disperser la réflexion ; n'hésitons pas à la concentrer sur des points précis de questionnement…

* De quoi parlons-nous exactement lorsque nous évoquons le lien personnel de Jésus avec le monde divin ? quelle "réalité" cherchons-nous à exprimer en mode symbolique ?… Car, il ne s'agit pas d'un titre, il ne s'agit pas d'un "privilège"… il s'agit d'une "réalité" dont nous discernons qu'elle "habite" Jésus au delà de ce que nous pouvons en percevoir… ou plus exactement à l'intérieur de ce que nous en percevons…

C'est pourquoi nous ne pouvons la détacher de "la toile de fond" à laquelle elle s'est intégrée : ce n'est pas à partir de "n'importe quel imaginaire divin" que Jésus a suggéré cette relation… et ce n'est pas à n'importe quel sens symbolique de filiation que nous pouvons recourir pour évoquer cette relation…

* Jésus a-t-il posé la question aussi nettement qu'on a pris l'habitude de la formuler ?… Et, parmi les "techniques" dont il disposait dans son dialogue avec ses contemporains, laquelle a-t-il adoptée ?… Sans doute possible, sa préférence a été vers un "cheminement" qu'il a lui-même amorcé… A cette source, quelle forme peut-il prendre aujourd'hui ?…



1°- De quoi parlons-nous exactement lorsque nous évoquons le lien personnel de Jésus avec le monde divin ?…

Sans être trop rapide, il est possible d'être précis sur quelques constatations "historiques"

* En Jésus, trois éclairages se sont croisés et se sont conjugués : un éclairage "de bas en haut" concernant l'état d'esprit qu'il nous faut prêter au monde divin dans ses rapports avec les hommes… un éclairage "de haut en bas" rappelant l'objectif de ces rapports selon l'optique précédente, à savoir l'orientation de la "création" vers une "résurrection" … un éclairage "à notre niveau" amorçant la proposition nouvelle qui favorisait cette réalisation…

1. De façon explicite, Jésus a opéré une sélection parmi les multiples "visages" que l'imagination humaine est susceptible de donner à Dieu…

C'est de là qu'il nous faut partir. Nous le remarquions précédemment : lorsque nous appliquons nos "modèles de pensée" à des domaines inconnus, les "clichés" qu'ils suscitent spontanément s'avèrent bien fragiles… De plus, très souvent, ils se trouvent "contaminés" par l'inconscient de nos aspirations, de nos rêves et de nos peurs… Et pourtant, ils deviennent des références qui guident les jugements et orientent les comportements.

Malgré leur apparente diversité, lorsqu'ils prétendent s'appliquer au monde divin, ces clichés spontanés se présentent toujours selon un même schéma : Ils célèbrent la grandeur, la perfection, la puissance de Dieu… mais ils le font de façon assez théorique et surtout ils pensent valoriser ces louanges en insistant sur le contraste avec la faiblesse et le péché des hommes.

Jésus a proposé une complète inversion à l'égard de la plupart de ces clichés spontanés. Il a émis l'hypothèse d'une autre vision, tout aussi plausible, tout aussi enracinée dans notre humanité mais nettement plus optimiste.. Il ne s'est pas égaré dans une description du monde divin en lui-même, il a insisté très fortement sur sa dynamique : Dieu-créateur, Dieu-Père …

Dans le cadre juif de son temps, cette "originalité" était déjà présente, car les prophètes antérieurs avaient travaillé en ce sens la mentalité de leur peuple… Malheureusement, de multiples pesanteurs sociologiques, politiques et religieuses l'avaient "récupérée"… En reprenant et amplifiant leur enseignement, Jésus s'attaquait à l'universalité de ces handicaps…

2. Mais en remettant en cause le "sens de Dieu", Jésus ne pouvait que renvoyer au "sens de l'homme"… Il n'inventait pas ce lien entre les deux conceptions; il ressort à l'évidence d'une connaissance, même sommaire, de l'histoire des civilisations dans le temps et dans l'espace. D'ailleurs la pensée biblique avait également œuvré en ce sens ; au première siècle de notre ère, elle développait un humanisme qui tranchait positivement sur les conceptions des civilisations environnantes.

Il est certain qu'au nom d'une vision optimiste de Dieu, Jésus était enclin à une vision optimiste de l'homme. Mais il ne s'est pas contenté d'une présentation "poétique" qui aurait pu lui valoir une appréciation d'utopie… il a chargé ce regard d'une "réflexion" en profondeur …

Son enseignement nous enrichit d'une analyse lucide concernant une situation universelle déplorable … Il aide à percevoir les trois domaines où sévissent les pesanteurs qui, si souvent, coupent court aux dynamismes "naturels" de création: le domaine personnel marqué de pessimisme en raison d'une faiblesse native… le domaine social dans un monde où la domination des forts entraîne l'écrasement des faibles… le domaine religieux obnubilé par la peur devant des "forces inconnues" souvent hostiles…

Contre le fatalisme que peut inspirer cette situation, Jésus a suggéré trois antidotes dont la finalité commune est celle d'une "résurrection" : un "nouveau" sens de Dieu, une "nouvelle" manière de construire les rapports entre les hommes et un "nouveau" "sens de l'homme"…

3. Comme bien d'autres, Jésus aurait pu se contenter de protestations orales ; en elle-même son analyse ouvrait déjà à une réflexion approfondie qui permettait de "concevoir" des solutions appropriées selon les conditions de chaque époque. Il a tenu à aller plus loin. Il a "construit" personnellement la première phase de l'affrontement que provoque inexorablement le choc entre les pesanteurs humaines et les antidotes qu'il préconisait pour les neutraliser.

Nous avons évoqué, dans le premier fichier sur la foi chrétienne, l'approche dont témoignent les évangiles au sujet du drame de la croix. Jésus n'a pas sauvé les hommes "hors de leur humanité" comme un maître-nageur vient au secours d'un de ses élèves en le soutenant et en lui recommandant surtout de ne pas s'agiter. Il a choisi de vivre lui-même un engagement concret semblable à tous les engagements qui solliciteraient l'intelligence et la liberté de ceux qui, à sa suite, ne baisseraient pas les bras et s'engageraient dans un même travail de résurrection … De cet engagement a jailli un troisième éclairage, cohérent avec les précédents, les confirmant et dissipant toute méprise en raison de l'humanité "déconcertante" de son déroulement…

Car cet engagement était doublement parlant : il était parlant "sur l'homme" : Jésus y partageait notre humanité jusqu'aux conséquences ultimes de son "négatif" et, simultanément, il valorisait une voie qui en dépassait les impasses… Mais les témoins ont également perçu combien cet engagement était parlant "sur Dieu", sur sa proximité, son humanité et son universalité.

* Tels sont les trois éclairages qui, antérieurement à toute décision de foi, situent Jésus à une place originale dans le cours de l'histoire religieuse. En lui, nous "approchons" d'une triple "densité mystèrieuse" : celle qui concerne le monde divin et ses rapports aux hommes… celle qui nous concerne personnellement au titre de notre intelligence et de notre liberté…celle qui concerne Jésus et la profondeur de son témoignage en double dimension humaine et divine…

C'est ainsi que se pose, pour nous, la question de son lien personnel avec le monde divin . Ce ne sont pas des miracles spectaculaires ou des actions extraordinaires qui nous interpellent… c'est sa plénitude d'humanité qui nous alerte sur la présence et l'activité du monde divin en lui.

Comment ne pas être impressionné par la synthèse qui ressort de son témoignage en paroles et en actes… sa profondeur d'analyse, son équilibre, son universalité, sa parfaite adaptation aux possibilités humaines, la pertinence de la route qui est proposée comme la plus efficace… en un mot sa créativité… Et comment rester insensible à la manière dont il a fait "exploser" en vie le drame de mort qu'il a vécu sous nos yeux… Nous savons combien notre nature humaine est complexe, diverse, confuse en ses possibilités… et voici que nous est proposée, sans prétention ni pression, une "partition" qui en fait résonner tous les "harmoniques"… Car ce sont bien tous les "jeux" de l'instrument humain qui sont repris et orientés au maximum de leur créativité…

* Quelle expression peut rendre compte de ce lien étroit avec la création qui nous apparaît habiter la personnalité de Jésus ? Nous serions tentés de répondre : aucune ; toutes ne peuvent qu'être imparfaites… Mais telle est la tournure de l'esprit humain qu'il cherche toujours des "mots" pour communiquer et qu'on ne peut le lui reprocher.

Les évangiles nous témoignent que, dans le cadre juif de son temps, Jésus a préféré l'expression "fils de l'homme"… Bien entendu, ses auditeurs entendaient le mot "fils" au sens très large que lui donnait leur civilisation : "fils de l'humanité", mot équivalent à "frère des hommes"…

L'intention de Jésus est facilement perceptible. il tenait à souligner la priorité qu'il entendait donner à "l'homme" en ses enseignements comme en ses engagements. Il évitait également les méprises qui ont si lourdement pesé sur les commentaires postérieurs à propos de l'expression "fils de Dieu", car la référence "homme" est contrôlée par l'expérience courante de nos rapports avec d'autres hommes.

On ne peut cependant trop reprocher aux communautés chrétiennes d'avoir essayé de traduire explicitement l'enracinement divin dont ne pouvaient pas être dissociés ses paroles et ses engagements. il leur fallait préciser aux convertis quel salut avait été apporté et quelle personne s'était révélée en Jésus. Après la résurrection, l'expression "fils de Dieu" paraissait effectivement plus évocatrice…

Reste-t-elle la plus adéquate pour exprimer aujourd'hui cette "densité mystérieuse" ?… Nous reviendrons dans le prochain dossier sur les mutations dont il serait nécessaire de tenir compte pour éviter nombre de confusions.

En conclusion, nous pouvons transposer une phrase de Mieczyslaw Malinski : " Si cela te dérange, ne lui dis pas "Seigneur"… Si cela te semble étrange, ne lui dis pas "Fils de Dieu"… Si cela ne signifie rien pour toi, ne luis dis pas "Toi qui es assis à la droite de Dieu"… Si tu ne le comprends pas, ne lui dis pas "Verbe divin"… Dis-lui "Jésus" ou simplement écoute-le parler…



2°- Jésus a-t-il posé la question aussi nettement qu'on a pris l'habitude de la formuler ?…

Quelques constatations peuvent nous ouvrir la route …

= Au sujet du lien personnel de Jésus au monde divin, l'étude des premiers écrits chrétiens amène à écarter l'hypothèse d'une "invention" de l'Eglise postérieurement au témoignage historique . En particulier, il n'est pas possible d'y voir une "invention" de la première communauté chrétienne, en vue d'atténuer le scandale que représentait la crucifixion.

* La première communauté était juive et, au temps qui a suivi immédiatement Pâques, elle a eu recours aux "modèles de pensée" juifs pour rappeler et comprendre ce qui avait été vécu . Certes, la notion juive de Messie postulait un lien particulier du Messie avec Dieu, mais pas un lien de cette originalité . Une conception aussi "directe" représentait au contraire pour la pensée juive un "scandale", un "blasphème"…

* La tendance à l'invention est fréquente lorsque des textes rendent hommage à des personnages illustres; il est facile d'y déceler une "déshumanisation", la présentation posthume du héros l'arrache à la condition ordinaire de ses contemporains.

Au contraire, la présentation évangélique conserve à Jésus une humanité réelle qui complique, plus qu'elle ne favorise, la réponse au "mystère" que l'on y pressent. Les textes cheminent sur une ligne de crête qui jamais ne verse, ni d'un côté, ni de l'autre. Nous savons ce qu'est être homme et Jésus répond pleinement à ces conditions... Nous hésitons sur ce qu'est "être dieu" et les évangiles respectent cette hésitation, se gardant bien de recourir aux clichés habituels purement imaginaires.

= A la lumière des fichiers précédents, nous pouvons tenir pour assuré que Jésus n'a jamais éludé les points difficiles qui avaient rapport à notre vitalité concrète, il a même cherché à en simplifier au maximum la présentation.. Mais nous pouvons également remarquer qu'il a souvent nuancé la manière dont ses disciples pouvaient assimiler certains aspects de son message.

Bien entendu nous devons tenir compte des conditions particulières que lui imposaient le milieu où il vivait et la formation première de ses amis… Pourtant, ce n'est pas sans raison que les évangélistes associent à leurs souvenirs quelques notes sur la "technique pédagogique" de Jésus. Ils avaient conscience que leur portée était plus universelle que nous ne le pensons en première écoute.

= De façon générale, les témoins directs nous témoignent que le "style de Jésus" n'a pas été celui de la "démonstration", à la manière grecque dont nous sommes héritiers. Il a préféré utiliser largement le symbolisme, suggérant et invitant à la réflexion par "petites touches", en appel à l'intelligence, à la valeur du temps, à la liberté de la recherche.

Nous devons refuser d'assimiler son enseignement à certains "raisonnements théologiques" ultérieurs. Leurs présentations font penser aux "savants" qui, après un long travail sur un sujet inconnu, publient victorieusement un compte-rendu dans le but "d'expliquer" clairement un domaine encore caché. La chose est possible en bien des domaines, elle ne l'est pas sans dommage lorsqu'il s'agit d'évoquer un monde qui se situe au delà du connu comme du connaissable. Jésus en avait nettement conscience .

à la source, une découverte lente et progressive… suscitée et éclairée par un "partage en humanité"…

Concernant la question qui nous retient, Jésus a adopté une "technique pédagogique" particulière, il nous faut parler d'une "découverte" lente et progressive… découverte suscitée et éclairée par un partage en humanité qui "nourrit" une première efficacité… découverte dans un sens "bas en haut"… assortie de multiples "rectifications" pour prévenir les déformations possibles…

* Nous pouvons tenir pour sérieux les écrits qui nous rapportent comment, dès les années du ministère en Palestine, s'est amorcée cette dynamique de pensée ... Même s'il est évident que la réflexion s'est amplement développée après Pâques et a rétrospectivement influencé la présentation des témoignages, les engagements et les paroles de Jésus ont amené les témoins directs à aller progressivement au-delà de leurs conceptions d'un simple Messie ou d'un prophète, fut-il le plus grand. Les symbolismes que nous lisons au sujet de l'expression de cette intuition ne peuvent être réduits à des manières de parler ou à des interprétations de thèmes juifs…

* Mais les écrits du Nouveau Testament insistent sur les incertitudes, les hésitations qui perturbent l'esprit des premiers compagnons à propos de cette relation particulière. Ils se gardent bien d'émettre une théorie, un "dogme"… ils ne se situent pas à l'affût de preuves qui pourraient servir d'arguments" justificatifs appuyant une thèse…

Nous pouvons tenir pour assuré le fait de ces tâtonnements. Les textes ont été rédigés bien longtemps après, à une étape avancée de la réflexion : ils anticipent parfois dans leurs présentations historiques des conclusions admises désormais par leurs lecteurs… Et pourtant ils tiennent à rendre compte du cheminement timide qui a marqué la source de leur foi…

découverte dans un sens "bas en haut"…

Il est intéressant de repérer les étapes de cette progression… leur portée symbolique est plus universelle qu'on ne l'estime au premier abord…

a) Les apôtres ne se sont pas mis en route à l'issue d'une leçon de catéchisme concernant la "divinité" du messie à venir. Ils ont été attirés par une personne et, à son sujet, il leur restait beaucoup de choses à "voir"(Jn 1/39) …

b) Comme nous le disions précédemment, au temps du ministère public de Jésus, ses paroles, ses actions et surtout les échanges avec ses amis durant les temps d'intimité, ont du susciter bien des questions personnelles... Celles-ci dépassaient la reconnaissance de sa messianité ... elles dépassaient la "sélection" qui s'imposait entre les différents styles que les Ecritures présentaient à propos du Messie… Mais il s'agissait encore d'impressions, d'intuitions… sinon d'impasses!

Il est difficile de préciser davantage les éléments qui ont influencé ce premier temps… En conversation courante, Jésus ne pouvait manquer de laisser échapper quelques bribes concernant la conscience qu'il avait de ce lien profond … Par ailleurs, ses amis ne pouvaient rester indifférents à l'ambiance dans laquelle il situait sa prédication, de façon très personnelle et "avec autorité" (Mc 1/22)… Ils étaient sans doute sensibles à l'assurance "insensée" dont l'ancien charpentier de Nazareth témoignait dans son affrontement avec les chefs religieux et autres opposants… Ces traces sont indéniables même si elles se sont chargées ensuite, assez naturellement, des symbolismes qui les développèrent…

De façon apparemment étrangère à cette réflexion intérieure, l'enseignement quotidien de Jésus bouleversait également bien des conceptions "traditionnelles" concernant le sens de Dieu. Il ne s'agissait pas de la rupture avec les dieux païens, le judaïsme avait déjà assimilé cette mutation… En continuité et en référence à l'enseignement biblique, Jésus esquissait une autre "approche" qui se révélait assez différente des présentations rabbiniques… A ce moment, ses amis ne devaient certainement pas faire le lien avec ce qu'ils découvriraient plus tard au sujet de sa propre personnalité.

c). le procès de Jésus dût marquer une deuxième étape ...L'aspect "extérieur" de ce procès était déjà porteur d'enseignement . Il révélait les racines des oppositions qui se déployaient au grand jour en se liguant contre Jésus : les pouvoirs religieux sclérosés et enfermés dans leur suffisance… les pouvoirs politiques totalement dépassés par les événements et soucieux du bon ordre plus que de la justice ... les foules versatiles, promptes à l'enthousiasme comme au reniement lorsqu'il leur fallait se compromettre en responsabilité personnelle ... .

Mais ce n'était pas seulement "l'extérieur" qui était révélateur. Les évangélistes nous traduisent un "plus" qui ne s'explique pas par le souci éventuel d'amortir le scandale de la croix. Il suffit de lire le dialogue qu'ils reconstituent entre Jésus et le grand prêtre ou, pour Jean, entre Jésus et Pilate; il y est peu question du Message comme motif de condamnation . Le rejet se fait sur la personne de Jésus, elle devient le thème principal de la passion .

Sans doute avons-nous là la trace de l'ambiance assez étrange qui entoura cet affrontement et sur laquelle les auteurs tiennent à revenir . Outre certains détails, ils l'expriment par le biais des "titres" qui sont tournés en dérision… dans les interrogatoires, les outrages, les insultes, la pancarte fixée à la croix ...

découverte assortie de multiples "rectifications" pour prévenir les déformations possibles

*-Les commentaires oublient souvent d'intégrer dans leur réflexion les mises en garde explicites que rapportent les textes fondateurs. Il n'est pas totalement faux d'attribuer les "dérapages" des disciples ou des foules à une formation juive antérieure… mais le fait que les évangélistes aient choisi de nous en parler invite à percevoir la portée universelle des "impasses" que souligne la réaction de Jésus.

*-Jésus a fait plus que recommander le silence aux témoins des guérisons ou d'autres manifestations. Il a refusé catégoriquement certaines "formules" ou certaines présentations que ses amis ou ses opposants avançaient pour traduire une impression encore diffuse.

- au départ de son ministère, les évangélistes abordent d'emblée les déformations possibles, Marc sous une forme concentrée (Mc 1/24), Matthieu (Mt 4/3)et Luc (Lc 4/1) sous la forme plus développée des "tentations". En les faisant exprimer par des "démons", ils soulignent nettement leur dimension d'obstacles à toute compréhension ultérieure. Une seule réponse s'impose : "Silence!"….

Trois "pièges" ressortent nettement : 1. le mépris pour la simplicité de son humanité : "Jésus de Nazareth", bourgade quelconque dont le nom ne figurait dans aucun écrit de l'Ancien Testament… 2. l'a priori négatif, habituel à l'imaginaire religieux et dans lequel on veut l'enfermer : "es-tu venu pour nous perdre?"… 3. la fuite "vers le haut", elle-aussi habituelle : une belle formule sert d'alibi sans être soumise à réflexion: "je sais (ou plus exactement je prétends savoir) qui tu es : le Saint de Dieu!"…

- au centre des années de prédication, deux épisodes confirment la même attitude de la part de Jésus et donc la persistance des mêmes impasses. Au soir du partage des pains (Jn 6/15) la foule manifeste une totale incompréhension de la mission dont Jésus voulait témoigner, celui-ci "se rend compte qu'il est menacé d'être embarqué dans une aventure politique de libération", "il s'enfuit dans la montagne, tout seul"… au risque de décevoir certains disciples qui se retirent (6/66)

- Vers la même époque, un dialogue "rugueux" entre Jésus et Pierre (Mt 16/15) illustre parfaitement certaines confusions, souvent inconscientes. La question était simple : "Pour vous, qui suis-je ? "… La réponse de Pierre semblait parfaite : "Tu es le Messie, le Fils du Dieu-vivant !"… Mais, aussitôt après, Jésus introduit l'hypothèse de sa passion et c'est alors que se révèle le "creux" de la formule : "Dieu t'en préserve, Seigneur, cela ne t'arrivera point !"… La réaction ne se fait pas attendre : "Passe derrière moi, Satan ! Tu me fais obstacle ! Tes pensées ne sont que des pensées humaines !"

- L'affrontement entre Jésus et le grand prêtre lors du procès confirme la "rupture" qui s'impose à certains moments plus décisifs où le cheminement implique une bifurcation. La question n'était pas mal posée : "toi", c'est-à-dire toi qui t'es exprimé en un certain nombre d'enseignements et d'engagements précis… "es-tu le Fils de Dieu ?", c'est-à-dire prétends-tu avoir mené cette action en unité personnelle avec Dieu… Car, si vraiment c'est là le style de Dieu, le "visage" qu'il faut lui donner, de fait il ne s'agit plus du même Dieu que, nous, juifs, nous honorons…

La réponse affirmative de Jésus ne pouvait être ressentie que comme un "blasphème"… car tout un passé était remis en question par le témoignage de Jésus, un passé qui s'était efforcé de "désenliser" peu à peu le peuple juif des conceptions païennes… un passé qui avait construit la charpente religieuse du judaïsme contemporain. Il ne pouvait être question d'admettre un tel bouleversement…

*-Nous pouvons remarquer que la plupart des rectifications portent sur le recours trop rapide à des expressions: "fils de Dieu" ou l'expression équivalente "Saint de Dieu"… Comme le confirment les 70 mentions que nous trouvons dans les évangiles. Jésus leur préfère l'expression "fils de l'homme". Malgré son caractère un peu énigmatique, il est facile de percevoir le déplacement de référence .

Les premières communautés… poursuite d'un cheminement

* Les années qui suivirent immédiatement la résurrection furent sans doute marquées d'un grand bouillonnement d'idées Les documents nous manquent pour en déterminer la teneur exacte, mais il est facile d'imaginer un rassemblement des souvenirs en vue de proclamer avec exactitude la densité de l'action passée et d'en tirer des orientations pour l'avenir...

Tout naturellement, une question devait hanter les esprits :"qui donc est Jésus ? "… Nous aimerions suivre le mûrissement de cette pensée, ne serait-ce que pour comprendre les choix qui furent faits alors, parmi nombre d'expressions possibles Cela nous permettrait également d'éclairer le vrai sens qui fut affecté initialement à certains mots… La chose est quasiment impossible tant les options furent variées tout en convergeant vers une même personne. Paul emploie fréquemment le mot "Fils de Dieu" dans un contexte d'action très positive de la part de Dieu. Mais, dans les Actes, nous ne trouvons qu'une seul mention tardive de cette expression alors que la mention "Seigneur Jésus-Christ" est tellement abondante que nous pouvons la tenir comme familière à cette époque.

Un contraste apparaît assez clairement …Pour les premières communautés, il ne faisait aucun doute que Jésus était désormais "ressuscité"… Lorsqu'il s'agissait d'en traduire les conséquences "par rapport aux hommes", la prédication apostolique était désormais "à l'aise"… Lorsqu'elle aborde le sujet "du côté de Dieu" elle se révèle beaucoup plus hésitante dans l'expression.

Les textes semblent avoir peur de "figer" dans les esprits ce qui reste un "mystère" selon le sens positif que nous avons précisé : "réalité tellement riche de sens qu'on n'en finira jamais de l'explorer". La pluralité d'expression et le symbolisme semblent être les deux seules voies qui permettent d'en parler sans la trahir. Mais nous sentons déjà l'influence de sensibilités diverses et de cultures différentes en raison de l'expansion de la prédication …

* Ce cheminement s'imposait-il aux premières communautés en raison des conditions particulières que revêtait leur mission de témoignage ou s'impose-t-il à toute génération, excusant le même tâtonnement et invitant à la même modestie quant à l'expression de la réponse?



Une réponse toujours mal présentée…

Si telle a été la "technique" de Jésus pour laisser deviner peu à peu son rapport personnel au monde divin, sans qu'il s'agisse là d'un obstacle à un premier partage et à une première efficacité commune… si telles ont été les hésitations et les tâtonnements des premiers témoins, sans complexe ni doute sur l'accompagnement du ressuscité… nous serions bien téméraires de préférer les raccourcis hasardeux à la méthode "patiente" que nous venons d'analyser comme étant celle de la source…

* Comment vivre aujourd'hui cette recherche ?… La diversité des cheminements, aux premiers temps de l'Eglise, invite à respecter la valeur des réflexions particulières qui intègrent les sensibilités et les modèles de pensée variables selon les époques… Mais nous aurions tort de négliger les bases communes qui émergent en lumières "pédagogiques": découverte lente et progressive… à partir du témoignage en humanité de Jésus… sans peur des ruptures avec certaines traditions marquées de l'imaginaire religieux habituel …

* Les évangélistes peuvent nous y aider. Certes; habituellement, nous faisons appel à eux pour "approcher" au plus exact le témoignage de Jésus. Mais, en organisant la présentation des souvenirs, ils se fixaient le but qui est le nôtre. Sous cet angle nous disposons donc de quatre cheminements.. Bien entendu, ils ne sont pas à prendre comme exclusifs mais ils peuvent être sources d'inspiration… tout particulièrement celui de Marc

Le cheminement proposé par Marc

Vous pouvez trouver une étude complète de Marc dans la partie Evangile du site. Nous ne faisons que reprendre l'essentiel du fichier 4Evangile/Smarc/marc05. Si nous développons surtout Marc, c'est qu'il nous paraît plus harmonisé avec la sensibilité moderne, mais c'est là une simple opinion.

°- Dès le premier verset, Marc nous définit le plan qu'il compte adopter. Il s'agit d'une "découverte" concernant la personnalité de Jésus; il nous propose une réflexion en deux étapes. Première étape : Jésus - Messie : en regardant Jésus historique, il s'agit de le découvrir Christ (mot grec traduisant le mot araméen Messie)… Deuxième étape : Messie - Fils de Dieu : en regardant quel Christ il a voulu être, il s'agit de le découvrir "fils de Dieu"…

°- Pour l'auteur, le témoignage historique constitue le "matériau" essentiel de cette découverte. Il en présente les éléments selon une progression très ordonnée : trois "pistes" d'exploration sont proposées pour soutenir le passage de Jésus à Christ… trois autres "pistes" d'exploration sont proposées pour soutenir le passage plus délicat de Christ à Fils de Dieu.

a) Pour passer de Jésus à Christ, la réflexion porte sur trois thèmes: activité de guérison, activité d'enseignement, activité de nourriture… A l'intérieur de chaque ensemble, trois perspectives se conjuguent : 1. profonde humanité de l'engagement de Jésus, ce sont bien "nos" problèmes que Jésus rejoint pour les éclairer, les libérer de leurs pesanteurs et nourrir leur dynamisme … 2. efficacité d'une guérison à entendre au sens large d'une "résurrection" qu'il importe ensuite d'orienter et de nourrir, au plan personnel comme au plan communautaire… 3. universalité qui brise les frontières et accélère les évolutions pour que nul ne soit exclus au nom de faux principes ou de traditions dépassées…

b) Ce regard sur le témoignage historique concret de Jésus amène à s'interroger et à se poser une première question : "qui donc est Jésus ?"… Le lecteur dispose maintenant des éléments nécessaires pour se décider en perspective de "messianité"

c) La deuxième partie de l'évangile de Marc implique que la première ait été bien "digérée". L'évangéliste invite à poursuivre en "creusant" le messianisme qu'incarne Jésus. Jusque-là ce messianisme se révélait original sans trop bousculer les idées, celles qui se rapportent à l'homme comme celles qui se rapportent à Dieu. Son aspect "sympathique" dominait et faisait apparaître comme nettement coupable l'opposition de certains de ses contemporains.

Mais il est essentiel de ne pas s'arrêter en chemin. Ce qui pouvait être pressenti dans un engagement qui visait le "positif" de l'homme, se trouve confirmé et amplifié lorsque Jésus reprend à son compte le "négatif" de l'homme, à savoir, en de multiples domaines, l'exigence "naturelle" de passer par la passion pour parvenir à la résurrection.

En un quatrième développement, Marc esquisse le lien entre la passion-résurrection de Jésus et les exigences qui s'imposent personnellement à tout disciple... Un cinquième développement situe la "marche de l'histoire" dans la même perspective de passion-résurrection. Ainsi est introduit le sixième développement, celui qui rapporte les événements où le "négatif" est apparu dans tout son drame …

°- Nous sommes tellement habitués à la description de ce drame que nous risquons de ne pas "entendre" la densité que l'évangéliste cherche à exprimer dans sa présentation. Il insiste particulièrement sur deux points .

Il n'y a pas coupure avec le témoignage qui a précédé. En une situation qui en traduisait particulièrement les conditions difficiles, Jésus a assumé au maximum notre humanité… En son propre destin se concentraient les éléments qui constituent, sous cette forme ou sous une autre, tous les drames qui défigurent le monde des hommes .... En la laissant "résonner" en lui de toute sa tension, il l'a "orientée" de façon totalement nouvelle au regard des comportements habituels…

Mais Jésus a vécu ces événements en profonde unité avec le Père, sans distance et en une même "volonté". Il a ainsi révélé Dieu dans son engagement pour l'homme ... C'est au cœur de ce drame qu'il a été le plus Messie, c'est-à-dire en solidarité avec Dieu, celui-ci le soutenant "selon ses idées de Dieu" et non selon les "idées spontanées des hommes" . Le mot "Messie" se trouve alors dépassé, désormais inadéquat. Par la profession de foi du centurion, Marc nous le confirme : "cet homme Jésus" ... "reconnu déjà comme Messie" ... est vraiment "Fils de Dieu"...

Mais pour proclamer Jésus "Fils de Dieu", il faut d'abord avoir changé les "idées sur Dieu" au regard d'un témoignage historique "complet. Cette question du vrai "visage" de Dieu est au coeur du message de Marc.

Le cheminement est facile à résumer . En regardant Jésus vivre un témoignage précis et en donnant crédit à ce témoignage particulier - donc en situant Jésus comme Messie - nous sommes entraînés à pressentir en lui la présence d'un Dieu tout-autre . Ce qui n'était que pressentiment devient certitude lorsque nous sommes témoins de la manière dont Dieu intervient - ou plus exactement n'intervient pas - dans le drame de la croix . En "collant" à Dieu dans sa passion, Jésus a exprimé visiblement jusqu'à quel point dramatique Dieu était prêt à aller dans son engagement en faveur des hommes, quel que soit leur accueil ... c'est là que nous découvrons "en clair" son vrai visage.

A ce stade d'approfondissement, nous sentons combien le message de Marc est actuel et mérite d'être "entendu", même si, parfois, son "décryptage" présente quelques difficultés.

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Qu'est-ce donc que la foi chrétienne ?

9. Le "VISAGE de DIEU" révélé en Jésus

troisième regard : "vérité ou utopie?…"

Tout sympathique que soit le "visage de Dieu" révélé en Jésus, les problèmes qui surgissent lorsqu'on l'évoque sont sans doute plus nombreux que ceux qu'on résout. Bien qu'il reste difficile de percevoir la totalité des questions, il ne peut être question de les "laisser en route"…. Quant à y répondre de façon pleinement satisfaisante, seul, le dialogue permettrait de personnaliser une recherche commune…Il n'est cependant pas interdit de l'amorcer.

Pour que demeure une certaine continuité, ce dossier se présente comme une parenthèse qui s'attaque aux difficultés les plus habituelles …



Au cours des fichiers précédents, pour ne pas alourdir la marche de notre réflexion sur la foi chrétienne, nous avons été contraints de résumer. Sans nous reprocher cette brièveté, beaucoup ont pu la ressentir comme minimisant les "difficultés" qu'ils ressentent personnellement. Nous ne voulons pas attendre pour accueillir l'interrogation qui les résume : "vérité ou utopie ?"

1°- "Vérité ou utopie?…" une question à accueillir

une question normale

* L'évangile lui-même insiste sur l'attitude très souple de Jésus à cet égard. L'exemple le plus parlant concerne Jean-Baptiste (Mt 11/2) : depuis le début, il s'était consacré à l'annonce du Messie… il l'avait discerné en la personne de son cousin… il avait orienté vers lui ses propres disciples et s'était réjoui de ses premiers succès… et voici que, du fond de sa prison, il se trouve déconcerté par le "style d'humanité" qu'adopte Jésus : "es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ?"… "vérité ou utopie ?"… c'est bien la même question…

Jésus se garde bien de le condamner… Au contraire, il insiste sur la voie d'humanité qu'il a choisie comme "vrai visage" de sa mission… mais il en profite pour souligner les qualités positives qui ont amorcé le cheminement du Baptiste : il ne s'est pas comporté en "roseau agité par le vent", il ne s'est pas installé dans le confort, il a pris le relais de ce qu'il y avait de plus dynamique dans le passé…

* Sous un "extérieur" différent, notre environnement est assez semblable à celui de Jean-Baptiste. Dans le cadre médiatique de notre civilisation moderne, nous sommes toujours contraints à un effort de discernement… nous avons souvent peur de "nous faire avoir"… Les "présentations" sont facilement convaincantes ; il n'est pas toujours facile de démêler le vrai du faux parmi les multiples articles ou émissions dont nous disposons. Les reportages sur les sectes ou autres nouveaux groupes religieux nous rendent sensibles à tout ce qui pourrait être un embrigadement.

* Dans le domaine religieux, nous risquons d'être également victimes de l'état d'esprit d'une première formation. Au temps de l'enfance, un certain nombre de "principes" nous ont été inculqués… A cet âge nous étions bien incapables d'en mesurer la portée ultime pas plus que nous n'assimilions en profondeur les explications qui tentaient de les justifier… Il était rarement admis que nous puissions les remettre en cause avant le temps de l'adolescence…

Devenus adultes, la plupart de nos contemporains ont effectué cette mutation en de nombreux domaines sauf en rapport aux réponses "provisoires" que proposait leur catéchisme. A leurs yeux d'adultes, il en sont restés à quelques notions assez vagues, héritées de leurs jeunes années au même titre que d'autres notions touchant aux multiples domaines "inconnus" qui meublent notre monde. Ils se contentent d'une expression dite "habituelle", celle que beaucoup semblent partager et qui, de ce fait, leur paraît suffisante. En conversation courante, il est rare qu'ils abordent les questions concernant la foi et il est encore plus rare qu'ils en traitent "en profondeur".

* Il leur apparaît impensable de vouloir aller plus loin… Au nom de la liberté d'opinion, ils ne sont pas contre, mais ils taxent cette démarche "d'originale" pour mieux s'en dispenser . Notre environnement semble donc poursuivre son cours dans la plus grande des indifférences. Fatalement un certain "complexe minoritaire" pèse sur le désir de réflexion et il n'est pas toujours facile de s'en libérer.

une question nécessaire

"Le doute ou la foi" tel est le faux dilemme qui est souvent présenté et qui aboutit à deux attitudes, prétendument "idéales" et tout aussi condamnables : l'abandon systématique, "tout cela n'est que légende!" ou la passivité, "on gobe tout, même si l'on n'y comprend rien!"

Pour être efficace, toute recherche doit inclure le doute et la foi… Sans "doute", il n'y a pas de foi chrétienne, les convictions risquent de se réduire à un "dogme verbal" très théorique. Ou bien il n'en ressort aucun dynamisme d'activité… ou bien, faute d'une souplesse d'adaptation, leur impact se situe totalement en porte-à-faux de la vie concrète… Sans parler de l'auto-suffisance qui ressort souvent de cette attitude…

A l'opposé, sans "foi", le doute risque de disperser les efforts en raison des multiples attaches qui guettent tout engagement. A la manière d'un cancer, celles-ci menacent de ronger du dedans les possibilités et les virtualités. La foi permet au doute de se purifier et de jouer un rôle positif de service pour affermir plus solidement les bases d'une pensée …

Le meilleur exemple que l'on puisse donner pour marquer cette exigence de cohabitation entre doute et foi est celui du savant : sans "foi", il risque de n'entreprendre aucune recherche et de se réfugier dans ses livres… sans "doute", il risque de s'arrêter "en chemin" en proclamant définitives des conclusions que d'autres études révéleront transitoires…

Doute et foi appartiennent à la condition chrétienne au titre de leur appartenance à une condition humaine qui se veut dynamique. Dans un domaine comme dans l'autre, ils permettent d'épanouir les trois "talents" qui nous sont propres : grandeur, liberté, devenir…

une question personnelle

Nul ne peut "avoir la foi à la place d'un autre"… Nul ne peut imposer la foi à un autre…

Le concile Vatican 2 s'est exprimé nettement sur ce point ( La liberté religieuse - paragr. 3). Certes, il est possible de "s'aider mutuellement dans la quête de la vérité", d'affiner "l'échange et le dialogue par lesquels les uns exposent aux autres la vérité qu'ils ont trouvée ou pensent avoir trouvée". Il n'en demeure pas moins que "c'est toujours de façon personnelle " que chacun se détermine selon un choix conscient et libre"…

Ceci complique singulièrement l'adoption d'un plan pour que ce dossier ne trahisse pas la question qu'il tente d'aborder. Il serait présomptueux de dresser le catalogue de toutes les sources possibles d'où peuvent jaillir les doutes . Nul ne peut percevoir exactement la nature et la forme de ce que ressent un autre, selon tant de paramètres qui lui sont personnels…

Pour respecter cette diversité, nous ne pouvons que tenter le regroupement de quelques flashs qui ont paru faciliter certains cheminements en "déblayant le terrain"…

2°- "Vérité ou utopie?…" un brouillard à dissiper

bien cibler les perspectives

Pour diverses raisons, notre société est victime d'un phénomène curieux . de nombreuses questions, particulièrement les questions religieuses, se trouvent posées "à l'envers" sans que personne ne semble en avoir conscience. Il est donc inévitable qu'elles ne trouvent pas de solutions satisfaisantes ou qu'elles s'enlisent dans des impasses…

Au nom du simple "bon sens", il est possible de remettre quelques problèmes "à l'endroit"

1ère évidence : Ce n'est pas nous qui "inventons" les questions, pas plus au plan religieux qu'aux autres plans… ce sont les questions qui nous rejoignent et ceci de la façon la plus naturelle. Nous ne pourrions échapper à leur enchaînement qu'en adoptant la politique de l'autruche qui se cache la tête sous le sable pour se croire en sécurité !

Parmi les problèmes spontanés qui se posent au quotidien, certains sont relativement faciles à résoudre et nous leur apportons des solutions appropriées : ainsi en est-il des problèmes d'organisation qui sont laissés à notre initiative et à notre liberté, et que nous résolvons par appel à notre jugement et à notre intelligence… Ces deux qualités jouent également un grand rôle dans les problèmes de relation qui enrichissent notre existence et facilitent le rayonnement de nos "talents"… Quant aux problèmes de curiosité, nous en apprécions les bienfaits, car ils stimulent le développement de notre esprit…

Toute cette activité nous aide à prendre conscience de notre personnalité, car, c'est à partir de nos engagements que celle-ci se forge, consciemment ou inconsciemment… Mais, sur sa lancée, nous sommes souvent entraînés au-delà des questions pratiques, à un niveau plus personnel,. Les solutions que nous apportons à notre quotidien ne résolvent pas tout ; du fond de notre conscience, peut-être timidement, nous sentons émerger un bouillonnement de nature différente; nous sommes comme invités à nous préciser les options fondamentales qui nous motivent. Elles sont déjà à l'œuvre, mais, comme toutes les valeurs humaines dont nous disposons, elles sont loin d'être préréglées…

Encore une fois, nous n'inventons pas cette situation, même s'il nous semble toujours possible de l'ignorer sans grand dommage apparent. Simplement et à juste raison, nous tenons pour important de nous y arrêter quelques instants. Nous refusons de nous livrer aveuglément à la fatalité des événements ou de nos réactions spontanées… nous désirons prendre notre existence en main .

2ème évidence : Il est vrai qu'autour de nous, nombre de personnes semblent se dispenser d'aborder ces questions délicates. Il est fatal que, parfois, le doute nous effleure : Est-il vraiment besoin de nous compliquer la vie?… Les "résultats" justifient-ils l'effort quelque peu "intellectuel" que nécessite une recherche toujours laborieuse lorsqu'on ne veut pas être "le mouton qui suit le troupeau" ?.

Là-aussi les difficultés apparentes naissent souvent d'une mauvaise présentation . Les réponses qu'apportent la foi chrétienne ne sont pas à mille lieues des questions qui les suscitent… elles ne nous arrachent pas à notre humanité, elles l'enrichissent "à son niveau". La foi ne consiste pas en une accumulation de paradoxes incompréhensibles, pas plus qu'elle ne recommande de se retrancher derrière un "mystère" pour pallier la défaillance de l'intelligence.

Nous avons longuement parlé de la densité d'humanité que Jésus propose en "nourriture" de nos engagements. Ce témoignage est la meilleure réponse qu'il nous apporte pour dénoncer "la fuite vers le ciel" ou l'attente passive d'un fluide miraculeux . Le terreau dans lequel plongent les racines de notre réflexion est le terreau ordinaire de notre humanité… que ce soit en secteur religieux comme en bien d'autres…

Par ailleurs, ce n'est pas la recherche qui invente la complexité du sujet… Ce n'est pas la faute du savant si le matériau sur lequel porte sa recherche se révèle à lui beaucoup moins simple qu'au temps où il aurait suffi de le ranger dans l'une des quatre catégories anciennes: la terre, l'air, l'eau et le feu. Si sa présentation entre dans le détail, ce n'est pas pour troubler les esprits ou contester ses prédécesseurs… Il se veut loyal au dynamisme d'une recherche qui ouvre à d'autres analyses qui affineront les premiers résultats…

L'illusion de la simplicité est une tentation fréquente. Elle semble correspondre à un conservatisme naturel et elle est souvent entretenue au temps de l'enfance. A cet âge, il est normal de ne pas décourager les premiers efforts d'ouverture au monde, mais c'est le propre de la maturité de ne pas s'en contenter…

foi chrétienne et sentiment religieux

D'autres brouillards restent également à dissiper, particulièrement la grande confusion qui règne actuellement lorsque sont utilisés en langage courant les mots foi et religion. L'habitude a été prise de ranger dans le générique "religieux" des ensembles de pensées et de pratiques fort différents. Car les clivages vont bien au delà des rites, des fêtes et des livres saints; plusieurs "approches religieuses" se situent même aux antipodes les unes des autres…

Globalement, il est possible de séparer trois "schémas" selon la source les lignes directrices qui caractérisent les différentes religions : le schéma déiste pyramidal - le schéma intérieur de sagesse - le schéma d'accueil d'une présence historique

* Le schéma pyramidal situe le monde divin "en haut", au delà de l'espace et du temps. Il le conçoit comme l'Etre suprême, le grand architecte qui est censé détenir des pouvoirs privilégiés qui lui permettent de régler les "forces du destin". Vis-à-vis de l'homme, son attitude ne peut être que celle du Maître qui, à la fois, impose ses volontés et peut faire bénéficier de sa protection…

L'homme se situe à la base de la pyramide, enlisé dans une réalité très complexe qui lui crée nombre de problèmes et fait ressortir sa faiblesse radicale. Le "mouvement religieux" consiste à se tourner vers ce Dieu Tout-puissant et à entrer en faveur auprès de lui (versant montée). Le Maître de toutes choses est alors en "bonnes dispositions" pour libèrer son pouvoir suprême et influer par l'activité de sa grâce-providence sur les impondérables qui submergent ses créatures (versant descente)…

* Le schéma intérieur de sagesse se retrouve principalement dans le monde extrême-oriental. Une certaine conception mystique est devenue la source de formes ultra-variées ; la méditation Zen semble en traduire le mouvement essentiel . Chacun porte en lui un moi réel qui devrait le fait communier à l'Absolu, suprême unité toujours présente dans l'univers et qui dépasse toutes les différenciations individuelles et les transformations épisodiques. Mais le monde physique et l'existence quotidienne constituent un ensemble d'illusions qui empêchent à la fois la découverte du moi et l'union avec le Souffle primordial. Certaines "voies" permettent cette libération progressive et cette accession à la béatitude absolue.

* Le schéma d'accueil est propre à la pensée juive et à la pensée chrétienne. La pensée juive se situe en accueil de l'engagement de Dieu dans son histoire (Moïse et la Torah) , et la pensée chrétienne se situe en accueil de l'incarnation de Jésus. Pour le différencier des autres schémas, il est possible d'insister sur ses trois "originalités" : 1. attention à une démarche humaine vécue historiquement et perçue en ses virtualités… 2. analyse de ses dimensions universelles en rapport au monde divin, à la communauté humaine et à l'épanouissement de chaque personne… 3. prise en compte de cette "densité d'expérience" comme "nourriture", lumière et dynamisme de la vie concrète personnelle

3°- "Vérité ou utopie?…" une nouvelle sensibilité à prendre en compte dans le monde occidental

Les mentalités contemporaines "ressentent les choses" de façon différente des générations précédentes. Ce phénomène est classique au long de la chaîne d'évolutions qui constitue l'histoire passée. Mais, selon les époques, les "transitions" sont diversement ressenties et, malheureusement, le domaine religieux semble toujours rester en arrière .

Une tendance habituelle porte à "sacraliser" les rapports à la religion. Elle les situe dans un ordre à part et, lors d'une mutation, elle les affecte facilement d'une nostalgie du passé. D'où une attitude contradictoire : à la fois, la religion est refusée comme survivance du passé, et pourtant, on s'y réfère quelquefois en exigeant que les formes demeurent en l'état, alors qu'elles n'ont plus de signification actuelle en raison-même de leur lien avec le passé. L'intelligence de la foi se trouve ainsi séparée des nouvelles sensibilités et n'est plus créatrice.

Il n'est pas facile de cerner précisément les sensibilités au milieu desquelles on vit et que l'on éprouve soi-même. La chose se complique du fait de l'individualisation qui marque notre temps. La mondialisation de la communication influe également au gré des événements… Que l'on pense à la montée de l'Islam ; sa radicalisation dans les milieux extrémistes n'est pas sans influencer l'opinion générale au sujet des religions.

Sans prétendre tout intégrer de ces évolutions, certaines invitent à réfléchir …

= exigence de précision : elle se manifeste sous deux formes principales, l'une pratique, souvent exprimée, l'autre plus inconsciente et qu'il importe de mettre en évidence.

* Nous avons commencé à répondre à la première exigence de précision en invitant à "bien cibler les perspectives" et à les sortir du brouillard où les ont égarées les mentalités déistes issues du 18ème siècle.

Cette première exigence porte également sur la connaissance de "l'histoire". Il est aujourd'hui facile d'y répondre car les documents ne manquent pas, surtout depuis la fin de la guerre 40-45… Leur sérieux et leur indépendance par rapport à tout groupe religieux ne peuvent être mis en doute . Nous y consacrerons la fin de ce dossier.

* L'autre forme d'exigence pèse de façon plus ambiguë sur l'ambiance de la recherche. Notre esprit moderne est marqué par une formation technicienne et scientifique, nous n'aimons pas les domaines inconnus dont l'analyse exacte risque de nous échapper, nous aspirons à des "formules" qui tiennent lieu de cette analyse et nous confortent de leur apparente rationalité.

Cette attirance est source de plusieurs difficultés, parfois inconscientes. Car il ne suffit pas de remplacer certains énoncés par d'autres apparemment adaptés au langage d'aujourd'hui. C'est la méthode même de recours aux formules qui est un piège, particulièrement lorsque ces formules ont été fixées par une civilisation antérieure. Dans le domaine religieux, il est fréquent d'y recourir en les isolant de leur contexte et en les présentant comme des "définitions"… Il s'ensuit un faux absolu qui affecte la "récitation" en la coupant de sa "compréhension".

Nous risquons également de demander trop au langage symbolique ou de demander mal. Quand nous choisissons un exemple comme symbole, nous ne devons jamais perdre de vue qu'il reste symbole. Même si les similitudes sont "parlantes" avec la réalité que nous cherchons à rejoindre, sa "consistance" n'est pas identique à celle du "mystère" d'où est partie la réflexion... Nous l'avons souligné relativement à la "filiation" de Jésus.

A l'inverse, aujourd'hui, nous risquons de ne pas percevoir le symbolisme de quelques mots habituels que nous affectons d'une plus grande précision que par le passé et qui, de ce fait; ont parfois perdu de leur symbolisme… par exemple, en lecture des évangiles, il ne nous vient pas à l'idée de référer la "maison" ou la "barque" à la communauté des chrétiens… Pourtant telle est la suggestion de Marc.

= changement d'attitude vis-à-vis du réel : c'est là une deuxième évolution spontanée

L'homme moderne est réaliste et, de ce fait, se trouve en porte-à-faux avec nombre de présentations passées. Pour certaines, ce décalage provient de l'évolution des connaissances… et il est facilement rectifiable. Mais pour d'autres, c'est l'état d'esprit qui est en cause dans la manière d'exprimer les rapports entre Dieu et l'homme…

Ceci est très net dans la formulation des "prières". Le but implicite de cette "méthode" était "pédagogique", il s'agissait d'évoquer une expérience-limite idéale en incitant à se hausser jusqu'à elle… Il n'est pas contestable qu'en son temps cette "règle du jeu" a eu une influence "éducative". Mais aujourd'hui elle est nettement refusée en raison du "décalage" trop grand qu'elle introduit avec notre "expérience" de tous les jours.

Trois points sont faciles à repérer : 1. les formulations sont souvent maximalistes du côté de Dieu, minimalistes du côté des hommes ; elles semblent ignorer que nous sommes "en marche", en devenir à partir de conditions pratiques qui comportent des avancées tout autant que des déboires… 2. elles font bon marché des "causes secondes" qui sont notre lot quotidien et que nous situons plus exactement aujourd'hui ; nous avons affiné notre conception de la création… nous "osons" situer les événements historiques en libre jeu des responsabilités humaines, que ce soit au titre des énergies et dynamismes comme au titre des conservatismes et violences… 3. enfin ces formulations tendent à "asphyxier" les temps forts de réflexion religieuse, ceux-ci se trouvent "déconnectés" des situations concrètes qu'il nous faut assumer; nous aimerions les voir évoquées sous un autre angle que celui de la moralisation…

= Nous pouvons ajouter à ces points d'évolution d'autres traits mineurs qui sont familiers à nos contemporains en de nombreux domaines ; il n'est pas étonnant qu'ils rejaillissent dans le domaine religieux. Les plus courants sont la défiance devant un savoir pré-assimilé qui ne se réclame pas d'une recherche… et la suspicion vis-à-vis de l'autorité lorsqu'elle semble se méfier du dialogue…

4°- "Vérité ou utopie?…" un appel à évoluer

a) les "atouts externes" dont nous disposons aujourd'hui .

* l'ambiance se trouve dégagée de nombreux à priori…

Actuellement, de la part des chrétiens comme de la part de "ceux qui cherchent", l'ambiance est au dialogue désintéressé et décontracté. D'un côté, les railleries anticléricales ont disparu… de l'autre, le Concile a radicalement modifié l'attitude orgueilleuse qui a fermé bien des portes par le passé …

Par ailleurs, le fait des évolutions et la nécessité de répondre aux défis qu'elles lancent semblent de plus en plus admis. "Derrière nous se tourne une page d'histoire, aussi bien d'histoire de l'Eglise que d'histoire du monde. La mutation présente est irréversible au plan technique : on ne reviendra pas à la charrue tirée par un âne… irréversible au plan social : ce qui était présenté en "besoins nouveaux" avant la guerre de 40 est désormais considéré comme chose normale : sécurité sociale, retraite, vacances… irréversible au plan international : la connaissance du monde et des hommes par les moyeux audiovisuels ne peut que s'amplifier et "rétrécir" notre planète…

Il faut affirmer qu'elle est également irréversible au plan chrétien … on ne reviendra pas au latin pas plus qu'on n'est revenu au grec lorsque celui-ci fut abandonné… les connaissances d'évangile sont amenées à se répandre et à se développer, ce qui paraît nouveau aujourd'hui sera admis naturellement demain…"(M. Legaut)

* l'ambiance actuelle permet de clarifier les questions avant d'y répondre …

Il y eut un temps où l'âpreté de la discussion amenait à brouiller les questions, particulièrement celles qui concernent l'existence d'un monde divin et celles qui concernent Jésus lui-même. Fort heureusement il n'en est plus ainsi.

* Aujourd'hui, le problème de l'existence historique de Jésus est nettement distingué de la valeur que chacun, personnellement, reste libre de reconnaître à son enseignement.

* Grâce aux études qui se sont multipliées à ce sujet en de nombreux pays, les questions de la transmission de son message sont nettement mieux présentées. La minutie des recherches peut décourager la lecture complète des ouvrages qui en traitent, mais le sérieux de leurs méthodes d'analyse ne peut être suspecté.: recension et datation des manuscrits, séparation des textes sérieux et des œuvres apocryphes… corrections à apporter à certains manuscrits en raison des erreurs de copistes ou des interprétations des traducteurs… Comme toutes les investigations de l'époque moderne, leurs conclusions sont très étayées et fort nuancées.

* Il est donc possible de rejoindre sans appréhension le texte des évangiles et de mieux en percevoir la composition . La conception ancienne d'une inspiration "miraculeuse" ou d'un compte-rendu au jour le jour n'est plus retenue que par quelques fondamentalistes sans avenir. Il devient incontestable que nous sommes en présence d'auteurs authentiques qui nous incitent à poursuivre le travail d'approfondissement qu'ils proposaient aux premières communautés chrétiennes. Nous l'avons vu précédemment, celui de Marc est particulièrement harmonisé avec notre sensibilité moderne.

* Les recherches et les études ont également porté sur la pensée juive du premier siècle et ont permis une meilleure compréhension de ses particularités, particulièrement de ses genres littéraires ; ces connaissances avaient été étouffées depuis les premiers siècles en raison de l'influence prépondérante de la culture grecque. Bien que timidement, la notion d'expression symbolique est de plus en plus admise et ouvre à une lecture plus riche des textes en évitant nombre de faux-sens passés…

b) les "atouts internes" : l'état d'esprit de Jésus et des évangélistes.

En connaissant mieux le milieu où Jésus s'est situé, il est désormais possible de présenter une synthèse "historique" plus exacte de son témoignage. Partant de là, nous percevons assez précisément la manière dont il a insufflé à son témoignage une dynamique qui dépassait le cadre et le lieu précis où s'exerçait son ministère. Le recul des siècles permet de la confirmer comme une dynamique universelle.

Jésus semble avoir eu conscience des "pièges" qui guettent toutes les époques dans la manière de concevoir et de vivre leurs rapports au monde divin. Il les a déjoués dans le cadre juif qui était le sien, mais cet aspect concret explicitait une "méthode" des plus intéressantes qui allait se proposer à ses amis lors de la crise judéo-chrétienne comme elle se propose à tous les temps de perturbations

Nous pouvons facilement constater qu'il a "travaillé" sur deux plans, un plan d'actualité et un plan de prospective.

En actualité, il a cassé net certaines pesanteurs du judaïsme qui lui était contemporain, il se situait ainsi plus proche de la "fracture" que de la continuité… Mais en faisant ressortir les racines de ces pesanteurs, il s'est également situé en rupture avec leurs émergences possibles dans le futur… A ses yeux, la vigilance impliquait une fracture permanente.

En prospective, il a tenté de préparer ses amis à leur future mission. Il l'a fait essentiellement en leur inculquant un état d'esprit dont ils étaient loin de soupçonner les diverses implications… Il s'est bien gardé de préciser les contours d'une "organisation", fut-elle instituée en sa mémoire… Il leur a ouvert un chantier où la fidélité n'excluait pas une certaine autonomie… bien au contraire !

Les Actes des Apôtres nous témoignent que les apôtres n'eurent pas à attendre longtemps pour être confrontés à la série des difficultés que Jésus avait esquissées. Ils avaient été formés directement par lui ; leur attitude renforce donc ce qui pourrait être diversement commenté du témoignage historique. Outre les pesanteurs internes à la première communauté, les apôtres durent assumer la confrontation avec d'autres civilisations. Leur travail d'évolution fut marqué d'hésitations, de tensions… mais leur action demeure un exemple parlant d'équilibre entre fidélité et liberté créatrice. Dès l'origine, la rupture s'est donc imposée, en se conjuguant avec un souci majoritaire d'accueil et d'adaptation possible dans la forme sans concession sur le fond…

Nous comprenons la densité des évangiles sur ces deux points, ils furent écrits au sortir de cette première crise et leurs auteurs occupaient une situation particulière au "passage" de la civilisation juive et de la civilisation païenne, carrefour d'influences très diverses.

c) les "atouts internes" : les questions que Jésus n'a pas abordées directement

Il peut paraître étonnant de parler des "silences" de Jésus. En période de mutation la chose est cependant essentielle, car les commentaires ont souvent cherché à "combler ces lacunes" en glissant leurs pensées personnelles. Il en ressort nombre de confusions concernant la valeur de certaines assertions qui sont devenues des opinions "courantes" alors qu'elles pèsent le plus souvent à contre-sens. Il n'est pas toujours facile de percevoir leur relativité.

A la lumière des évangiles, nous pouvons ranger les "silences" de Jésus en trois catégories : ceux qui sont facilement explicables du fait des connaissances limitées de l'époque… ceux qui portent sur des questions "spontanées" concernant le monde divin… et ceux qui laissent dans l'ombre des problèmes en rapport profond à nos vies, particulièrement les problèmes du mal, de la souffrance et de la mort…

* Nous comprenons facilement que Jésus se soit gardé de combler les ignorances de son époque. Comment aurait-il pu anticiper les évolutions scientifiques et techniques des vingt derniers siècles sans passer pour fou et sans égarer sur le but essentiel qu'il fixait à son enseignement ?… Mais il est utile de mentionner que sa discrétion ne s'est jamais exprimée en forme de "blocage", sa vison de l'histoire était une vision dynamique qui ouvrait un courant d'avenir non limitatif, pourvu que soient respectées la valeur des personnes et leur solidarité en service et partage…

* Le silence de Jésus sur certaines questions qui semblent en rapport au monde divin, doit aider à réfléchir en un double sens. Notre curiosité est naturelle mais elle nous amène parfois à donner priorité à la futilité sur l'essentiel…la discrétion de Jésus établit une "hiérarchie" qui évite la dispersion…

Par ailleurs, malgré tous les progrès dont nous bénéficions, notre intelligence est "dépassée par certaines réalités qu'elle ne peut même pas concevoir : la création de l'univers… l'émergence de la vie… l'apparition de l'intelligence… l'origine de l'homme… en un mot, nous sommes limités "par nature". Jésus n'a pas "exploité" cette faiblesse native mais il a sélectionné les thèmes de son enseignement pour éviter de nous égarer en certains terrains. C'était là une prudence dont il est facile de percevoir la sagesse et la signification….

* Il faut admettre que d'autres questions restent sans réponse, avant comme après l'enseignement de Jésus. Lorsqu'il s'agit de questions qui ont un rapport profond à nos vies, nous sommes tentés de le regretter.

Nous pouvons cependant remarquer que ce silence n'est pas total et qu'il est possible de percevoir un déplacement ou un complément d'accent qui reste dans le cadre du problème concerné. C'est ainsi que Jésus n'a pas "expliqué" l'origine des maladies. Mais en refusant de les voir comme envoyées par Dieu en punition du péché, il libérait du poids supplémentaire qui leur était attachée… en s'approchant des malades, il témoignait d'une présence qui ne résolvait pas tout mais le situait en accompagnement profondément humain…

Jésus a souvent procédé ainsi, par élimination des fausses solutions, surtout lorsque celles-ci pesaient allaient à l'encontre de la dignité humaine des victimes tout en favorisant l'égoïsme des nantis.

Il n'empêche que nous aimerions avoir plus que ces éclairages indirects. Les remarques que nous faisions précédemment demeurent valables. Certaines questions nous échappent en raison de notre incapacité "naturelle" à concevoir les domaines touchant à l'origine et à la finalité des êtres et des choses. Mais, certaines situations demeureront toujours des impasses…

5° "Vérité ou utopie?…" poids ou dynamique de l'histoire

= Le poids de l'histoire représente pour beaucoup un handicap qui les retient malgré leur acquiescement à certaines présentations renouvelées.? Fallait-il le situer en dernier de notre tour d'horizon ? "Ca se discute !"… A cette place, il nous est possible d'en traiter plus longuement et de mener une analyse plus fine du double visage que présente tout "passé"… le poids en est plus ou moins lourd, mais nous pouvons également estimer que notre "présent" est issu de sa dynamique… la critique est loin d'être condamnable car elle permet de dégager des leçons d'expérience, positives ou négatives, mais ces leçons doivent être converties en service du présent qu'il nous revient de construire…

= La mondialisation actuelle fait entrevoir une grande diversité dans les réponses que les civilisations apportent à de nombreuses questions et particulièrement aux questions touchant le monde divin. Ces différences devraient alerter sur le fait qu'un phénomène de même ampleur s'est poursuivi tout au long de notre propre histoire occidentale, y compris dans le domaine religieux. Pour illustrer l'aventure de la pensée chrétienne, la croissance diversifiée du "fraisier", passant de terrain en terrain, convient mieux que la croissance statique de l'arbre majestueux enraciné dans un seul lieu…

Sans entrer dans le détail, il est donc essentiel de rappeler l'activité des trois facteurs dont nous parlions au fichier précédent : les modèles de pensée, le sens donné au vocabulaire, le symbolisme des mots… Car ce sont eux qui "travaillent" au long de l'histoire et engendrent parfois de véritables mutations dans les formulations et "représentations" religieuses…

1er point : les modèles de pensée

Les nombreux développements dont nous sommes héritiers ont été menés à travers les siècles selon des modèles de pensée très différents… très différents de la forme d'expression qui guidait les premiers écrits… très différents entre eux au long d'un enchaînement d'évolutions qui accentuaient la distance avec le témoignage initial… très différents de ceux qui nous servent aujourd'hui à expliciter notre réflexion…

Il nous faut donc rappeler ce qu'il en est des "modèles de pensée". Ils se forgent spontanément à partir des "connaissances" acquises à une époque et surtout à partir d'un environnement qui les suscite et les influence. Ils sont donc très dépendants de la civilisation ambiante en ses particularités sociologiques et techniques… La sensibilité contemporaine y joue un grand rôle mais d'autres facteurs plus imprévisibles les influencent : c'est ainsi que nous avons noté les différences entre la conception unitaire de la "personne humaine" chez les sémites et le conception analytique de la même réalité chez les grecs…

Même si, sur le moment et dans le cadre courant, ils paraissent "évidents", ils restent fragiles dans la durée. Certes, ils facilitent la diffusion de la pensée, ils sont moteurs de recherche et contribuent à une meilleure compréhension des êtres et des choses… Mais ils peuvent véhiculer bien des "à priori" non contrôlés et non réfléchis. Lorsqu'arrivent des "temps de crise", ils peuvent orienter le cheminement de la réflexion vers des impasses ou bloquer la recherche de nouveaux modèles susceptibles de répondre à un environnement inédit…

Il faut ajouter qu'à certaines périodes comme la nôtre, la situation est rendue encore plus confuse du fait de la simultanéité de plusieurs évolutions dont les mouvements ne s'harmonisent pas nécessairement. Lors du "passage" d'une civilisation à l'autre, il n'y a jamais évolution homogène; la progression des connaissances n'adopte pas le même rythme pour tous. Il n'en ressort pas une sensibilité commune, mais des sensibilités qui sont contraintes de cohabiter…

2ème point : le vocabulaire auquel il est fait recours pour exprimer la pensée

Beaucoup rêvent d'un langage universel… c'est là une illusion sur laquelle on ne peut construire une analyse sérieuse des textes passés. Les mots appartiennent à un groupe, non seulement au niveau de leur phonétique, mais également au niveau de leur sens. Ils sont des outils indispensables pour la communication à l'intérieur du groupe, mais leur sens est conventionnel selon la civilisation où ils "fonctionnent". Ils sont très liés aux modèles de pensée et aux "clichés d'imagination" qu'ils suscitent spontanément en fonction des connaissances scientifiques et techniques, des situations historiques et géographiques et de bien d'autres facteurs…

A une même époque, en des pays différents, leur sens peut ne pas avoir été ou ne pas être identique . C'est ainsi qu'au premier siècle, le mot "corps" n'avait pas le même sens en mentalité juive et en culture grecque . Les sémites désignaient par là l'activité extérieure, visible et dynamique, référée au tout unitaire de la personne…Les grecs y voyaient simplement un des deux "éléments" constitutifs de l'homme…

Les mutations de civilisation affectent nécessairement le langage; les mots changent de sens. Redire les mêmes mots ne suggère pas la même pensée et, réciproquement, "lire" les mots d'autrefois en projetant le sens que nous donnons aujourd'hui à leurs homologues revient à trahir la pensée des auteurs. Il en va de la vérité du témoignage initial…

3ème point : le symbolisme

Dans le domaine religieux, c'est lui qui commande, à une époque précise, le choix de certains mots en fonction du "cliché d'imagination" qu'ils suscitent. Ce cliché est lié à la réalité concrète qui est concernée en conversation courante. Pour permettre à un enseignement complexe d'être mieux reçu et assimilé, il est légitime de recourir à ce vocabulaire usuel. Mais le "symbolisme des mots" devient alors doublement relatif… il l'est déjà au départ car face à une réalité inconnue, insaisissable, le "cliché d'imagination" ne peut être que réducteur… il va l'être au temps de la lecture postérieure, car la sensibilité risque de n'être n'est plus la même…

Notre XXème siècle en est l'exemple manifeste en raison du développement des sciences et des progrès techniques. En un contexte où l'électricité est largement dispensée, les mots "ténèbres" et "lumière" ne résonnent plus aussi intensément en crainte ou en joie… Au temps des croisières au long cours, la mer n'est plus, comme autrefois, le symbole du mal dans la crainte que les démons déchaînent les flots à partir de leur enfer.. Face aux maladies, aux phénomènes climatiques ou astrologiques, notre premier réflexe est d'en chercher les causes pour mieux les neutraliser ou en compenser les effets.

Il faut ajouter que les "clichés d'imagination", lorsqu'ils sont repris en langage religieux, accusent toujours un certain retard au temps des évolutions . Celui-ci n'est pas forcément le fait des responsables; nous pouvons repérer les nombreux contrastes que traduit le vocabulaire contemporain. Que l'on pense au mot "ciel", là où "est Dieu", là où "Jésus monte" pour "s'asseoir à droite" de Dieu, là où "nous le rejoindrons un jour"… il semble que beaucoup semblent encore ignorer que la terre est ronde !

6° "Vérité ou utopie?…" un appel à reconstruire

C'est ce que nous nous efforçons de faire dans ces dossiers. Poursuivons donc…

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Questions bibliques



La Bible "au risque de sa lecture"

la lecture des évangiles



Ces quelques réflexions ont été rassemblées en vue d'une lecture des textes évangéliques. Même si de nombreux compléments devraient leur être apportés pour traiter de l'ensemble des livres bibliques, elles restent fondamentales et peuvent donc aider à une "écoute" loyale et intelligente ..."



Aujourd'hui, nombre de chrétiens aspirent à un contact direct avec les textes bibliques, particulièrement les évangiles. Leur démarche est le plus souvent très personnelle et, parfois, ils se sentent bien isolés. D'une part ils se défient de tout commentaire qui prétendrait s'imposer de façon "hiérarchique", sans justification ...d'autre part ils perçoivent qu'un désir sincère et une bonne volonté ne suffisent pas; ils constatent les confusions et les désillusions qui résultent d'une foi naïve en certains slogans ou certaines publicités : "la Bible, trésor méconnu qui contient la réponse à toutes nos questions et la solution de toutes nos difficultés ...."

Ils pensent justement qu'une loyauté aux textes s'impose pour bénéficier de leur richesse sous-jacente. Mais leur formation passée ne leur a pas fourni les éléments qui permettraient de dépasser une spontanéité qui se révèle parfois déficiente ou trompeuse. Faute de temps ou à cause des frais qu'elle entraîne, la référence à des "revues spécialisées" ne leur est pas possible.

A leur intention, nous regroupons quelques conseils ou, plus exactement, nous les encourageons à se construire par eux-mêmes quelques "réflexes" qui leur donneront plus d'assurance pour puiser à la source et en animer leur réflexion de vie.
Premier réflexe : ne jamais perdre de vue que la Bible est un écrit ...
Deuxième réflexe : garder conscience qu'il y a un auteur ..
Troisième réflexe : se rappeler fréquemment le projet d'ensemble de l'auteur
Quatrième réflexe : prendre en compte les modèles de pensée de l'auteur
Cinquième réflexe : ne jamais oublier le genre littéraire choisi par les évangélistes
Sixième réflexe : rester sensible aux évolutions du vocabulaire



Premier réflexe : ne jamais perdre de vue que la Bible est un écrit ...

La chose semble évidente et pourtant la manière habituelle d'aborder les textes prend rarement en compte les conséquences et les exigences d'un fait incontestable : nous pouvons imaginer mille et une façons dont Dieu aurait pu s'adresser aux hommes ... il en a choisi une : le recours à l'Ecriture, c' est à dire à la médiation d'un auteur et d'un texte ... C'est celle-ci qu'il a préférée et réalisée; à nous de " l'aborder de près", loyalement .

Certes, Dieu s'est parfois exprimé de manière directe, en des manifestations qui gardent leur valeur ... nous pensons particulièrement au témoignage historique de Jésus. Pourtant, même dans ce cas, il n'a pas voulu conserver à son intervention le caractère "immédiat" qui en faisait la valeur unique ... Il a chargé les bénéficiaires d'en être les témoins par le biais d'une Ecriture qu'il remettait à leur soin.

La majorité d'entre nous ne disposeront donc jamais d'une parole directe de sa part, encore moins d'un écrit de sa main ... Notre religion est d'abord religion du livre, avant même d'être religion de la Parole...

Cela n'exclue pas une " remontée du courant " afin d'y entendre une Parole qui retentit en nous comme appel, semence et ferment pour nos vies ... Mais nous ne pourrons retrouver le poids et la richesse de cette Parole initiale qu'en la chargeant du poids et de la richesse de l'Ecriture ... Passer rapidement sur la médiation de l'Ecriture ... nommer Parole de Dieu le texte sacré sans un minimum de regard sur le texte lui même en tant que fait littéraire autonome régi par des lois spécifiques ... c'est risquer d'appauvrir - sinon de déformer - le Message, alors que celui-ci requiert intelligence avant d'en appeler à la foi ...

Un certain nombre de difficultés risquent d'émousser ce premier réflexe

= Les progrès de l'imprimerie et de l'audiovisuel nous font bénéficier actuellement d'une double écriture. L'ancienne Ecriture continue ses productions selon les lois qui furent les siennes depuis sa création. A côté d'elle et souvent en une présentation semblable, a pris place une autre Ecriture, transcription pure et simple du discours oral sans altération ni commentaire.

Ce discours oral a d'autres lois. Mais comme il se multiplie par extension de la radio, de la télévision, du magnétophone, ces lois finissent par devenir prioritaires dans l'esprit des auditeurs devenant lecteurs : ils entendent un Ecrit, ils ne le lisent plus ...

= Dans les milieux chrétiens, on parle très souvent de l'Ecriture en termes empruntés au domaine de la Parole : " Bible, Parole de Dieu ... Dieu nous parle dans l'Ecriture ... Se mettre à l'écoute de l'Ecriture ... Acclamons la Parole de Dieu ..." L'Ecriture est largement traitée comme parole, plus rarement comme texte ...

C'est d'ailleurs là un paradoxe : au milieu d'un peuple au style oral, le peuple juif, les choses de Dieu ont été proclamées par un livre, souligné comme tel, "les Ecritures", la bible ... et dans la culture de style écrit, on évoque souvent le terme de Parole de Dieu ...

Que la Bible soit Parole de Dieu, ceci n'est absolument pas mis en doute par un chrétien; Mais elle l'est à sa manière, celle d'un écrit précis, issu de milieux précis, dans des circonstances précises desquelles il est impossible de le séparer, tout au moins au niveau de la compréhension première.

Il est vrai que la lecture de l'Ecriture en tant qu'écriture pose quelques exigences

* L 'Ecriture appelle une grande attention au texte ...L'orateur peut compléter son discours ou l'interpréter en recourant à des formes diverses d'expression : ton de voix, vitesse d'élocution, inflexion des mots ... L'écrivain n'a que le texte pour s'exprimer et le lecteur n'a, lui aussi, que le texte pour communier à la pensée qui lui est transmise ...

Le texte prend donc tout le champ de la rencontre. Sa lecture ne peut être rapide ou superficielle sans dommage. La forme, l'époque, le style ... ne sont pas indifférents. Bien au contraire ce sont eux qui nous " approchent " au plus près de la compréhension exacte.

Fort heureusement, la relecture est toujours possible.

* L 'Ecriture oblige à aller au cœur de l'événement qu'elle relate, en introduisant une distance par rapport à son déroulement concret, elle invite à une réflexion; le sens devient prioritaire, il justifie et oriente une nouvelle présentation qui relativise nombre d'éléments de l'impact initial. La parole, elle, se limite souvent à la description des faits, même si le choix de ces faits leur donne déjà un premier sens.

* L 'Ecriture appelle donc une activité du lecteur ... dans une ambiance de liberté. On peut conditionner des auditeurs et chercher la persuasion par des moyens extérieurs à eux-mêmes ... La chose est beaucoup plus difficile par l'Ecriture. Le texte amène une re-naissance de la pensée par activité du lecteur-interprète. Cette renaissance n'est jamais totalement répétition ... la pensée engendre la pensée et provoque à en poursuivre le développement ...

Ces exigences doivent être situées à leur juste place, car elles ne sont pas différentes des exigences élémentaires que nous mettons en œuvre dans toute lecture ordinaire, il nous suffit de conserver les mêmes "réflexes" ... quelques-uns doivent être davantage respectés en raison du caractère symbolique des textes et des particularités des écrits anciens, mais tous gardent leur valeur ...

Deuxième réflexe : garder conscience qu'il y a un auteur ...

Il est évident que nous ne connaissons pas les auteurs des évangiles comme nous connaissons les écrivains de notre littérature contemporaine. La présentation de Papias d'Hiérapolis (vers 125 ) doit être prise avec circonspection, car la notion d'auteur, dans les temps anciens, n'était pas 1a même que la nôtre : les reprises, les fusions, les adaptations étaient fréquentes .

Si nous parlons de Matthieu, Marc, Luc et Jean, c'est par commodité puisqu'aucun d'eux n'a signé nommément son oeuvre. Nous pouvons cependant admettre cette référence initiale, soit en écho de prédication, soit en premiers écrits. Les études exégétiques actuelles font apparaître des rédactions successives, mais celles-ci ne font que confirmer l'activité de nouveaux rédacteurs, poursuivant une même réflexion

L'important, pour le lecteur; est de "sentir" la présence d'un auteur qui a voulu et produit une oeuvre littéraire. Celle-ci ne se présente pas sous une forme "froide" et "dépouillée", à la manière d'un article de dictionnaire. Elle ne se limite pas à un "cliché photographique". Il s'agit d'une composition, d'une oeuvre qui a un sens d'abord pour celui qui l'a écrite .

C'est d'ailleurs cet état d'esprit qui est rappelé sans cesse en proclamation "liturgique : " Evangile de Jésus-Christ selon Matthieu, Marc, Luc ou Jean "



Cette attention à l'auteur joue à plusieurs niveaux :

= Elle participe à l'ambiance de sa lecture ... Nous le savons, cet auteur: est un frère chrétien . Pour lui comme pour nous, le Christ actuel a de l'importance et, s'il a entrepris d'écrire, ce n'est pas uniquement pour nous renseigner en connaissances "pures", extérieures à la foi qui nous est commune . Il a choisi, parmi les documents dont il disposait, ceux qui lui paraissaient les plus aptes à vivifier cette référence .

= Cette intention affecte la rédaction ... la personne du Christ est au centre et chaque facette de l' Suvre nous y ramène comme une invitation constante à ne pas nous en détacher ... Certes l'humanité du Christ se trouve être l'essentiel de la présentation mais elle est renforcée, dans l'approche que nous en faisons, par l'humanité de l'auteur.

= Le travail de l'auteur ouvre à notre initiative ... Il nous présente une approche possible, mais il sait bien qu'elle n'épuise pas le sujet et que d'autres approches peuvent être menées sans être contradictoires ; la preuve en est que nous disposons de quatre évangiles Il nous invite donc à construire notre propre cheminement à partir des éléments qu'il nous fournit indirectement . Tout lecteur doit avoir l'intuition qu'il lui revient, comme ces premiers auteurs, de se préciser un cinquième évangile, évangile "selon chacun" en une cohésion avec les frères chrétiens semblable à la cohésion des évangélistes entre eux .

= Enfin, au niveau pratique de la lecture, ce rappel nous aide à résoudre les difficultés que nous pouvons rencontrer lorsque le sens d'un passage particulier ne nous est pas évident. Il n'est pas anormal que nous hésitions parfois entre plusieurs commentaires possibles. Certains évangélistes ont du rédiger en une langue qui ne leur était pas familière au départ, ils n'ont pas été miraculeusement dispensés de leurs propres limites ou pesanteurs d'expression. Mais nous pouvons tenir pour acquit la cohérence de leur pensée; en recherchant un passage plus clair qui traite du même sujet, nous disposons d'une référence qui met fin aux hésitations légitimes.

Il est bon de rappeler ce "principe de cohérence" ou "principe de globalité" lors de certaines controverses stériles ou face à des interprétations hasardeuses ...

Troisième réflexe : se rappeler fréquemment le projet d'ensemble de l'auteur

L'habitude a été prise de "découper" les évangiles en petites unités séparées . Des questions pratiques, le cadre liturgique par exemple, justifient cette manière de faire . Mais il faut en voir les dangers et rappeler les exigences correspondantes pour les prévenir .

= Chaque évangéliste, bien qu'adoptant le genre littéraire "évangile" ( nous y reviendrons ultérieurement ), se situe en projet d'ensemble particulier

Marc nous précise le sien d'emblée, nous invitant à découvrir en Jésus les traits du Messie, puis l'identité du Fils de Dieu au vrai sens de ces titres ... Luc y consacre les premiers versets de son œuvre: "exposer les événements accomplis historiquement. en vue de souligner la solidité des enseignements reçus". Jean rejette en conclusion i'objectif qu'il poursuit : " mettre par écrit quelques "signes" qui suscitent la foi en Jésus, le Messie, le Fils de. Dieu... foi qui donne la vie en son Nom " ( 20/31 ) "

Ce projet d'ensemble n'est pas toujours facile à détecter avec la précision souhaitée ... Les introductions qui accompagnent les éditions des évangiles nous apportent d'utiles compléments, qui éclairent et compensent la brièveté des versets de présentation . Pour Matthieu, ces pages sont indispensables .

= En corollaire, la conscience de ce projet d'ensemble nous pousse à garder le souci du contexte lorsque nous isolons un passage . Nous sommes sensibles à ce qu'il nous suggère spontanément, mais, en prenant un peu de hauteur, en résistant à la tentation d'efficacité immédiate, nous sommes plus à même de "plonger" ensuite dans le texte concerné et d'en percevoir plus exactement l'enseignement.

Il faut souvent nous le redire : nous sommes en présence d'un auteur qui a pris son temps pour rendre compte d'une pensée dont une des richesses réside dans son ampleur et ses nuances ; il nous faut donc accepter de suivre patiemment et intelligemment sa présentation ... c'est une question de loyauté, de vérité, tout autant que d'efficacité !



Prenons quelques exemples pour convaincre de regarder "autour" d'un texte.

La parabole du semeur chez Marc 4/3 . On réduit singulièrement sa portée si l'on ne poursuit pas la lecture, car l'évangéliste tient à soutenir l'activité du bon terrain, en situation minoritaire délicate : le grain qui pousse tout seul rappelle la richesse potentielle de la Parole et le grain de sénevé oriente le dynamisme de la mission ...

La parabole de l'ivraie chez Matthieu 13/2. Avant même d'en donner l'explication, l'évangéliste l'équilibre en reprenant, comme Marc, la parabole du grain de sénevé. Il tient à souligner que le bon grain n'a pas à craindre l'ivraie; mais, sentant le risque d'orgueil, il glisse la parabole du levain, la présence au monde doit être vivifiante de l'intérieur ...



= Le projet d'ensemble n'était pas commandé uniquement par la personnalité de l'auteur . Nous savons que les évangélistes s'adressaient à des communautés chrétiennes ; c'est même à leur service qu'ils se sont mis au travail, Luc et Jean le mentionnent explicitement .

Les besoins comme les pesanteurs de ces communautés sont sous-jacents au fil conducteur adopté ; elles l'éclairent, et parfois nous permettent de mieux le rejoindre lorsque d'autres documents ( Actes des Apôtres et lettres des premiers évêques) nous renseignent sur les difficultés rencontrées .

Il est évident que Marc lutte contre les fausses interprétations données aux titres "Messie" et "Fils de Dieu" ; c'est pourquoi il souligne fortement l'humanité de Jésus ; c'est elle qui suggère et contrôle le vrai sens de ces deux titres ...

Matthieu est affronté aux difficultés que pose la coexistence difficile: entre le groupe judéo-chrétien et le grand nombre de païens qui, à son époque, se convertissent ...

Luc exprime, en son prologue, le souci d'une juste référence aux "événements qui se sont accomplis parmi nous ". Sans doute répond-il aux doutes que créait la distance historique de ses lecteurs par rapport au ministère de Jésus; il lui faut confirmer "la sûreté des enseignements reçus"

Jean se débat dans une multitude de problèmes. La rupture avec le judaïsme semble poser question à une partie de sa communauté tandis qu'une autre, sans doute d'origine païenne est fortement soumise aux influences gnostiques . Cette doctrine était très prisée dans le monde grec, elle entraînait une séparation entre initiés et non-initiés .

= Cette prise en compte des besoins et pesanteurs de la communauté est intéressante à un autre titre, car certains besoins et certaines pesanteurs se retrouvent aujourd'hui. Sous un habillage différent, les mêmes problèmes resurgissent : pesanteur des traditions, poids de l'incroyance ambiante, dérive interne vers le déisme païen, affrontement à une nouvelle civilisation ...

Dès lors, les réponses apportées par les évangélistes méritent d'être prises en considération; leurs auteurs étaient encore proches du témoignage historique du Christ et beaucoup avaient été formés directement par lui. Ceci donne du poids aux points sensibles qu'ils dénoncent et aux solutions qu'ils préconisent

= Le projet d'ensemble de l'auteur ne réduit pas à néant le travail ponctuel que nous pouvons mener sur les textes . Nous savons que, antérieurement à l'activité littéraire des évangélistes, des documents avaient regroupé les souvenirs des premiers témoins; il est certain que les auteurs les ont souvent repris.

Ces documents ne leur étaient pas livré "à l'état brut". En étant intégré à un projet d'ensemble, ils n'en ont pas pour autant perdu leur substance vivante. Nous pouvons donc rejoindre une première réflexion, cohérente avec celle des évangélistes puisqu'ils l'ont gardée

Quatrième réflexe : prendre en compte les modèles de pensée de l'auteur

Nous ne pouvons pas reprocher à l'auteur d'être "de son temps" et de vouloir se faire comprendre des lecteurs qui lui sont contemporains ... ce sont eux auxquels il s'adresse en premier. Il nous faut donc admettre le fait que ses modèles de pensée, comme les leurs, pouvaient être différents des nôtres ...
Qu'appelle-t-on "modèles de pensée" ?

Il s'agit d'un processus universel et quotidien: face à des réalités qui retiennent notre attention ou que nous voulons mieux appréhender, nous cherchons quelques points de référence ou quelques grilles d'analyse. Nous puisons alors dans notre savoir, acquis soit personnellement, soit par éducation; soit par environnement ... De ce savoir se dégage quelques "modèles", plus ou moins évocateurs; qui vont guider notre approche et notre jugement .

Cette réaction est le plus souvent spontanée. Ces modèles se sont forgés inconsciemment à partir des connaissances que nous apporte la civilisation dans laquelle nous sommes plongés; nécessairement, celle-ci nous influence en ses particularités sociologiques et techniques; en certains domaines, il est impossible d'échapper à la sensibilité collective contemporaine, nous en restons très dépendants.

Ces modèles sont utiles et même indispensables ; ils sont moteurs de recherche et source de richesse pour une meilleure compréhension des êtres et des choses ... mais ils peuvent être également dangereux: face à une réalité pour laquelle nous n'avons aucune connaissance palpable, nous-en appelons à "ce. que nous pensons" et à "ce que nous imaginons" pour traduire notre point de vue . Nous extrayons alors de nos modèles de pensée des "raisons de convenance" qui peuvent véhiculer bien des "a priori" non contrôlés et non .réfléchis.

Il est très difficile, pour "l'utilisateur" de les critiquer "du dedans" et d'en percevoir les points faibles. Seul, le recul des siècles nous situe "à l'extérieur" et permet un bilan ... ces modèles de pensée ont pu orienter la recherche dans une bonne direction, mais, à un moment donné, ils ont pu également couper net le cheminement de 'la pensée; des problèmes stériles ou mal posés ont pu égarer l'auteur ancien . Les auteurs modernes ne sont d'ailleurs pas systématiquement protégés du même risque .

Dans notre lecture des évangiles, nous devons percevoir l'influence de ces modèles de pensée, car les lignes d'intelligence chrétienne sont en rapport étroit avec les lignes d'intelligence des mentalités profanes. Celles-ci étant sensibles à l'évolution des civilisations, nous ne pouvons être étonnés du "décalage" qu'il nous faut assumer ...



Sous cet angle, nous pouvons distinguer trois sortes de modèles de pensée :

* Bien qu'ils ne soient plus les nôtres, certains ont exercé une grande influence en leur temps et nous devons en reconnaître la valeur positive. Ainsi en est-il du recours aux Ecritures qui marquait toute éducation juive. Il importe de mieux en connaître les particularités et de ne pas se nous contenter de clichés superficiels, comme on le fait malheureusement si souvent en confondant prophétisme et prédiction.

* Le Christ a critiqué nombre de modèles de pensée qui étaient courants à son époque, il a même suscité de nouvelles lignes d'intelligence... Mais le "choc" a été parfois si violent que les disciples n'ont pas perçu de suite les nouvelles pistes qu'ils étaient invités à prendre .Pour les mêmes raisons les évangélistes eux-mêmes semblent être parfois restés en deçà de l'évolution possible. Heureusement, la fidélité de leur souvenir nous livre souvent des textes qui nous permettent "d'aller plus loin" & Que l'on songe à la rupture du lien entre maladie et punition divine ( Jn 9/2 ) ou à la rupture du lien entre mort et volonté de Dieu ( Lc 13/1 )

* Enfin, il faut admettre que certains modèles de pensée sont restés en l'état et se retrouvent sous-jacents à certains passages évangéliques ... Lorsqu'il s'agit des conceptions cosmiques ou botaniques, les conséquences sont mineures, car nous ne prêtons guère attention aux différences, nous relativisons facilement .

Pour d'autres, il nous faut être vigilants . Il importe de ne pas durcir "la forme" de la pensée et en appeler au contexte ou à d'autres versets moins affectés par le modèle de pensée concerné. Nous pouvons également intégrer le "mûrissement de pensée" qui s'est opéré d'un évangéliste à l'autre : en reprenant les passages qui traitent du même sujet, il est intéressant de repérer les précisions qui sont apportées & ainsi l'évolution du "départ" des apôtres à la suite de Jésus dans le sens de la liberté (Mc 1/16 comparé à Jn 1/37)

Quelques particularités des modèles de pensée sémitiques

Dans le cadre de ce dossier, il ne s'agit pas de traiter cette question dans toute son ampleur. Il suffit de mettre en alerte à partir de quelques points facilement détectables . Certes, les évangélistes, au carrefour de la civilisation juive et de la civilisation grecque, ont quelque peu atténué les différences qui existaient entre elles, mais nous devons y rester attentifs ....

= absence de nuances dans l'expression

Cette particularité caractérise nombre de civilisations orientales, elle est passée du langage à l'écrit. Nous ne trouvons pas les adverbes de comparaison "moins", "plus" qui nous servent actuellement à moduler notre pensée. Cet effet est obtenu soit par la répétition : "saint, saint, saint" est équivalent à un superlatif ... soit par l'opposition des mots" ou des images : "aimer-haïr" '.... "filtrer le moucheron et avaler le chameau " Mt.23/24

Nous devons nous garder de fausses interprétations si nous voulons rejoindre le sens exact; le verset bien connu"; si quelqu'un te donne une gifle sur. la joue droite, tends-lui l'autre" ( Mt 5/39 ) exige d'être rapproché de la réaction de Jésus au cours de sa passion lorsqu'un des gardes le maltraite: " Si J'ai mal parlé, précise ce qui est mal ; mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ?" (Jean 18/.22).

= Le temps n'est pas, pour le sémite, un ordre de succession. Présent, passé, futur se rejoignent en un même flux porteur de sens; le passé n'est à prendre en compte que s'il tend vers un "accomplissement"; le présent tire sa valeur de ce qu'il actualise l'histoire, lui permettant de demeurer efficace et vivante, tandis qu'en lui, l'avenir est déjà là avant de s'être réalisé ... Ceci est très sensible chez Matthieu".

= Les conceptions touchant à la mort et à l'après-mort sont radicalement différentes des nôtres . Sur ce point, .les commentaires habituels semblent ignorer totalement "l'abîme" qui nous sépare de la mentalité juive du premier siècle, proche des civilisations environnantes. .. Cette "carence" est manifeste lorsqu'il s'agit des textes concernant la résurrection.

A part quelques groupes comme les sadducéens, tous partageaient le même "imaginaire" : l'homme ne peut s'épanouir qu'en "totalité"; sans le corps il ne peut y avoir conscience et sentiment; lorsqu'il meurt, son corps est déposé dans une fosse et quelque chose du défunt, une "ombre" subsiste dans les enfers, lieu de ténèbres et d'oubli; tous les morts y sont rassemblés et participent à un sort misérable, y compris ceux qui ont été bons et justes durant leur vie ... Quelques êtres seulement sont admis "au ciel": Hénoch, Abraham, Isaac et Jacob, Moïse, Elie; bien entendu, ils y sont avec leurs corps... La situation des "justes", actuellement en état de souffrance, évoluera à la fin des temps, lors du jugement; ils reprendront leurs corps et s'épanouiront en paradis ...

Certes, la majorité des auteurs du Nouveau Testament sont marqués par la pensée grecque, mais plusieurs d'entre eux restent influencés par la culture sémite qui fut celle de leur première formation, ils "écrivent grec", mais ils "pensent juif". D'autres éprouvent quelque difficulté à "convertir" les documents qu'ils ont recueillis. Enfin nos civilisations occidentales n'ont pas tout conservé de l'héritage grec ... à titre d'exemple, les traductions ont bien du mal à rendre les nuances qu'exprimaient, en conjugaison, la "voix moyenne" et "l'aoriste", aujourd'hui disparus.

Cinquième réflexe : ne jamais oublier le genre littéraire choisi par les évangélistes .

En s'investissant dans son oeuvre, l'auteur ne se sentait pas contraint par sa foi à se situer en dehors du patrimoine culturel et littéraire que son temps, comme toute époque, mettait à sa disposition ...

Pourtant, tous les évangélistes ont adopté un genre littéraire particulier, qui ne peut être confondu avec les genres littéraires habituels, bien qu'il emprunte beaucoup d'éléments à ces derniers. On le désigne habituellement par genre littéraire "Evangile"

Trois éléments le caractérisent :

- les textes se réfèrent à l'actualité de Jésus ... celui dont ils parlent, c'est le Christ actuel, ressuscité et présent à ses disciples "tous les jours jusqu'à la fin des temps,?' Mt ?8/20

- cette actualité est éclairée par "l'histoire" concrète de Jésus : les textes n'imaginent pas un être légendaire, fruit d'une mythologie sans consistance. Des événements historiques précis font ressortir le sens exact du témoignage proposé à la foi ...

- cette foi une référence à l'actualité de cette foi : " un va-et-vient incessant se produit entre ce que Jésus a dit jadis et ce qu'il continue de dire actuellement à son Eglise et au monde entier, entre ce qu'il a fait jadis et ce qu'il continue de faire actuellement d'une façon invisible, entre les relations qu'il a nouées jadis et celles qu'il continue de nouer avec tous les hommes." (P. Grelot Evangile et Vie 45 p.14 )

Ce genre littéraire est donc porteur d'un double dynamisme : un dynamisme de fidélité, car il vise à préserver et conserver un témoignage historique ... et un dynamisme d'actualisation, car c'est en approfondissant le passé que sont éclairés des problèmes de vie toujours nouveaux ... Ces deux dynamismes ne sont pas séparables et nourrissent un seul et même récit.

Le genre littéraire "Evangile" est de nature symbolique, à la manière de nombreux autres genres littéraires profanes . Nous ne pouvons donc être étonnés de voir fonctionner dans l'élaboration des textes des mécanismes courants en symbolique habituelle. Deux d'entre eux déconcertent souvent le. lecteur moderne: le lien très souple avec la réalité historique et l'intégration de la pensée dans un récit descriptif ; c'est pourquoi nous y revenons particulièrement ...

Le lien très souple avec la réalité historique

En ouvrant les évangiles, nous ne pouvons ignorer les lois qui "façonnent" la présentation symbolique de tout événement, qu'il soit chrétien ou d'un autre ordre :

- nous opérons une référence sélective: nous mettons en valeur certains détails qui nous apparaissent plus "révélateurs" de sens ou de présence intérieure; nous en omettons d'autres qui risquent de tomber dans l'oubli à jamais

- notre narration se révèle également sélective : nous choisissons notre vocabulaire en donnant priorité aux mots susceptibles de traduire l'intérêt et le sens de ce que nous rapportons, leur portée descriptive passe au second plan même si elle garde son importance

- de ce fait, spontanément, nous dépassons la matérialité de ce que nous rapportons; notre description cherche à intégrer notre réflexion, nous nous sentons engagés personnellement dans notre récit, à l'intérieur de notre rédaction nous livrons la pensée que nous retirons de l'événement concerné.

La multiplicité des média modernes permet parfois au lecteur de dominer le risque d'une présentation trop unilatérale. Pour rejoindre la réalité historique de Jésus, nous ne disposons actuellement d'aucun autre texte que les évangiles, rédigés en un genre littéraire particulier. Nous sommes donc tenus, en lecture comme en commentaire, de respecter l'équilibre qui s'impose au nom du genre littéraire que les auteurs ont adopté.

Il serait absurde de conclure "qu'il ne s'est rien passé", car l'existence des réactions des auteurs ne s'expliquerait pas ... Mais il est tout aussi trompeur de croire que cela s'est passé dans la précision matérielle dont nous pourrions, aujourd'hui, affecter ce qui est écrit ; nous disposons de textes privilégiant la signification symbolique des faits qu'ils rapportent; faute d'autres formes de témoignages, il nous est impossible de "revenir en arrière" vers l'épisode ou le discours concernés .

En conséquence, toute conclusion que nous voudrions apporter doit rester dans le "créneau" de la pensée de l'auteur. Heureusement, chez les évangélistes, cette pensée est rarement limitative, ils sont les premiers à nous ouvrir des horizons universels ...

Une pensée intégrée au récit

Cette manière de rédiger déconcerte également le lecteur moderne ; plus exactement, n'en ayant pas conscience, elle l'entraîne à réduire sa lecture au seul aspect descriptif . Ou bien, pensant avoir saisi la pensée sous-jacente, il ne prête que peu d'attention aux épisodes qui s'y rattachent; il leur donne valeur de "preuves" et il passe rapidement, alors que la composition soignée de leur présentation éclaire et nuance cette pensée beaucoup plus qu'il ne le soupçonne ... Ou bien cédant à un penchant naturel vers "l'historicisme", il dissèque les textes en recherche de détails concrets, il risque alors de ne pas percevoir la présence de l'idée générale qui a présidé au choix des épisodes et à la forme de leur présentation...

Dans un cas comme dans l'autre, les évangiles sont vidés du "tonus" symbolique qui les habite depuis leur composition .



Les formes littéraires "originales" qui résultent du genre littéraire "Evangile"

Elles ne sont originales que parce que les changements de civilisation nous les font percevoir comme telles. Les évangélistes adoptent des formes littéraires variées dont beaucoup nous sont habituelles. D'autres risquent d'échapper à notre attention ét à notre compréhension du simple fait qu'elles ont été abandonnées au fil des siècles.

La forme "parabole" a été l'objet de tant de commentaires qu'elle parait familière à la plupart des chrétiens. Il est nécessaire cependant de prendre en compte la portée allégorique qui a enrichi certaines compositions lors du passage au milieu grec ...

La technique du "discours" était familière aux historiens antiques, qu'ils soient bibliques, grecs ou latins . Elle servait à dégager le sens de l'histoire ou -exposer une doctrine. Même s'il intègre quelques paroles authentiques, le discours est fictif dans son expression, il est permis cependant d'admettre que les thèmes développés ont appartenu à la prédication initiale; le recul a permis un mùrissement que l'auteur inclue dans la rédaction d'un discours fictif .

Le "dialogue" est un procédé littéraire bien connu des anciens . Platon l'a largement utilisé pour exposer sa philosophie. Questions et réponses se succèdent en faisant progresser la pensée, celle-ci rebondit par l'alternance de malentendus et de précisions qui s'enchaînent très logiquement sous des apparences spontanées ...Il serait ridicule de tenter une psychanalyse de l'interlocuteur; même si son existence historique peut être confirmée, ses paroles ont pour seul but de donner la réplique, ses hésitations ne font que traduire les hésitations générales qu'éprouve toute intelligence humaine face au témoignage de Jésus .

Des "schémas de présentation" ont été utilisés par la communauté chrétienne primitive pour préciser les souvenirs et faciliter leur transmission à ceux qui n'avaient pas été témoins de la vie historique du Christ. Ces schémas sont très sobres et leur portée dépasse le seul plan littéraire, ils ont une visée symbolique, tout en coupant court à une affabulation excessive . Le plus facile à détecter est celui des guérisons opérées par Jésus.

Le. repérage de ces formes littéraires particulières est important . Il évite en particulier de tomber dans le piège de "l'illusion référentielle". On désigne ainsi le souci que manifestent tous les évangélistes de référer leur enseignement à Jésus en "'prise directe" . Pour exprimer ce lien, ils superposent sur le déroulement effectif historique des traits et des idôes dont ils ont pris conscience bien plus tard, mais dont ils tiennent à montrer qu'ils étaient "en germe" dès le début ...

Sixième réflexe : rester sensible aux évolutions du vocabulaire

Cette exigence semble élémentaire, il n'est cependant pas inutile d'insister sur ce point. Le langage des évangiles a été emprunté au langage profane qu'utilisaient les membres des communautés auxquelles ils étaient adressés . Ce sont donc les lois générales de tout langage qu'il convient de ne pas oublier .

- Les mots sont des outils indispensables pour la communication à l'intérieur d'un groupe. Le sens qui leur est donné dépend des conditions socioculturelles qui constituent la civilisation de ce groupe : connaissances scientifiques et techniques, situation historique, réactions collectives présentes ou héritées du passé ...

À une même époque, leur sens peut ne pas être identique d'un groupe à l'autre ; il est toujours nécessaire de ne pas se limiter à la seule phonétique . C'est ainsi que le mot "corps" n'avait pas le même sens en mentalité juive et en culture grecque. Cette dernière parlait de "composé humain" et voyait dans le corps un des deux éléments constituants : corps et âme & Les sémites pensaient l'homme comme un tout unitaire dont les multiples facettes

devaient toujours être référées au sujet : ie corps désignait l'homme tout entier dans son activité extérieure, visible ...

- Les mutations de civilisation sont fréquentes dans l'histoire; brutales ou progressives, elles affectent nécessairement le langage. Les mots changent ainsi de sens au fil des siècles; redire les mêmes mots ne suggère pas forcément la même pensée ...et, réciproquement, "lire" les mots d'autrefois en projetant ie sens que nous donnons aujourd'hui à leurs homologues revient à trahir la pensée des auteurs . . . .

Nous sommes sensibles à ces changements lorsque nous rencontrons certaines tournures littéraires tombées en désuétude ( par exemple le "vieux françois" ), nous y sommes moins sensibles en ce qui concerne les mots courants. Pourtant ce sont eux qui sont les premiers exposés lors des évolutions culturelles . ces dernières affectent profondément leur potentiel symbolique car elles touchent à la sensibilité et. aux modèles de pensée du groupe .

Notre siècle en est l'exemple manifeste. En raison du développement des sciences et des progrès techniques, une mentalité plus rationnelle a émergé et a influé sur ie sens qu'un homme moderne donne à des mots "de toujours"; nombre de ceux qui suggéraient autrefois une intervention divine sont devenus de simples mots profanes : les maladies, les phénomènes climatiques ou cosmologiques ... le symbolisme de beaucoup d'autres a été fortement réduit en évocation spontanée : les mots "ténèbres" et "lumière" ne résonnent pas aussi intensément en crainte ou en joie ... le partage d'un repas reste un signe d'amitié; mais il a perdu, en nos civilisations occidentales, son caractère sacré ...

Nous devons donc "re-traduire" certains mots en tenant compte de l'imaginaire que partageaient l'auteur et ses premiers lecteurs, il en va de la vérité du témoignage initial .

Un seul exemple parmi beaucoup d'autres : Marc 6/45 parle d'une "marche sur la mer" ... la mer est, pour les anciens, le symbole du mal, des éléments déchaînés; l'enseignement est clair: Jésus domine le mal lorsqu'il rejoint la communauté en sa résurrection . L'auteur recourt à une forme littéraire courante, exprimant sa pensée par une histoire symbolique qui en facilite la compréhension

- Les conditions particulières qui ont marqué la première prédication chrétienne, doivent être également prises en compte au niveau du vocabulaire .

Très naturellement, Jésus a emprunté son vocabulaire au langage qu'utilisaient ses contemporains en Palestine, il a parlé araméen, il a manié des mots qui avaient un sens précis pour ses auditeurs, en rapport à cette époque et à ce lieu . Lorsque les apôtres débordèrent le cadre initial, il ne leur suffisait pas de parler un nouveau langage, il leur fallait retrouver dans le langage habituel à d'autres cultures les mots les plus adéquats pour traduire la pensée du message sans la trahir, ni la réduire.

Bien qu'ils aient été écrits en grec, nous devons éviter de projeter systématiquement sur les mots qu'ils emploient l'unique sens que nous donnent les dictionnaires à partir des autres écrits grecs . Certains ont été traduits tels quels ("justice") et se retrouvent porteurs de sens différents selon le contexte de leur emploi ... d'autres ont été surchargés de sens par l'emploi de préfixes ou autres artifices grammaticaux ("prier") ... quelques expressions ont été totalement fabriquées par juxtaposition de plusieurs mots grecs ( "pauvre en souffle-esprit") ...



- Ces "complications" ne doivent pas nous détourner de la lecture des textes . Fort heureusement, il reste bien des mots et des expressions qui nous sont facilement accessibles, car ils expriment des réalités concrètes et des sentiments qui sont proches des nôtres .

Le génie des évangélistes a été de réduire au minimum les contraintes propres à toute transmission universelle. Ils ont su trouver les formes et les mots les plus aptes à conserver au témoignage initial sa spontanéité, sa simplicité et son dynamisme . Ils n'ont pas pour autant versé dans la facilité immédiate qui aurait eu pour seul effet d'enfermer ces richesses dans un. cocon historique et de réduire en doctrine ce qui était source de vie ...

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La Bible " au risque de l'histoire "



La naissance du peuple d'Israël a été longtemps présentée sous une forme relativement simple que résumaient les "histoires saintes". Aujourd'hui, les conclusions qui ressortent d'études sérieuses, archéologiques, historiques et littéraires, obligent à admettre un déroulement beaucoup plus complexe, particulièrement aux origines …

Beaucoup gardent en mémoire la présentation qui était devenue habituelle et sont déconcertés par les remises en question dont ils entendent parler. Généralement les articles qui les en informent, se limitent à quelques allusions ponctuelles. Leur trouble n'en est que plus grand, faute d'une vision globale…

Il peut donc être utile de clarifier la présentation qui semble émerger de ces éléments épars. Il nous faut, bien entendu, rester ouverts aux travaux que poursuivent les spécialistes, mais une certaine unanimité autorise à tracer quelques grandes lignes susceptibles de s'enrichir par la suite.

Cette complexité n'empêche pas de chercher et de reconnaître un sens au cheminement qui se trouve exprimé par les récits que nous lisons. En connaissant mieux les "faits", nous pourrons en saisir l'esprit en toute vérité.

Pour faciliter la comparaison des deux "visions" qui sont en présence, nous nous limitons, en un premier temps, à leur exposé. Nous ne pouvons ignorer la question latente qui vient à l'esprit : comment expliquer de tels "décalages" entre elles? sur quoi s'appuient ces remises en question?… Mais toute réponse sérieuse exige préalablement une présentation d'ensemble aussi claire que possible.

La présentation biblique (simple rappel)


a). première période : les Origines, depuis la création du monde jusqu'aux Patriarches.

Les points forts sont bien connus : les récits de la création, la chute, l'épisode de Caïn et Abel, Noé et la punition du déluge, la tour de Babel et la dispersion des peuples... Des généalogies assurent la continuité de l'ensemble.

b) deuxième période : les Patriarches, vers – 1850

Abraham implante en Canaan le clan fondateur, modèle d'une foi nouvelle.

Isaac confirme cette implantation

Jacob-Israël voyage beaucoup, mais s'inscrit dans la même tradition.

Ses douze fils sont présentés comme ancêtres des 12 tribus. Joseph, l'un d'entre eux, entraîne tout le clan en Egypte.

c). troisième période : l'aventure de Moïse et l'exode, vers – 1250

Le lien avec la période précédente est flou : les textes insistent surtout sur l'esclavage du peuple hébreu en Egypte.

Moïse naît, grandit, fuit au désert, rencontre le Dieu de ses ancêtres. Il est appelé à libérer son peuple, luttant contre pharaon pour accomplir sa mission.

Un départ grandiose puis les aléas de la marche jusqu'au Sinaï scandent les premiers récits de l'Exode.

Le séjour au Sinaï marque un temps d'arrêt; il constitue le cœur de la foi religieuse juive ; fruit du dialogue entre Dieu et Moïse, la Loi-Alliance devient le centre de la pensée, de la morale et du culte.

La marche se poursuit vers le pays des ancêtres, malgré de nombreuses épreuves et bien des hésitations pour entrer dans la "terre promise".

d). quatrième période : la conquête et l'installation en Canaan vers – 1200.

Josué conduit l'entrée en Terre promise : une marche triomphale mène les tribus de Jéricho à Sichem, avant que ne se fasse l'attribution à chacune d'un territoire précis.

Les Hébreux s'implantent, progressivement et difficilement, au détriment des habitants de cette région. Les conditions d'installation sont différentes selon les tribus. Le cours des événements est difficile à suivre; seuls sont mentionnés quelques hauts faits concernant "les Juges"

e). cinquième période : les débuts et l'épanouissement de la royauté vers – 1030.

La menace des envahisseurs philistins entraîne la création de la royauté.

Saül, premier roi, est choisi par le prophète Samuel, mais il ne semble pas répondre à la gravité de la situation et disparaît dans une première défaite.

David intervient alors : il fédère les tribus, établit la paix et la prospérité en Palestine, l'organise politiquement et religieusement. Il devient le "roi" par excellence malgré ses limites et ses faiblesses.

Salomon hérite d'une situation favorable et fait construire le Temple de Jérusalem, joyau d'un règne somptueux.

f). sixième période : Suite et fin de la royauté

Des conflits de succession amènent la séparation en deux royaumes: Nord et Sud

La royauté se poursuit: au nord pendant deux siècles, de –933 à – 721… au sud pendant plus de trois siècles, de –933 à -597.

De puissants voisins conquièrent la Palestine et exilent les populations. Au nord, en 721, Salmanasar l'assyrien opère une dispersion définitive. Au sud, en 597, Nabuchodonosor le babylonien laisse se constituer en exil une communauté de déportés en attente de retour.

g). septième période : Retour de l'exil :

L'édit de Cyrus (-537) permet le retour progressif des captifs israélites.

Le Temple est restauré, lentement et difficilement. L'occupation étrangère ne facilite pas la réorganisation politique et religieuse. Esdras et Néhémie jouent un grand rôle dans cette restauration.

De grandes puissances, voisines ou lointaines, occupent successivement le pays : domination perse - domination grecque, d'abord lagide ( grecque – égyptienne) de –333 à -200, puis séleucide ( grecque- syrienne) de –200 à -142 . Israël subit ces perturbations sans pouvoir influer sur elles.

A la fin de cette période, la persécution d'Antiochus IV (-175, -164) constitue une épreuve douloureuse ; ce roi de Syrie (séleucide) veut imposer la civilisation grecque à tous ses sujets. Face à lui, les frères Maccabées libèrent le peuple juif, qui redevient indépendant pour un siècle.

Après – 135, les textes bibliques ne nous renseignent plus sur l'histoire juive. Ils parlent peu de la "diaspora", dispersion des juifs hors de la Palestine, ce phénomène jouera un grand rôle dans le rayonnement du judaïsme. Heureusement, d'autres documents, non bibliques, nous apportent quelques renseignements.



Transition:

Pendant des siècles, cette histoire limpide servit de témoignage pour rapporter les "hauts-faits" d'un Dieu qui s'était révélé en ami des hommes par son engagement dans l'histoire du peuple juif. "La Bible disait vrai", non seulement sur le plan religieux, mais tout autant sur le plan historique (et même scientifique) que l'approche occidentale chrétienne liait très étroitement à la révélation divine.

Actuellement, les études bibliques bénéficient de nouveaux apports. Ceci est particulièrement sensible en trois domaines :

l'archéologie est devenue plus technique; les vestiges du passé sont soumis à un examen plus rigoureux; de nouveau champs d'investigation sont explorés, tel l'occupation ancienne des sites

la connaissance des textes extra-bibliques, égyptiens et assyro-babyloniens, s'enrichit grâce aux nouvelles découvertes archéologiques et à la mise en commun des documents conservés en divers lieux.

les genres littéraires anciens sont étudiés avec plus de rigueur; leurs particularités sont soulignées dans le cadre des civilisations qui ont produit les œuvres dont nous disposons aujourd'hui.

A la lumière des résultats de ces multiples travaux - résultats parfois inattendus - une nouvelle présentation prend donc peu à peu la place de l'ancienne.

Nous empruntons l'exposé de ses grandes lignes à un livre très intéressant: La protohistoire d'Israël (1990 - éditions du Cerf), ouvrage collectif, dont nous avons retenu principalement les articles d'André Lemaire. Vous pouvez vous y rapporter



Esquisse d'une nouvelle vision
" en pointillé"



Les Origines

La Bible ne fournit aucun renseignement "historique" sur les origines du monde et de l'homme, sur le peuplement de la terre, sur les événements des premiers temps. Il faut être net sur ce point, car une mauvaise interprétation des premiers chapitres de la Genèse a laissé de nombreuses traces dans les mentalités.

Ces chapitres doivent être compris selon le genre littéraire particulier qui est le leur; ils ne fournissent pas une documentation, ils proposent une réflexion. Sous le couvert de légendes ou de récits mythiques, souvent repris de la civilisation ambiante, les auteurs tentent de répondre aux questions que tout homme se pose sur lui-même, sur ses origines, sur sa condition, sur son destin.

Leur contribution ne se réclame pas d'une quelconque révélation; ils en appellent simplement à la foi qu'ils partagent avec leurs lecteurs et qui se nourrit d'une certaine conception de Dieu, de sa relation aux hommes, de son engagement dans leur histoire…



La lente constitution du peuple d'Israël

a). Plusieurs "traces", extérieures aux textes bibliques, fournissent quelques repères

les lettres égyptiennes d'EL Amarna (de –1350 à – 1330) nous documentent sur la situation politique de la région Syrie-Palestine sans mentionner un groupe Israël. Des roitelets s'affrontent avec les "Hapiru", catégorie sociale et politique, mal contrôlée par les Cananéo-Egyptiens, et vivant une existence nomade ou semi-nomade en marge des cités-états.

La stèle de Merneptah, ainsi que les bas-reliefs de Karnak, attestent que les Egyptiens ont affronté militairement un groupe appelé Israël avant –1207 , probablement sur la montagne d'Ephraïm, en Cisjordanie centrale.

D'autre part les données archéologiques montrent que la population s'est accrue sensiblement en Cisjordanie centrale dans la 2éme moitié ou vers la fin du 13ème siècle. Elle ne peut s'expliquer sans un apport extérieur, venu apparemment de l'est, en Galaad aussi bien qu'en Ephraïm et Manassé cisjordanien.

Nous disposons donc de plusieurs indices pour situer à cette époque: 13ème siècle l'implantation en Palestine centrale - ou la naissance - d'un groupe nommé Israël.



b). Comment s'était-il constitué et implanté en ce lieu ?

L' hypothèse d'une double origine paraît s'imposer (Osée chapitre 12)

Tout semble partir, en deuxième moitié ou fin du 13ème siècle, de l'implantation au centre de la Palestine (la montagne d'Ephraïm) de deux groupes différents que nous pouvons appeler "les fils de Jacob" et "les fils d'Israël"
# Les "fils de Jacob"

Il s'agit d'un clan nomade qui vient de "l'autre côté du fleuve", c'est-à-dire de l'Euphrate; Sa migration peut s'expliquer par l'effondrement du Mitanni et les invasions assyriennes en Haute-Mésopotamie. On peut la situer vers –1275.

Ils pénètrent par l'est, à partir des monts de Galaad et de la basse vallée du Yabboq. Ils s'installent d'abord dans la vallée du Wadi Far'ah et dans la région au nord nord-est de Sichem. A ce moment, ils parlent presque la même langue que les Cananéens.

Au départ, il s'agit d'un groupe limité : quelques centaines, un millier de membres au plus.
# Les "fils d'Israël"

Les fils d'Israël viennent de l'extrémité orientale du Delta égyptien: pays de Goshen, villes de Pitom et Pi-Ramsès. Dans cette région, vivaient des Hapiru ( Hébreux) de diverses origines, pasteurs nomades ou semi-nomades, entrés en Egypte sous la pression de famines ou victimes de déportations. Les Egyptiens les employaient à de multiples corvées, ils constituaient une main-d'œuvre commode pour leurs travaux de construction.

Il est fort vraisemblable que le poids des corvées poussait fréquemment ces hapiru à fuir vers le désert afin de rejoindre leur région d'origine. Il dut en être ainsi pour un de leurs groupes, sous l'impulsion d'un nommé MoÏse. Au départ, un millier de personnes tout au plus furent entraînés dans cette "libération". Leur "exode" peut être situé vers – 1250 ou au plus tard avant –1210.

Le noyau de cette troupe était sans doute originaire de Palestine mais des déportés de souches très diverses durent se joindre à lui. Lors de la traversée du désert, des clans nomades ont pu également se rallier et renforcer l'ensemble.

L'itinéraire suivi est difficile à préciser, mais il dut être assez rapide. L'entrée en Cisjordanie par le sud ou le sud-ouest était contrôlée par les Egyptiens. Le groupe dût donc contourner Moab, peut-être après une halte dans la région des oasis de Qadesh. Il s'établit provisoirement entre Moab et Ammon, au pays d'Heshbon,.

A la mort de Moïse, Josué prend la tête du groupe et lui fait traverser le Jourdain, à hauteur de Gilgal, proche des ruines de Jéricho Les fils d'Israël pénètrent ainsi par l'est et s'installent dans la montagne d'EphraÏm, dans la région boisée de Aï et de Béthel, au nord de Jérusalem. La population autochtone y est très clairsemée et la présence égypto-cananéenne pratiquement nulle.

Les nouveaux arrivants donnent vie à cette région et certains clans se développent rapidement, tel le clan d'Asriel, installé autour du sanctuaire de Silo... le nom d'Israël a pu en dériver. L'importance progressive du groupe nous est attesté par la stèle de Merneptah qui témoigne d'une force militaire non négligeable que l'Egypte doit prendre en considération.

A leur entrée les "fils d'Israël" semblent déjà porteurs du Yahvisme, Yahvé étant une divinité liée au désert du sud de la Palestine et vénérée aux monts de Séir, Edom, Teman, Paran, Madian.



c). Une première fédération a du s'établir entre les deux groupes vers -1200.

Leur vitalité et la proximité des régions où ils s'étaient implantés la rendaient inévitable : Au nord de la montagne d'Ephraïm, les fils de Jacob étaient installés depuis deux générations; leur expansion, bloquée par les cités-états de Galilée, se faisait vers le sud… Au sud de la montagne d'Ephraïm, les fils d'Israël s'étaient implantés depuis une génération; leur expansion, bloquée par les cités-états de Judée, se faisait vers le nord…

Une alliance, basée sur l'égalité et le respect des territoires respectifs, se conclue à Sichem. Bien que moins forts numériquement et militairement, les fils de Jacob assimilent en pratique de nombreuses particularités des fils d'Israël, spécialement la divinité ancestrale Yahvé, devenant le dieu du groupe.



d). Suit une longue période de stabilisation, d'évolution et de fusion, de –1200 à –1030, date approximative d'un début de royauté

Pour en juger, les traditions bibliques sont difficiles à apprécier historiquement et à dater. Il est cependant possible de trouver confirmation de deux évolutions qui se conjuguent très naturellement, l'une à l'intérieur de la fédération et l'autre dans les relations avec les tribus voisines, implantées antérieurement.

A l'intérieur de la fédération, la mobilité, historique et généalogique, particulière à la civilisation sémitique nomade, commande à nouveau les rapports entre les clans.

Certaines tribus prennent de l'importance;

ainsi en est-il d'Ephraïm qui occupe une position particulière en abritant sur son territoire le sanctuaire de Silo; l'arche, emblème des armées israëlites; y est déposé et les fêtes annuelles rassemblent les pèlerins de tous les clans.

ainsi en est-il de Manassé, union de quelques clans du nord de la montagne d'Ephraïm avec les fils de Jacob résidant dans la région de Sichem; la tribu est amenée à s'étendre au delà du Jourdain dans la vallée du Soukkot et la montagne de Galaad

D'autres tribus se dédoublent;

ainsi en est-il de la tribu de Benjamin, issue d'Ephraïm à la suite d'une révolte des clans de la partie "sudiste", sans doute au début du 12ème siècle. Son nom: Bene-Yamin = fils du sud témoigne de cette rupture

D'autres tribus s'étiolent , leurs clans sont alors amenés à s'intégrer aux familles voisines. D'autres enfin disparaissent sans que nous puissions discerner exactement les raisons de cet effacement, ainsi en est-il de la tribu de Makir.



Le phénomène d'ouverture à d'autres clans ou tribus est facile à concevoir.

La Palestine centrale accueillait, depuis fort longtemps, nombre de petits groupes, issus de la sédentarisation de tribus nomades venues du grand Désert voisin. Ces clans mènent une vie très indépendante au gré des circonstances, les liens entre eux sont fluctuants, selon les conditions économiques ou politiques.

La force qu'a acquise peu à peu la première fédération, constitue pour eux un pôle d'attraction, surtout lorsque la menace de envahisseurs philistins se précise.

Les rapprochements avec la fédération Israël-Jacob sont d'autant plus faciles que tous sont héritiers d'une même civilisation, celle de leurs ancêtres sémitiques nomades.

Les textes sont muets sur le moment et les circonstances du ralliement, puisqu'ils présentent l'unité des tribus israélites réalisée dès l'origine. Cependant, le cantique de Débora (Juges 5) pourrait suggérer plusieurs mouvements:

* Les tribus du Nord auraient été les premières à se joindre au groupe initial, sans doute avant la constitution de Manassé; il s'agit de Nephtali en Haute-Galilée… Zabulon en Basse-Galilée… Issachar, issue de Zabulon et établie dans la plaine d'Esdrelon
* Les tribus de Transjordanie interviendraient ensuite: Gad, installée au sud de Yabboq, face à Benjamin… Ruben, installée au sud de Gad et absorbée par elle vers –1100-1050 à la suite de l'invasion des Moabites.
* Les tribus de l'Extrême Nord auraient été les dernières; Asher, au bord de la mer, à l'ouest de Nephtali, mentionnée dès le 15ème siècle sous contrôle égyptien, se serait rapprochée grâce à Zabulon ou Manassé. Dan, clan errant, initialement proche de Benjamin, ayant émigré à l'Extrême-Nord, se serait rallié à ce moment.

Il reste cependant possible que certaines adhésions ne soient pas intervenues avant l'action centralisatrice de David



e). L'organisation de la fédération évolue vers l'institution de la royauté en la personne de Saül ( vers – 1030)

Un point précis ressort des textes : à ce moment, lorsqu'on parle d'Israël, il s'agit des dix tribus mentionnées précédemment. La tribu de Juda ( si elle existe) et celle de Siméon ne sont pas encore fondues dans l'ensemble. Saül, de la tribu de Benjamin, n'agit militairement que sur les territoires du Nord.

Les circonstances qui amènent l'institution de la royauté comme nouvelle forme de gouvernement sont difficiles à saisir, même s'il est évident qu'a pesé la menace des Philistins. Par la suite, les textes ne rapportent que des conflits militaires, sans les dater, cachant la nature et le véritable exercice de cette royauté.

Les limites du territoire que le nouveau roi contrôle ou revendique restent indistinctes. Le concept d'Israël, souvent employé, n'est pas défini avec précision.

Saül et trois de ses fils, meurent à la bataille qui oppose Philistins et Israélites près de Beth-Shan. Cet événement tragique ouvre une difficile succession et se révèle comme déterminant pour l'avenir de la fédération.

Cet avenir va prendre un visage inattendu. Car celui qui en sera l'artisan n'appartient pas à la communauté qui s'est peu à peu soudée; il surgit de l'extérieur, d'une contrée voisine restée jusque-là en dehors de la scène politique; il s'agit de David, originaire de la montagne de Juda.



f). L'histoire particulière de la montagne de Juda et de la plaine de Beersheba

Du 13ème au 11ème siècle, l'histoire de cette région reste obscure, nous n'avons que peu de témoignages archéologiques à son sujet .

La montagne de Juda s'était peuplée de – 1500 à –1200, quelques pasteurs, nomades ou semi-nomades, s'étaient mêlés à des paysans pauvres, exclus de la société cananéenne. A la fin du 11ème siècle, elle compte un peu plus de 1250 habitants, 2500 en y ajoutant les nomades.

Il est même possible que la tribu de Juda n'ait jamais existé en tant que telle. Dans les traditions des Juges, les territoires concernés sont répartis entre diverses unités tribales Calébites, Orniélites, Ephratéens.

Le bassin de Beersheba présente le même visage; vers le 13ème siècle, des groupes semi-nomades s'y étaient installés avec des familles de paysans. Les Siméonites originairement tribu au nord-ouest d'Yzréel (Shiméon) avaient migré en cette région à une date encore inconnue. Les Amalécites, nomades venant des oasis de l'Arabie du nord et du Sinaï, y étaient présents épisodiquement. Fin 11ème, début 10ème, les attaques de nomades du désert entraînent une lente désertion



g) L'ambition active de David aboutit à une nouvelle fédération de 12 tribus

Qui était David ? Un raccourci définit bien le personnage : "chef de bande qui devint l'un des plus grands hommes de tous les temps. Génial stratège, mais aussi opportuniste consommé."

Deux étapes marquent sa fulgurante ascension :

Il affermit d'abord son autorité sur les divers clans judéens et les clans de Beersheba. Il crée ainsi ce qui deviendra le Royaume du Sud, fort de deux tribus…

Puis il réussit à "saisir" la succession de Saül à la tête de la Fédération qui regroupait désormais dix tribus en Royaume du Nord…

Ainsi, très habilement, il réalise le projet ambitieux d'une unité élargie. Car, c'est à ce moment seulement qu'il devient possible de parler de "peuple juif" au sens complet où nous l'entendons actuellement, à savoir une fédération de 12 tribus.





L'histoire mouvementée du peuple d'Israël

au long du premier millénaire avant notre ère

En ses grandes lignes, nous pouvons accepter le déroulement présenté par les textes bibliques. Il rejoint d'ailleurs l'histoire générale de cette région, telle que nous la précisent de nombreux documents, assyriens et babyloniens. Les "décalages historiques" deviennent moins importants car les auteurs disposent de traditions plus proches, certaines sont peut-être déjà mises par écrit à la cour royale.

Il peut être utile cependant d'alerter sur l'état d'esprit sous-jacent aux récits. Il détermine un genre littéraire qui ne nous est pas familier: les auteurs ne trahissent pas les événements, mais ils les interprètent en fonction des situations contemporaines. Parfois, nous sommes assez loin du "compte-rendu" précis dont nous aimerions disposer. La "signification religieuse" se mêle à la présentation historique et l'oriente.

Limitons-nous à quelques remarques ou compléments

a). David

La tradition a fortement "idéalisé" la figure de David; de ce fait il est peu parlé des succès indéniables qu'il obtint en politique étrangère et de l'organisation interne qu'il donna à son Royaume.

D'autres traits méritent d'être soulignés :

La victoire sur les Philistins était un préalable indispensable. Il l'obtint en adoptant une stratégie de guérilla et, ultérieurement, en recourant à des mercenaires. Mais, son action militaire s'étendit au delà; de multiples conquêtes lui permirent de tracer les frontières d'un vaste empire, du torrent d'Egypte à l'Euphrate …

Le choix de Jérusalem comme capitale lui revient; cette décision était judicieuse, par sécurité d'abord car il s'agissait d'une enclave cananéenne solidement fortifiée… par sagesse politique ensuite; la cité se situait hors des territoires des anciennes tribus et occupait une position privilégiée au centre de l'ensemble …

En décidant la venue de l'arche à Jérusalem, il fit de cette ville le centre religieux et cultuel qu'elle demeure aujourd'hui.

b). Salomon

Il est habituellement présenté comme un roi de paix, sage, juste et pieux…Mais ce portrait a été composé parfois longtemps après les événements D'autres critères doivent servir à un jugement historique.

Les luttes pour la succession avaient commencé du vivant de David, de façon dramatique. Elles ne pouvaient que s'accentuer après sa mort. Salomon s'y révèle impitoyable, souvent cruel, s'appuyant sur des prétextes peu convaincants pour éliminer ses opposants

Son règne connaît effectivement la paix, ce qui lui permet de développer un train fastueux à sa cour royale et d'entreprendre une politique de construction. Outre le palais personnel, il achève la transformation du sanctuaire ancien pour en faire le Temple qui restera l'orgueil du peuple juif.

c). La séparation Nord-Sud

David pensait avoir réalisé l'unité politique et religieuse des douze tribus. Ce n'était qu'une apparence, l'unité était loin d'exister dans les esprits.

A la mort de Salomon, les régions du Nord et du Sud restent foncièrement différentes l'une de l'autre… Les tribus du Nord gardent conscience d'une longue histoire indépendante alors que le pouvoir est tenu par les gens du Sud… Le royaume du Nord est, de loin, le plus riche et le plus peuplé, mais toutes ses ressources sont absorbées en impôts et corvées pour satisfaire les fastes de la cour de Jérusalem, au Sud.

Les tensions étaient déjà manifestes à la fin du règne de David; elles ne font que s'aggraver du fait des exigences de Salomon. L'intransigeance de son successeur Roboam provoque la rupture

d). La succession des rois

Nous sommes apparemment bien renseignés à ce sujet; les écrits nous donnent la succession chronologique des souverains, résument l'essentiel de leur action et portent sur chacun un jugement au nom de la foi d'Israël.

Cette présentation schématique doit nous mettre en garde. Les récits historiques sont mêlés à des enseignements prophétiques, ils rendent difficile l'analyse précise des informations et des références. Ceci est particulièrement sensible lorsque sont abordés les conflits entre les deux royaumes et les rapports de chacun avec les nations voisines.

e). Les exils

Les informations profanes complètent utilement les données bibliques et aident à comprendre les orientations différentes que prirent l'histoire du Nord et l'histoire du Sud.

Les Assyriens eurent raison du Royaume du Nord en 720. Le "style" qu'ils adoptaient lors de leurs victoires était radical: ils déportaient des classes entières de population (élites et artisans) vers d'autres régions et établissaient à leur place des ethnies venues d'autres pays conquis. Tout espoir de restauration était ainsi anéanti.

Les Babyloniens se comportaient différemment: loin de traiter les déportés comme des serfs, ils leur permettaient de s'installer comme colons dans les villages, comme artisans ou commerçants dans les villes. Les Israélites du Sud, victimes de trois déportations successives entre 597 et 582 bénéficièrent de ces conditions: en exil, un "petit reste" put maintenir la fidélité aux traditions, mûrir une nouvelle réflexion à la lumière de l'épreuve et préparer indirectement le retour.

f). Le retour et les occupations

Les renseignements que nous fournissent les livres bibliques sont fragmentaires. De plus, leur genre littéraire, imité des anciens livres historiques, est très "orienté" religieusement Heureusement, les documents profanes aident à mieux comprendre les faits

Ainsi, il est difficile de brosser une histoire détaillée de la restauration du pays au retour de la captivité à Babylone. Nous savons seulement qu'Esdras et Néhémie y ont joué un rôle actif, au milieu de nombreuses difficultés tant économiques que morales.

De même les renseignements que fournissent les deux livres des Maccabées au sujet de la résistance juive contre le roi gréco-syrien Antiochus IV, sont très succincts
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Le sens "historique" des clans sémitiques nomades



Les auteurs bibliques ne situent pas les personnages qu'ils présentent en extra-terrestres venus d'une autre planète et débarquant sur notre terre. Bien au contraire, ils les insèrent dans un environnement humain et ils les rattachent à une histoire humaine. S'ils n'insistent pas en détail sur ces deux points, c'est que la mémoire collective orale fournissait à leurs lecteurs les renseignements nécessaires à une juste compréhension de leurs textes.

La situation des lecteurs modernes est quelque peu différente; pour cette raison sans doute, la plupart ne prêtent guère attention à "l'enracinement" des personnages bibliques, il semble même que l'intérêt se porte exclusivement sur leur "déracinement" à la suite de l'intervention divine dont ils sont bénéficiaires. Il est évident que les anciens étaient sensibles à ce déracinement, sinon ils n'auraient pas mis en forme les traditions qu'ils rapportent, mais, dans le cadre de civilisations encore proches des origines, ils savaient que leur présentation bénéficierait d'un éclairage complémentaire spontané qui éviterait toute fausse interprétation.

Ce manque d'intérêt est dommageable à un double niveau : le niveau littéraire et le niveau historique. Abordons présentement le second en nous limitant aux personnages que les textes situent à la fondation du peuple juif: les "patriarches", c'est-à-dire Abraham, Isaac, Jacob et ses douze fils.



Le "monde" sémitique nomade

Les "patriarches" sont présentés explicitement comme appartenant à une civilisation particulière, celle du monde sémitique nomade; les textes les font émerger du grand désert oriental et il apparaît nettement qu'ils héritent d'une mentalité et d'une sensibilité qui sont celles de groupes antérieurs. Leur histoire s'insère ensuite dans la vie de tribus voisines qui sont issues du même "terreau". Quant aux "traditions" qui ont porté leur "mémoire", elles se sont trouvées naturellement marquées par la même civilisation.

Or ce monde sémitique a longtemps été méconnu. En raison de leur nomadisme, les clans n'ont pas laissé de vestiges documentaires et "l'étude des sites" est une science récente. Heureusement, nous pouvons tabler sur la lenteur des évolutions et sur le souci actuel d'une recherche plus étendue.

Présentement, nous ne trouvons pas un tel ensemble de conceptions hors d'un cadre précis: la vie nomade ou semi-nomade, hors d'une région précise: le grand désert d'Arabie, hors d'une race précise: les sémites… bien que des rapprochements soient intéressants avec les légendes d'origine d'Islande;



L'origine des sémites est très discutée. Leur ancienneté est certaine, sans qu'il soit possible de situer et dater leur première dispersion; il n'est pas impossible de concevoir leur histoire comme une série d'éclatements successifs dans le temps et dans l'espace.

Vers l'an 3000 on repère une de leurs grandes migrations vers la Syrie actuelle… au début du deuxième millénaire, une autre vague déferle sur la Mésopotamie…quelques clans s'en détachent vers la Palestine où ils s'incorporent à la civilisation urbaine de Canaan… les migrations se poursuivent dont celles où seront incorporés ceux qu'Israël présentera comme ses ancêtres. Ces derniers sont signalés comme proches parents des araméens, ethnie qui apparaît vers le 14ème siècle, mais ils ne l'étaient pas moins d'autres clans comme les Qénites (clan de Caïn), les Madianites et autres voisins.

Leur physionomie économique et culturelle nous est plus accessible et peut être tenue pour globalement semblable entre les clans… du moins avant leur sédentarisation, car celle-ci leur fait souvent perdre cette sensibilité commune. Quelques traits sont du plus grand intérêt pour une lecture des chapitres 12 à 50 de la Genèse.



L'ancêtre, le dieu et la promesse

Ces nomades mènent leurs troupeaux à la frontière des déserts et de la civilisation; ils passent de région en région, de point d'eau en point d'eau, repartant sans cesse avec l'espoir de trouver un site meilleur que celui qu'ils laissent. Cette vie, simple et libre, impose des conditions très rudes au "groupe de vie" qui ne peut subsister sans une étroite unité interne et sans un lien fort avec les autres groupes nomades. L'ensemble est donc très structuré en familles, clans, tribus et grandes fédérations de tribus, bien qu'une grande mobilité subsiste entre ces différentes communautés.

Trois éléments concourent à l'unité interne: l'ancêtre, le dieu protecteur, la promesse…

Chaque groupe est rattaché au passé par mention d'un ancêtre dont l'histoire est forgée et portée par la mémoire collective. Cette mention dépasse le simple souvenir de la fondation; la référence à l'ancêtre est omni-présente, celui-ci se survit en quelque sorte dans les membres de son clan, particulièrement dans les chefs actuels.

Les sémites conçoivent leurs dieux comme voyageant en leur compagnie et les protégeant dans leurs migrations; d'ailleurs, un "tabernacle", coffre portatif, symbolise leur présence. Le dieu de chaque clan n'a pas de nom spécifique, il est attaché à l'ancêtre: dieu d'Abraham, dieu d'Isaac, dieu de Jacob.

L'ancêtre a reçu de son dieu une double promesse: promesse d'une descendance qui assure la continuité du groupe… promesse d'une terre fertile où le clan pourra enfin s'installer au terme de ses pérégrinations… A l'idée de promesse est attachée l'idée d'alliance: le dieu du clan apporte la bénédiction à chaque membre qui s'insère positivement dans le groupe… que ce soit la possession de tous les biens nécessaires à la vie ou la victoire sur les ennemis



la mobilité généalogique

Il est inévitable que des conditions démographiques ou climatiques amènent quelques perturbations dans la structure d'ensemble. Leurs conséquences au plan "généalogique" apparaissent déconcertantes pour nos esprits modernes soucieux de précision, car, afin de conserver les mêmes bases, de nouvelles généalogies vont être "construites" pour l'occasion et seront ensuite portées par les traditions.

Ceci montre que les généalogies ne prétendent pas transmettre une descendance biologique ou consanguine… elles traduisent simplement, par le truchement des ancêtres, des relations sociologiques et juridiques entre les groupes qui s'y rattachent.

Ainsi deux clans, pour des raisons économiques ou pour mieux se protéger d'un ennemi commun, décident de se fédérer… le groupe le plus faible peut tout simplement adopter pour ancêtre celui du groupe dominant … ou bien son ancêtre en devient le "fils"…

Le même principe est adopté pour déterminer sous quel "Nom" va être invoqué le dieu du nouveau groupe, car la pluralité des dieux est dangereuse pour la survie unitaire de l'ensemble. En certains cas, un des noms l'emporte… mais la juxtaposition permet aux promesses de se rejoindre et aux attributs divins de s'additionner : "dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob… Bien entendu, des fusions ultérieures peuvent ajouter à un premier travail d'unification.

Autre cas d'évolution: par manque de pâtures ou par suite de conflits, une fédération peut voir ses clans se disperser au point que certains de ces groupes aspirent à leur indépendance… Les clans concernés se construisent alors leur propre généalogie; certains adoptent pour nom d'ancêtre celui d'un illustre personnage passé… d'autres le forgent à partir des lieux où ils sont nouvellement installés: montagne d'Ephraïm, monts de Juda… d'autres enfin personnalisent les circonstances de leur scission: Benjamin = fils de la plaine, Issachar = celui qui reçoit un salaire.

Parfois, les deux généalogies antérieures sont respectées en ajoutant quelques maillons qui les font remonter jusqu'à un ancêtre commun "accepté" par les deux groupes.

A la lecture des textes, nous n'avons donc pas une "histoire de famille" mais l'expression d'une histoire fort complexe entre les différents clans; leurs évolutions, leurs alliances, leurs disputes et leurs conflits sont "projetés" en un "style" qui risque de nous échapper si nous l'assimilons à un pur compte-rendu des événements.



la fusion des traditions

Cette mobilité généalogique entraîne inévitablement une fusion des traditions; à l'origine, ces traditions étaient étrangères les unes aux autres ou, au mieux, "cousines germaines"; elles se trouvent assimilées ou adoptées les unes par les autres, en "déplacement historique" total.

Des événements qui concernaient des clans isolés ou des groupes restreints, sont désormais référés à l'ensemble nouvellement fédéré …

Des histoires particulières, indépendantes, sont agencées dans le but évident de servir l'unité; leur nouvelle présentation prend beaucoup de liberté avec leur déroulement exact dans le passé… faute d'autres documents, celui-ci nous échappe !

Les noms que conservait une tradition, sont introduits dans les "hauts-faits" d'une autre tradition, géographie et chronologie se trouvent accommodées sans aucun scrupule



D'autres facteurs influent sur la manière dont les traditions ré-écrivent l'histoire dans le cadre sémitique nomade.

Des "héros" ont pu prêter main forte au clan dans certaines épreuves; ils étaient peut-être étrangers, mais ils ont été bienfaiteurs et le dieu du clan était avec eux puisqu'ils ont traduit sa bienveillance. Il est légitime de souligner qu'à ce titre ils font partie du clan et en ont aussi écrit l'histoire; Une place leur est donc aménagée… le livre des Juges en est un parfait exemple.

Certains lieux sont inscrits dans la mémoire collective du fait des déplacements ou des luttes avec les populations sédentaires. Pour souligner cette référence, des traditions locales sont reprises et assimilées à l'histoire commune, alors qu'elles n'avaient peut-être avec elle aucun rapport… la destruction de Sodome et Gomorrhe, la chute des murailles de Jéricho…



Nous devons donc éviter de prendre les textes dont nous disposons actuellement comme une reconstitution détaillée des événements passés. Au nom de notre sens actuel de l'histoire, nous n'avons pas à les mépriser, ce ne sont pas de pures légendes et le message dont ils sont porteurs mérite d'être perçu afin d'être approfondi. Mais en raison de multiples changements de civilisation, il n'est pas facile de le rejoindre… toute présomption sur ce point risque de le trahir…



Il en est de même au sujet d'autres textes dont, spontanément, nous ne soupçonnons pas les racines, par exemple ceux qui traitent des fêtes juives. Certaines, comme la fête de pâque, n'ont fait que reprendre des traditions qui remontent à un temps immémorial.

La fête de pleine lune de printemps est, en effet, une fête essentielle chez les nomades; elle marque le départ des transhumances; le clan quitte les quartiers d'hiver et se met en route, avec les troupeaux, vers les pâturages d'été. Elle obéit à un rituel précis: dans la nuit, chaque famille se réunit pour un repas solennel, l'une des bêtes du troupeau est sacrifiée et mangée, son sang est apposé sur les poteaux des tentes pour protéger des génies malfaisants. C'est le repas de pâque, le repas du "passage" vers des herbages fertiles.


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La mutation religieuse d'un clan nomade
lorsqu'il se sédentarise



Pas plus que l'étude sur le sens "historique" des clans nomades, cette nouvelle étude ne doit être située comme répondant à une simple curiosité. Elle introduit au contraire à une meilleure compréhension du fil conducteur des livres bibliques.


Complexité du phénomène de sédentarisation au Moyen-Orient

Le phénomène de sédentarisation n'est pas propre aux clans que les israélites situeront à l'origine de leur peuple; la plupart des nations anciennes du Moyen-Orient en sont issues.

Il est facile de le situer comme réponse à une aspiration légitime; la vie nomade imposait des conditions de survie fort rudes… les rapports avec le monde limitrophe sédentaire étaient nombreux et devaient susciter bien des envies: rapports de commerce, hibernages, concessions d'herbages… enfin la promesse faite à l'ancêtre par le dieu du clan entretenait cette espérance puisqu'elle portait sur l'accession à une "terre" où les familles pourraient s'épanouir en de meilleures conditions…

Il est beaucoup plus délicat de préciser son déroulement historique, car la rédaction des documents qui pourraient nous renseigner à ce sujet suppose un stade évolué d'implantation, ils ne permettent pas toujours de départager les multiples influences postérieures et l'apport originel.

Au niveau du clan, la sédentarisation n'est jamais un phénomène brutal. Même si la mentalité commune est marquée de cet espoir et l'exprime, des impossibilités pratiques peuvent en retarder la réalisation: résistances des sédentaires, faiblesse du groupe, inadaptation à un autre mode de vie… Il est rare de voir toutes les tribus d'une fédération adopter ensemble un tel changement; certaines familles restent semi-nomades et, dans ce cas, les liens qu'elles conservent favorisent le maintien des habitudes et le souvenir des traditions.

Les conditions d'implantation sont également diverses et conditionnent la rapidité des évolutions. Si la tribu s'installe en un territoire faiblement habité - comme celui de la Palestine centrale au 13ème siècle - elle conserve plus longtemps ses modes de pensée antérieurs… Il en est de même si elle "conquiert" une région en s'imposant aux sédentaires; dans ce cas, il arrive cependant qu'elle intègre nombre d'éléments religieux propres à cet endroit… Lorsqu'elle doit "composer" avec les sédentaires, la complexité et la diversité des influences mutuelles rendent impossible toute étude précise…



Une grande prudence s'impose également dans l'examen des conséquences culturelles et religieuses de cette implantation.

Nous ne devons jamais oublier l'origine commune de nombreux peuples du Moyen-Orient, à savoir le monde sémitique nomade.. Certes, lorsque nous nous situons à une époque précise, leurs rapports à cette origine apparaissent très différents. Plusieurs siècles d'intervalle séparent parfois "les" diverses sédentarisations antérieures; les mutations, religieuses et culturelles, que nous allons analyser, ont été "digérées" par les uns tandis que les autres se trouvent encore "en amont" de ce choc; des civilisations nouvelles se sont précisées, en des formes de plus en plus éloignées des conditions d'origine.

Il n'en reste pas moins que, sans bloquer l'activité de penseurs et de novateurs ultérieurs, ces conditions d'origine ont été le terreau des évolutions; même si de grandes différences se sont introduites par la suite, elles ont nécessairement laissé quelques empreintes. Bien entendu, faute de connaissances historiques précises, les nouveaux arrivants n'ont pas conscience de ces racines communes et pourtant ils se trouvent spontanément "en affinité" avec ce nouvel environnement. Leur mutation est donc à la fois accélérée dans les conséquences habituelles de toute sédentarisation et enrichie par les évolutions intervenues ultérieurement.



Ces conditions particulières doivent être prises en compte pour une bonne approche des textes bibliques sous un angle facile à préciser..

A la suite de leur sédentarisation, la majorité des tribus orientales ont vécu une mutation radicale par rapport aux conceptions nomades, ceci ne fait aucun doute; leur réflexion a orienté peu à peu les mentalités vers un autre "modèle de pensée", celui qu'ont retenu leurs documents littéraires

Mais les auteurs bibliques refusent de voir cette absorption comme une fatalité, ils procèdent par retour aux conceptions premières, ils les "insufflent" dans leurs textes face aux modèles philosophico-religieux des puissantes civilisations voisines. Tout en rappelant leur richesse ancestrale, ils font ressortir leur dynamisme possible au cœur d'une actualité changeante.

Nous développerons plus précisément ce point dans un autre article.




Les étapes de la mutation religieuse d'un clan



Au départ

Pour les anciens, les questions religieuses et les questions sociales sont abordées en lien très étroit, il est cependant possible de faire ressortir les premières sans nous perdre dans le détail des secondes.

Rappelons-nous les particularités qui marquent le sens de Dieu chez les nomades.

Certes, chaque clan a son dieu particulier, mais celui-ci est conçu en grande proximité et en profonde humanité. Tous l'imaginent comme voyageant avec sa tribu et la protégeant au cours des migrations. Ce dieu est d'autant plus "personnalisé" qu'il ne lui est pas donné de nom propre, il est lié à l'ancêtre: "dieu d'Abraham, dieu d'Isaac, dieu de Jacob, dieu de vos pères". Sa bienveillance s'est exprimée au départ en une parole de bénédiction qui se transmet de génération en génération.

Ce rapport à l'ancêtre en fait un dieu engagé dans l'histoire du clan dès son origine. "L'alliance" conclue dans le passé est une alliance permanente… Cette actualité est soulignée par la présence du petit "tabernacle" qui accompagne la marche du clan et par le rappel de la " terre fertile" qui demeure l'objet d'une "promesse" initiale…

L'efficacité de ce dieu est attendue principalement dans les domaines de la vie: la prospérité des troupeaux… la santé et la longue existence des individus… la continuité du clan grâce à la naissance de nombreux enfants… la survie du groupe face aux ennemis éventuels ou à d'autres périls… Ses commandements ont toujours pour incidence la cohésion nécessaire à l'ensemble, ils excluent tout individualisme et tendent à créer une ambiance de paix, bénéfique pour tous…

Les fêtes sont principalement des fêtes de rassemblement et de partage familial, même si quelques superstitions y sont attachées comme le sang sur les poteaux des tentes pour protéger contre les génies malfaisants (fête de la pâque).



Les points de rupture lors de la sédentarisation

En un premier temps, l'installation d'un clan est considérée comme la réalisation de la promesse faite jadis par le dieu du clan. Bien des difficultés ont surgi parfois pour la possession de ce coin de terre; elles sont désormais surmontées et l'idée de protection divine s'en trouve renforcée.

La construction d'un petit sanctuaire exprime la stabilité bienfaisante dont bénéficie désormais le groupe, il lui est donné le nom du dieu qui a favorisé cette évolution, il rappelle l'unité des familles incluses dans la bénédiction et favorise également le maintien des traditions antérieures.

Parfois ce sanctuaire est repris du culte local. Un changement de nom peut marquer la prééminence du dieu de l'ancêtre, mais nombre d'assimilations ne posent aucun problème, le dieu principal d'un sanctuaire ou d'une région n'excluant pas la croyance en d'autres divinités…

Rapidement - et inconsciemment - les mentalités évoluent sous l'influence des nouvelles conditions de vie. Sur les terres récemment occupées, l'élevage se poursuit mais il comporte moins d'aléas puisque les pâtures sont désormais assurées… la culture du sol se développe… les familles se dispersent de façon indépendante les unes par rapport aux autres… la propriété est de moins en moins collective…

Cette stabilité favorise les réflexes d'individualisme et suscite des aspirations à la rentabilité. Les intérêts particuliers, professionnels ou économiques, contaminent les rapports mutuels et les modifient, au détriment de l'ancienne solidarité vécue dans le clan. Lentement, l'état d'esprit initial est entraîné vers des conceptions radicalement différentes... ..

Inévitablement, les conceptions religieuses s'en trouvent affectées, le désir d'une fertilité immédiate l'emportant sur le soutien de la promesse.

Le "visage" que l'on prête au dieu du groupe se modifie. Il n'est plus celui qui accompagne et soutient une marche toujours hésitante en raison de ses imprévus, il est celui qui fait bénéficier des produits de la nature, cette nature dont le fonctionnement reste bien mystérieux.

Car chacun peut constater concrètement que les récoltes sont tributaires de "forces" qui dépassent la simple activité de l'homme, forces bienfaisantes comme la pluie et le soleil, forces menaçantes comme l'orage ou la sécheresse.

La protection divine est donc "élevée" à ce niveau et implique que le dieu du groupe soit situé en maître de tous ces éléments incontrôlables. Le visage qu'on lui prête se déshumanise progressivement…

Cette évolution se manifeste rapidement dans un changement de nom. Celui-ci exprime de moins en moins le lien avec l'ancêtre et la promesse, il devient un qualificatif de puissance. Les forces de la nature étant diversifiées, il est fait appel à plusieurs dieux, spécialistes de ces forces, régentant le cycle des saisons et l'existence des hommes. Bien entendu, la vie de ces dieux est projetée dans un ciel lointain, extra-terrestre, d'où ils peuvent intervenir.

Malgré les imprévus climatiques, le cycle de la nature est foncièrement répétitif.. L'espérance de rendement amène à serrer de près un "fonctionnement" qui semble inscrit depuis toujours au cœur de la création. Les schèmes mythiques apparaissent ainsi dans la pensée religieuse.

Gardons-nous de les réduire à des légendes fantaisistes ou à des "contes"; ils ne cherchent pas non plus à satisfaire la curiosité habituelle sur les mystères du commencement du monde et de l'humanité. Les anciens les tiennent pour des histoires vraies, au delà de détails qu'ils savent relatifs ou symboliques; ils y voient le vécu d'une situation créatrice qui éclaire notre activité actuelle, bien qu'elle se soit située dans le passé et à un autre niveau. Ils aspirent à actualiser la puissance qui y est présentée et qui peut continuer son action dans le même sens.

Le mouvement de l'histoire n'est donc plus perçu sous le même angle: il ne s'agit plus d'une aventure qui s'engendre au gré des événements et des hommes, elle se fige en répétition d'un même acte initial, l'acte productif. Les schèmes mythiques l'emportent sur les traditions.

Les perspectives sont reportées bien en deçà de l'ancêtre. Priorité est donnée aux héros qui ont vaincu le chaos initial en s'affrontant aux dieux et aux génies malfaisants. Leur succès est d'autant plus assuré que la présentation du passé est calquée sur le quotidien de la vie actuelle.

Les rites évoluent dans le même sens; les uns visent à attirer les pouvoirs bienfaisants des dieux, les autres visent à se prémunir contre les forces hostiles. Les sanctuaires se présentent comme autant de "points cosmiques" où s'opère la rencontre entre le monde des dieux et le monde des hommes. Le choix de leur implantation est souvent guidé par des raisons suggestives, les montagnes par exemple.. Les sacrifices d'animaux se doublent d'offrandes des produits du sol, en remerciement ou en espérance de bonnes récoltes.

Les fêtes se réfèrent désormais aux moments importants de l'année agricole ou du cycle de fécondité. La fête du Nouvel An invite à actualiser, par delà le temps historique, l'acte créateur initial… La fête des pains sans levain (les azymes) marque la première moisson, la moisson de l'orge… La fête des semaines termine la récolte du blé… La fête des tentes, en fin d'automne et après la cueillette des fruits, clôt le cycle annuel dans la joie…

Bien d'autres éléments de la culture sémitique nomade se trouvent emportés dans cette mutation et pourraient être ajoutés à ce premier aperçu.


Rapide conclusion

Le lecteur attentif l'aura remarqué: en repérant les conséquences les plus "sensibles" de cette mutation, nous voyons se dessiner et se préciser deux "types" religieux différents. Nous tenons là une des clés de la Bible...


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